Ferhat Mehenni:«En Algérie, il n’y a plus d’autorité de l’Etat»

Agé de 66 ans, Ferhat Mehenni est un célèbre homme politique kabyle. Fondateur du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) en 2001, devenu depuis 2013 Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie, il est aussi le président du Gouvernement Provisoire Kabyle (« Anavad ») fondé en exil.

Il est l’auteur de plusieurs livres, dont : « Algérie : la question kabyle », (2004, Michalon), « Le Siècle Identitaire » (2010, Michalon). « Afrique : le casse-tête français : la France va-t-elle perdre l’Afrique ? », (Editions de Passy, 2013). Entretien

Mondafrique. Votre mouvement politique, le MAK, a 16 ans d’existence. Comment appréciez-vous l’adhésion du peuple Kabyle aux idées qu’il défend ?

Ferhat Mehenni. Redonner confiance au peuple kabyle et l’amener à croire en son avenir d’indépendance a été un travail de longue haleine. Le sentiment de défiance vis-à-vis d’une classe politique qui l’a toujours trahi a été le plus grand obstacle à dépasser. Mais grâce à sa constance et la compétence de ses cadres, le MAK est parvenu à faire converger les aspirations de la Kabylie à la liberté.

Depuis 2009, nos manifestations drainent des foules toujours plus nombreuses. Dans une dictature coloniale comme celle de l’Algérie d’aujourd’hui, où il n’y a ni sondage d’opinion, ni liberté d’expression, il y a deux façons de mesurer l’adhésion de la Kabylie au MAK et au Gouvernement Provisoire Kabyle : l’organisation de marches populaires et le respect de ses consignes de boycott des élections. Toutes ces démonstrations, et particulièrement celles du 20 avril 2016 et de yennayer 2017 (12 janvier, jour de l’an amazigh) représentent autant des plébiscites en faveur de l’indépendance de la Kabylie.

Mondafrique. Quelles ont été, selon vous, les actions clé du mouvement ? 

Ferhat Mehenni. En plus du travail accompli sur le terrain par les militants, nous avons créé un gouvernement provisoire en exil en juin 2010 ainsi qu’une carte d’identité kabyle, et un drapeau en mars 2015. Nous avons aussi tenu le troisième congrès du parti en février 2016 au nez et à la barbe de la police coloniale.

Mondafrique. Sur la scène internationale, qui sont les soutiens du mouvement d’autodétermination de la Kabylie ?

Ferhat Mehenni. Pour le moment, le seul pays à avoir défendu le droit du peuple kabyle à l’autodétermination devant l’assemblée générale de l’ONU est le Maroc, (octobre 2015). Dans un monde arabe miné par les guerres, un peuple qui se bat pacifiquement pour son indépendance n’intéresse pas les médias et les chancelleries. C’est comme si les grandes puissances poussaient les peuples opprimés à prendre les armes pour enfin mériter leur regard et leur soutien.

Tant pis ! Nous ne tomberons pas dans le piège de la violence armée. Nous voulons faire triompher la cause de l’indépendance de la Kabylie par l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le droit et rien que le droit !

Mondafrique. Quels projets à venir vous permettrons de réaliser vos objectifs d’autodétermination ?

Ferhat Mehenni. Le plus urgent est le dépôt d’un Mémorandum auprès de l’ONU pour plaider en faveur du droit du peuple kabyle à l’autodétermination. Le projet de création d’un parlement kabyle auquel s’attelle notre Premier Ministre, Mas Lhacene Ziani, est aussi un objectif clé. La mise sur pied d’un Fonds de Souveraineté, d’une radio et d’une télévision dédiées au combat pour l’indépendance seront autant d’atouts pour instaurer une autorité politique et morale du MAK sur la Kabylie et supplanter celle du pouvoir colonial algérien.

Mondafrique. Y a-t-il des ONG ou des Etats qui soutiennent votre démarche de dépôt de mémorandum à l’ONU ?

Ferhat Mehenni. Nous venons de signer un accord de coopération avec l’Alliance Liberté Europe (ALE, EFA en anglais) lors de son assemblée générale annuelle tenue à Katowice (Silésie, Pologne) en mars 2017. Pour nous, cela représente une démonstration de reconnaissance internationale de la cause kabyle.

Enfin, nous venons de nommer notre premier corps diplomatique de l’histoire de la Kabylie. L’avenir appartient à la Kabylie indépendante.

Mondafrique. Dans votre ouvrage, « Le siècle identitaire » paru en 2010, vous qualifiez l’ONU de « syndicat des Etats établis ». Pensez-vous que cette organisation va donner une réponse favorable à votre demande ?

Ferhat Mehenni. Les Etats issus de la décolonisation, qu’ils siègent à l’ONU ou à l’Union Africaine, sont des obstacles à l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils sont les piliers de frontières considérées comme immuables. Il serait salutaire de dépasser la géopolitique coloniale au profit de celle des vrais peuples comme le peuple kabyle. En portant ce mémorandum, la Kabylie met le doigt sur le mal des Etats coloniaux dont a hérité plus de la moitié de l’humanité.

Mondafrique. Le « printemps berbère » célèbre son 37ème anniversaire dans moins d’un mois. A cette occasion, le pouvoir algérien a décidé d’interdire les conférences qui portent surtout sur la culture en Kabylie. Quelle est votre réaction face à cette situation ?

Ferhat Mehenni. L’Algérie vogue au gré des rapports de force entre les clans et sous-clans qui composent ses sphères de décisions aux intérêts opposés. Dans cette situation de confusion générale, la répression contre la Kabylie n’est qu’une manière de faire croire qu’il existe encore un semblant d’autorité de l’Etat. Il n’y a plus rien ! Bouteflika n’a plus sa tête. C’est la débandade générale. Ce sont les services français qui tentent de maintenir en Algérie une machine étatique dont ils ne maîtrisent plus les rouages.

Mondafrique. Dans un mois, plusieurs échéances électorales se tiendront en France (présidentielles) et en Algérie (législatives). Quelle est la position de votre mouvement par rapport à ces scrutins ?

Ferhat Mehenni. En France, nous apporterons notre soutien aux candidats favorables au droit du peuple kabyle à l’autodétermination. En Algérien, nous boycotterons les législatives qui sont le poumon du système colonial.

Mondafrique. Il existe d’autres partis kabyles, le FFS et le RCD, qui crient à la fraude mais souhaitent tout de même participer à l’élection ? Que pensez-vous d’eux ? 

Ferhat Mehenni. Ces partis ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Je les invite à se retirer pour construire avec nous l’indépendance de la Kabylie.