Droits humains, le deux poids, deux mesures de Mohamed Bazoum

German Defence Minister Ursula von der Leyen meeting Nigerien Minister of the Interior Mohamed Bazoum for the handover of motorcycles, cargo trucks and telephones for the fight against human traffickers and terrorists, in Niamey, Niger, 31 July 2017. Photo: Britta Pedersen/dpa (Photo by Britta Pedersen/picture alliance via Getty Images)

 En réagissant très fort à la mort à la clinique Pasteur à Bamako de son ami Soumeylou Boubeye Maïga, dont les autorités maliennes ont refusé l’évacuation sanitaire à l’étranger alors qu’il était sous le coup d’une enquête pénale, leprésident nigérien Mohamed Bazoum a sans doute exprimé une vraie indignation. Mais l’ironie de l’actualité veut qu’il ait été interpellé le même jour, le 21 mars, par Amnesty International sur le traitement cruel réservé par l’administration pénitentiaire de son pays à certains prisonniers.

Le président Bazoum qui, depuis son élection, a donné un nouveau départ au Niger, reste sur le terrain des droits humains dans la continuité de la politique répressive de son pédécesseur, l’ex Préisdent Issoufou

Le respect des droits humains doit-il être réservé aux seuls amis du Président ? Surtout lorsqu’ils sont, comme l’ancien homologue de Mohamed Bazoum aux Affaires étrangères, le malien Soumeylou Boubeye Maïga,quatre« intelligent, brillant, rigoureux » ? Ou l’obscurité des prisons du Niger doit-elle autoriser « le drame silencieux » de la violation de tous les droits lorsqu’il s’agit des ennemis du régime de Niamey, comme cela semble le cas à la prison de haute sécurité de Koutoukalé ?

Réagissant à chaud sur son compte Twitter à la mort de son ami, Mohamed Bazoum a accusé les autorités de Bamako d’un « assassinat » comparable à la mort en prison de Modibo Keita en 1977 ajoutant que « de tels assassinats relevaient d’une autre ère. » Sur RFI, il a estimé que Boubeye était mort « d’une maladie qui était bien identifiée, qui était dangereuse. » « Il était en train de se mourir à petit feu. Il avait perdu 27 kg, il ne pouvait plus marcher. Sa famille a tout fait pour qu’il soit admis dans un hôpital à l’extérieur qui avait des capacités de nature à permettre à faire un bon diagnostic et une bonne thérapie mais cela lui a été refusé. Il y a comme une espèce de programmation de sa mort. C’est très choquant que de telles choses se passent. »

Le même jour, Amnesty International a publié les résultats d’une enquête sur « les droits bafoués » de plusieurs détenus à la prison de Koutoukalé. Elle a appelé les autorités nigériennes à rétablir les droits de visite et à mener une enquête sur les conditions de détention et le respect des droits à la défense et du droit à la santé des détenus de cet établissement.

Selon l’organisation de défense des droits humains, des proches de détenus dénoncent « l’interdiction de l’apport de provisions extérieures, l’impossibilité pour les détenus concernés de recevoir des visites, des soins médicaux adéquats ni d’accéder à un avocat. »

« Tous les détenus à la prison de Koutoukalé et dans tous les lieux de privation de liberté du Niger ont le droit à des conditions humaines, y compris avoir accès à de l’eau, de la nourriture, des soins médicaux appropriés et communiquer avec leurs familles », estime Ousmane Diallo, chercheur d’Amnesty pour l’Afrique de l’Ouest, sur le site d’Amnesty.

Le colonel Hamadou Djibo a dénoncé la situation dans les prisons dans unelettre ouverte

Le réquisitoire du colonel Hamadou Djibo

Cette enquête fait suite à une lettre manuscrite datée du 7 mars écrite par le colonel-major Hamadou Djibo, détenu depuis le 23 avril 2021 dans le cadre d’une accusation de tentative de coup d’Etat contre Mohamed Bazoum. Le colonel, qui était chef des opérations à l’état-major de l’armée nigérienne jusqu’à son arrestation, y affirme que quatre détenus sont morts de malnutrition et d’absence de soins depuis décembre dernier. Il écrit aussi que plusieurs autres prisonniers souffrent des conséquences de la malnutrition (paraplégie d’origine carentielle, affections bucco-dentaires, troubles de la vision, coliques, diarrhées chroniques etc.)

Selon le colonel, c’est suite à une visite du Haut Commandant de la Garde Nationale du Niger, le 17 novembre dernier, que la situation des détenus s’est détériorée. « Des instructions verbales ont été données pour ne plus faire parvenir un apport extérieur (vivres, médicaments, eau potable, produits de toilette, vêtements) au profit des détenus. »

Le colonel ne l’écrit pas mais il est vraisemblable que le Haut Commandant, un homme de confiance du Président Issoufou, ait ainsi assouvi une vengeance personnelle contre les ennemis du régime en les condamnant à une mort lente et discrète.

Une « chape de plomb »

Hamadou Djibo demande « que la chape de plomb qui pèse lourdement sur la prison soit purement et simplement levée. » Les raisons de sécurité qui seraient à l’origine de « la déshumanisation de 400 personnes » sont d’autant moins pertinentes, selon lui, que les deux cadres terroristes qui étaient détenus à Koutoukalé ont été « extraits de la prison de Koutoukalé pour une destination que nous ignorons. »

Il conclut sa lettre en réclamant « le strict respect des droits des prisonniers conformément au droit national et au droit international humanitaire, l’accès à la prison aux organisations nationales et internationales spécialisées dans l’assistance humanitaire et la défense des droits humains, la possibilité pour les détenus ayant les moyens de se faire assister par des avocats et la réouverture des visites familiales suspendues depuis le 7 avril 2019 afin d’atténuer les abus dont sont victimes les détenus. »

Amnesty s’est rapprochée de l’avocat de l’auteur de la lettre, qui n’a jamais été entendu par un juge depuis son arrestation. Djibo souffrirait de « maladies chroniques qui nécessitent un suivi médical », estime Me Salim. Or, poursuit-il, « la prison de Koutoukalé ne dispose ni de médecin ni de plateau technique médical adéquat pour consulter mon client. »

Des visites interdites

Trois autres familles ont confirmé à Amnesty International l’interdiction des visites et celle de l’apport extérieur de provisions. L’épouse d’un autre détenu, arrêté dans le cadre des manifestations post électorales qui avaient éclaté après l’annonce des résultats officiels du 2e tour l’année dernière, affirme n’avoir pas pu le voir depuis son arrestation. « Un an après, je ne pourrai vous dire dans quelle condition se trouve mon époux », aurait déclaré la femme. « Depuis qu’on l’a arrêté, le 6 mars 2021, je n’ai jamais eu le droit de lui rendre visite. Son avocat était allé le voir à la prison au mois de juin 2021 mais le régisseur a exigé une autorisation délivrée par la justice. » Une autre femme, qui témoigne également de façon anonyme, précise que « les autorités de la prison disent que Koutoukalé est une zone sécurisée et qu’il est interdit de venir rendre visite aux détenus. » « J’ai un permis de visite depuis trois mois, mais lorsque je suis allée voir mon mari, les autorités de la prison m’ont empêché d’accéder aux lieux. »

Il ne fait pas bon être prisonnier au Niger sous le régime de Mohamed Bazoum. Surtout lorsqu’on est soupçonné d’avoir participé à des manifestations contre l’élection du Président. 500 prisonniers du parti Lumana sont toujours sous les barreaux, et certains pour des chefs d’accusation criminels. Si Hama Amadou, le fondateur de Lumana, est en France pour des soins depuis plusieurs mois, il risque, de retour au Niger, de regagner sa cellule pour de très longues années. Le seul sort sans doute encore pire que celui réservé aux sympathisants de l’opposant est celui que doivent endurer les militaires soupçonnés, à tort ou à raison, d’avoir voulu renverser le régime socialiste. Ils sont des dizaines à être détenus, dans une totale opacité. Mais tout cela nous entraîne décidément vers des âges qu’on croyait révolus

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