Elections en Côte d’Ivoire : “Là, ils surveillent qui du quartier va voter”

Retards d’ouverture des bureaux de vote, tablettes biométriques défectueuses… Les quelques accrocs du scrutin présidentiel de dimanche n’ont pas perturbé le bon déroulement du vote en Côte d’Ivoire.

Bureau de vote dans la comune d’Abobo, fief du président Alassane Ouattara

16 pour KKB, 11 pour Affi N’Guessan, 18 nuls, 145 pour… Alassane Ouattara. Sur le tableau noir des salles de classes du lycée Sainte Marie dans le quartier huppé de Cocody, la colonne réservée au président sortant cumule les traits blancs marquants le nombre de voix remportées.

Tablettes défaillantes

La nuit est tombée sur une journée électorale pluvieuse et le dépouillement se déroule dans le calme sous le regard des observateurs internationaux et de la Commission électorale indépendante (CEI) en charge de valider le scrutin. « Pour le moment tout se passe bien. Aucun incident n’a été rapporté dans la capitale ou à l’intérieur du pays » affirme un observateur de l’ambassade américaine. « Les seuls problèmes constatés sont les retards dans l’ouverture de certains bureaux de vote qui ont été appelés à fermer plus tard. Il y a eu aussi beaucoup de problèmes d’usage et de fonctionnement des tablettes biométriques. »

Commande de l’Etat ivoirien à la société de sécurité française Safran-Morpho, filiale de Sagem, les tablettes électroniques censées diminuer les risques de fraude n’ont pas rencontré un franc succès. Depuis les bureaux de vote, les équipes mobilisées ont, pour une grande partie d’entre elles, signalé des défaillances à la CEI qui leur a conseillé de poursuivre les enregistrements manuellement. « Il y a surtout un manque flagrant de formation à l’utilisation de ces outils » souligne l’observateur américain. Et un journaliste ivoirien d’enfoncer le clou : « beaucoup de gens, y compris des organisateurs n’ont jamais vu un ordinateur de leur vie ! Comment voulez-vous qu’ils rechechent un nom, un prénom dans un fichier et qu’ils prennent des empreintes digitales ? Tout ça pour augmenter la facture de Safran… »

Autre difficulté, les trois candidats qui se sont retirés de la compétition figuraient toujours sur les bulletins de vote, entrainant une confusion lors du décompte des voies. « Certaines équipes de dépouillement les ont prises en compte dans la participation, d’autres les ont rangées du côté des bulletins nuls » relève un membre de la CEI un rien atterré.

D’Abobo à Yopougon

Des failles qui n’ont pourtant pas troublé la tranquilité du déroulement du vote dans la journée. Dans la commune d’Abobo, fief populaire d’Alassane Ouattara au nord d’Abidjan peuplé majoritairement de dioula, d’importantes files indiennes ont attendu du matin au soir devant les écoles transformées en bureaux de vote. Tôt dans la matinée, des équipes missionnées par le RHDP, la coalition au pouvoir, ont lancé des opérations de porte-à-porte destinées à convaincre les indécis et mettre des véhicules à dispositions de possibles électeurs. Devant le collège Haroun Tazieff d’Abobo, des dizaines de personnes font la queue sous le regard scrutateur des hommes du « grain », surnom donné aux petites assemblées d’habitants qui règlent les problèmes du quartier et où l’on trouve encore bien souvent d’anciens rebelles pro-Ouattara . Dans cette commune acquise au président, « on attend autour de 50 ou 60% de participation » confie un observateur. Une bonne moyenne. Rien cependant de comparable aux passions déclenchées par le scrutin de 2010 qui avait mobilisé 80% des électeurs sur l’ensemble du pays. « Il y a cinq ans ici, on pouvait à peine circuler, c’était de la folie » raconte un habitant.

Autre ambiance dans la commune de Yopougon, bastion historique des pro-Gbagbo. Dans le secteur de Sicogi, de rares personnes arrivent au compte-gouttes dans les bureaux de vote où l’on s’attend à un fort taux d’abstention. Ici comme à Abobo, même constat d’âpreté. « Il y a cinq ans, chacun appelait son ami le jour même pour lui dire d’aller aux urnes. Ensuite chacun envoyait carrément des brigades pour surveiller l’achemninement des urnes jusqu’aux cellules locales de dépouillement » se souvient un habitant du quartier. Si la formation fondée par Laurent Gbagbo, le FPI, participe bien aux élections, son candidat, Pascal Affi N’Guessan, est boycotté par les barons du parti qui l’accusent de faire le jeu de Ouattara. « Ici à Sococi c’est un peu la zone de ces ultras » souffle discrètement un habitant du quartier en évitant de croiser les regards à l’entrée d’un bureau de vote où une dizaine de personnes jouent à la pétanque. Au passage il remarque : « on ne joue jamais aux boules ici habituellement. Là, ils surveillent qui du quartier va voter ».

A Yopougon, bastion des pro-Gbagbo

A l’intérieur du pays, l’absence de violences, y compris à l’ouest où les tensions intercommunautaires sont encore vives est jugée bon signe par les observateurs. « Dans cette zone, certaines communautés en empêchent d’autres d’aller voter par tous les moyens. Or là ce n’est pas le cas, c’est positif » affirme un journaliste ivoirien en gardant tout de même une réserve. « Dans ce pays les problèmes ne viennent jamais lors du vote mais toujours à l’annonce des résultats. »