Ce que la France qui vote Front National n’est plus

Les choix contre-nature qu’à contractés la France ces dernières années ont contribué à une déperdition de l’image de ce pays. La conséquence? C’est qu’elle vote massivement en 2015 pour le Front National.

  1. La France est (historiquement) sociale

Dans ses fondements modernes et ses longues luttes syndicales, la France est une république ancrée à gauche, dans la modernité et le partage, convaincue de la nécessité de porter la classe ouvrière, seul moteur véritable du pays. Centralisée sur un modèle jacobin, méfiante à l’égard du grand capital et de la financiarisation de l’économie, la France n’est pas libérale mais elle est alliée aujourd’hui à Washington, voire Chicago et ses boys, sur une espèce de libéralisme transfrontalier qui l’oblige à vendre de grosses parts de patrimoine à des intérêts étrangers sans aucune mesure protectionniste. En tournant le dos à la classe ouvrière, vivier du Front National, au profit d’une oligarchie spéculative qui ne crée pas de croissance et d’emplois, la France s’est retrouvée à tout vendre et privatiser, La Poste pour ne prendre que cet exemple, structure populaire qui n’a jamais été déficitaire, et dont la banque, La Banque Postale, a été confiée à des privés. Devenue adepte d’une concentration des institutions, armement-médias-industrie-politique au service d’une élite financière, elle a perdu son âme et pense maintenant à réduire les dépenses sociales. Mais pour quoi faire ? La guerre, ultime possibilité de croissance, tout en continuant à nourrir l’oligarchie, ne pas créer d’emplois mais des niches de richesse, sur l’hypothèse d’accroissement du PIB qui ne vient pas.

Sur ce cas de figure, la gauche socialiste et la droite post-gaulliste ont obtenu le même résultat, accroissement en continu du chômage et de la dette, sans contrepartie.

  1. La France est (souvent) juste

Les juges français étaient autrefois célèbres pour leur indépendance, et la justice n’y était pas un vain mot, structurée en plusieurs entités et protégée des pressions par le biais du Conseil indépendant de la Magistrature. Aujourd’hui, la justice, plus ou moins impuissante, se retrouve à protéger les puissants, sous la pression des élites politiques et dans le cadre étroit de la collusion avec les milieux d’affaires. Les juges ne sont plus vraiment indépendants, nombre de cas en suspens dans les premiers cercles politiques renseignent sur le peu d’empressement de la justice à s’attaquer aux politiques corrompus, de plus en plus nombreux par l’impunité qu’ils détiennent. Tout comme la France du sommet le sait, la France de la base le ressent, argent, pouvoir et injustice font bon ménage.

  1. La France est (pratiquement) « or »

En supprimant l’étalon-or comme support physique de la monnaie et interdisant dès 1973 à la Banque de France de prêter de l’argent à l’état, ce que fait aujourd’hui le marché financier, avec intérêt, la France s’est alignée sur la monnaie papier, perdant sa capacité de résister à l’expansion du crédit et la dette publique, ce que permettait le système monnaie-or. C’est dans cette spirale financière sans fin que la dette française est passée aujourd’hui les 2000 milliards d’euros, s’endettant de 2600 euros supplémentaires par seconde. Une dette impossible à rembourser mais qui fait vivre le marché financier privé par des emprunts perpétuels. Empêtrée dans les fluctuations du dollar, ses taux d’intérêts et connectée à la FED américaine par le jeu des taux de change des devises internationales, la France ne peut plus retrouver d’indépendance monétaire et a même vendu une partie de ses stocks d’or sous Sarkozy. Pendant que la Chine et la Russie sortent du dollar pour éviter la dépendance à une monnaie déjà en phase d’effondrement, la France s’accroche à l’euro, elle aussi une monnaie plus ou moins artificielle puisque la Banque centrale européenne a décidé au début de l’année d’utiliser la planche à billets pour « relancer la croissance », à hauteur de 60 milliards d’euros par mois depuis mars, courant le risque de faire gonfler de nouvelles bulles spéculatives sans effet positifs sur les économies. Avant cette décision contraire à l’orthodoxie financière, ce n’était guère plus confortable, sous la coupe des intérêts croisés, la Banque européenne n’autorisait qu’un conglomérat de banques privées à utiliser, prêter, écrire et comptabiliser de l’euro pour l’injecter dans les circuits financiers. La France, tout comme d’ailleurs les autres pays de l’UE, aura perdu toute capacité de décision personnelle, sans croissance autre que celle de sa dette.

  1. La France est (par principe) arménienne et kurde

Depuis la décolonisation et ses tristes faits d’empire, la France s’est recentrée sur la défense des minorités persécutées à travers le monde. Après avoir reconnu le génocide turc des Arméniens, elle est aujourd’hui alliée à Ankara dans le cadre de l’OTAN, obligée de défendre les visions turques même quand il s’agit de son contre-intérêt, passant dans la foulée Arméniens et Kurdes à la trappe d’une géostratégie discutable. Dans la collusion médias-politique, peu en France ont osé accusé la Turquie d’entretenir des liens troubles avec Daesh, alors qu’ailleurs, les médias anglais ou allemands ne se privent pas de souligner le rôle négatif de la Turquie et les amitiés obscures dans la région. Résultat, la France ne défend plus personne d’autre que les alliés inconditionnels de l’OTAN, Turquie, qui est membre, et ses satellites Saoudiens, Qataris et Israéliens, quitte à perdre son sens de l’équilibre.

  1. La France est (plus ou moins) pro-arabe

De part sa communauté arabe importante et sa vieille géostratégie gaulliste, la France a toujours eu un œil averti sur le Moyen-Orient, jouant les équilibres sans se positionner d’un côté ou de l’autre pour préserver des intérêts souvent contradictoires avec ceux des Américains ou des Russes. Tout comme elle a rallié l’Atlantisme, ce qui peut se comprendre, elle est aujourd’hui alliée à Israël, ce qui ne lui sert pas à grand-chose, ni économiquement, ni socialement, ni encore moins au niveau de la stabilité géopolitique. Energétiquement et financièrement faible, Israël se crée militairement plus d’ennemis que d’amis par sa politique d’occupation, Palestine et Golan, ce qui par les alliances contractées par la France, génère plus d’ennemis aux Français que d’amis. C’est dans le cadre toujours de l’Atlantisme qu’elle s’est alliée au Qatar et à l’Arabie Saoudite, certes pays arabes, mais qui constituent les royaumes les plus rétrogrades de la région, voire du monde, et qui freinent consciemment les ambitions démocratiques et républicaines des autres nations arabes progressistes. Le cauchemar palestinien, devant lequel la classe politico-médiatique française ferme en permanence les yeux, crée du ressentiment et en s’empêtrant dans une obsession qui n’est pas la sienne, renverser Bachar Al Assad tout en soutenant à perte ses ennemis sur le terrain comme Al Nosra, qui n’est autre qu’une filiale d’Al Qaïda, la France s’est embarquée dans une politique chaotique dont les effets se sentent sur le terrain, pays détesté au Moyen-Orient, hué en Russie, traité de caniche américain en Amérique du Sud et vilipendé en Afrique.

  1. La France est (un peu) catholique

Fille aînée de l’Eglise, la France avait su garder quelques idées morales, notamment sur le rôle du capital privé transnational dans la structuration de l’économie. Le Christianisme étant à l’origine contre l’usure, le prêt à intérêt et la spéculation financière. Son rapprochement avec les élites protestantes mondialisées a eu pour conséquence de détruire le tissu spirituel du pays et les valeurs du catholicisme, même si certaines sont fortement dépassées. On ne peut oublier le ressentiment des protestants envers les catholiques, ni ceux des juifs envers le France qui a déporté un grand nombre d’entre eux, ce qui a fait dire à Alain Finkelkraut, animateur radio et pilier médiatique à propos de la France : « Ce pays mérite notre haine. Ce qu’il a fait à mes parents était beaucoup plus brutal que ce qu’il a fait aux Africains. Qu’a-t-il fait aux Africains ? Il n’a fait que du bien.» (quotidien Haaretz, 18 novembre 2005). C’est dans ce cadre d’inimitiés ancestrales masquées que les lobbies marchands judéo-protestants ont qualifié de PIGS, acronyme méprisant (porcs, en Anglais), les pays catholiques, Portugal, Italie, Grèce et Espagne (Spain), auxquels la France s’incluse naturellement. Quatre pays au bord de la faillite, endettés jusqu’au cou et qui comme la France, utilisent les impôts sur le revenu de leurs citoyens pour ne payer que l’intérêt d’une dette qui croit inexorablement, payant d’une certaine façon leur alignement d’autrefois au Vatican. Ou pas.

  1. La France n’est pas (vraiment) européenne

Souverainiste, la France n’a jamais aimé que l’on prenne des décisions à sa place. Depuis son ralliement à la cause commune européenne, elle s’est retrouvé noyée dans des considérations bureaucratiques où elle du mal à faire entendre sa voix. Elle ne peut plus imprimer de monnaie alors que Bruxelles, Tokyo et Washington utilisent leurs planches à billets pour doper une fausse croissance. Ce n’est plus à Paris mais à Bruxelles que se décide ce qu’elle doit faire et de la destination de l’argent de ses contribuables, qui ont très bien compris de quoi il s’agit, le seul référendum populaire français concernant le maintien dans le cadre de l’UE ayant été sanctionné d’un « non », référendum remanié quelques temps plus tard pour faire passer un « oui » à l’arrachée. De fait, pieds et poings liés, la France se contente de regarder sa dette grossir tout en vantant officiellement les mérites de l’euro. Pendant que des pays européens se retirent de l’UE ou envisagent de le faire, la France a été obligée d’accepter de signer un prêt de 11 milliards d’euros à l’Ukraine par l’UE, là où les USA, pourtant à l’origine de la destitution du président élu Ianoukovitch, n’ont avancé qu’un seul milliard. Surtout, pendant que la Grèce, pourtant membre, à l’inverse de l’Ukraine, se voyait refuser un prêt de 5 milliards par la même UE.

  1. La France est (presque) nucléaire

En 1973, devant le choc pétrolier international, la France décidait d’investir à coup de milliards dans l’énergie nucléaire. En quelques années, la France deviendra, après les USA, la 1ère nation nucléaire et par rapport à son nombre d’habitants, le premier pays atomique de la planète, lui assurant une relative indépendance énergétique et donc une absence de filiation géostratégique sur la préservation des intérêts gaz-pétrole. Contrée par les lobbies environnementaux, la France recule sur le nucléaire, poussée de fait à resserrer ses alliances avec des pays producteurs d’énergie comme le Qatar et l’Arabie Saoudite ou l’Algérie dans une moindre mesure, mais paradoxalement hostile à la Russie, qui lui livrait pourtant 22% de son gaz. Là encore, ce sont ses alliances atlantistes qui la poussent à agir contre ses propres intérêts, menaçant sa sécurité énergétique.

  1. La France n’aime pas (forcément) l’OTAN

Les jeunes Français ne le savent peut-être pas mais la France n’est revenue au sein du commandement unifié de l’OTAN, dont sous la direction des USA, qu’en 2009, grâce à Nicolas Sarkozy qui a mis fin au Gaullisme, le général s’étant retiré de l’organisation en 1966 sur l’un de ses arguments : « La structure intégrée de l’Alliance engage la France contre son gré dans les guerres des États-Unis. » Une première fois rejetée par une motion de censure à l’Assemblée en avril 2008 par le parti socialiste, c’est François Hollande qui refuse le retour à l’époque dans le giron américain sur fond d’envoi de troupes françaises en Afghanistan, déclarant que « cette décision de revenir dans le commandement militaire de l’OTAN est fâcheuse ! », poursuivant par : « si notre pays renonçait à son autonomie de jugement au sein de l’Alliance, c’est l’ensemble de l’Europe – pas simplement la France – qui se trouverait en situation d’alignement sur les États-Unis. » Refourguée par Sarkozy toujours en mars 2009, la motion est finalement adoptée par l’Assemblée malgré le refus de Laurent Fabius qui déclare à l’époque : « Vous nous dites que la réintégration dans le commandement militaire va encourager la défense européenne, vous risquez au contraire de la tuer », ajoutant : « que vous le vouliez ou non, au Proche et au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, en Russie, en Afrique, si l’on sait demain que la France est rentrée dans le rang, et c’est ainsi que votre décision sera considérée cela portera tort à son influence. » Aujourd’hui 4ème force militaire de l’OTAN, la France assure 7,3% du budget de l’organisation, 5ème pays contributeur. Très démocratique, cette adhésion n’a jamais l’objet d’un référendum auprès des Français, pas même d’un sondage d’opinion.

  1. La France est (logiquement) rationnelle et (en théorie) souverainiste populaire

Depuis au moins 1637 et la publication de « Discours de la méthode », de René Descartes, ouvrage d’ailleurs sous-titré « Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences », la France est inscrite dans le cartésianisme et la rationalité. D’innombrables disciples du philosophe ont suivi ce courant en France, sur l’idée que l’homme est « substance pensante »  et peut accéder à la vérité par la raison, ce qui semble de moins en moins vrai aujourd’hui, où l’émotion télévisuelle a pris la place de la réflexion. De ce même côté de l’humanité, il faut peut-être rappeler ce qu’est la souveraineté populaire, soutenue par le suffrage universel, concept évoqué pour la première fois par Diderot en 1765 et instauré en tant que mode de scrutin en France dès 1792 (il ne comprenait pas le vote des femmes). Sauf qu’aujourd’hui, les traités, alliances, budgets, déclarations de guerres et choix économiques ne passent plus par la volonté populaire mais par un consensus fabriqué au sommet, au mieux adoubé par une Assemblée contrôlée par l’establishment et soutenue par un empire médiatique au service d’intérêts financiers et industriels. Les principes du discours de la méthode sont pourtant très simples, ils préconisent entre autres de « diviser chacune des difficultés que j’examinerois, en autant de parcelles qu’il se pourroit, et qu’il seroit requis pour les mieux résoudre » (en vieux Français, par Descartes). Ce qui rejoint les 10 points cités plus haut, ce dernier étant inclus. Ou pas.

Bref, la France est-elle Front National ?

Le faux jeu de l’alternance gauche-droite, deux faces de la même médaille qui sont d’accord sur les grands principes, et les alliances contre-nature ont fait de la France un pays dans lequel se reconnaissent de moins en moins les Français. Toutes ces raisons expliquent un peu le vote. Toutes ces raisons peuvent expliquer ce qui va suivre. Ou pas.