Coronavirus(4), le Sénégal en pleine psychose

Avec des contaminations de plus en plus nombreuses dues à la propagation du virus, le Sénégal impose des mesures exceptionnelles,

Par Momar DIENG (Dakar)

Un président de la République qui montre ostensiblement son refus de serrer les mains à ses interlocuteurs. Des déplacements protocolaires réduits au strict minimum. Deux ministres «suspects» indésirables à la table du conseil des ministres depuis leur retour du Salon international de l’Agriculture de Paris et une interdiction de sortie du territoire pour tous les autres membres du gouvernement. Des contrôles aux arrivées plus ou moins renforcés à l’aéroport international Blaise Diagne. Les autorités sénégalaises tentent de rassurer des populations inquiètes des tendances meurtrières d’une bête lilliputienne insaisissable et transfrontalière.

L’hospitalisation et la guérison du «patient 0», un ressortissant français vivant à Dakar et revenu de ses vacances en région Auvergne-Rhône-Alpes, combinées au nombre négligeable de cas signalés ou existants à l’échelle du territoire à ce moment là, ont renforcé le sentiment de confiance envers la stratégie des autorités et les compétences de l’équipe médicale du Service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Fann. Mais ce n’était que le début d’une course contre la montre dont on ne connaît pas la ligne d’arrivée.

Une posture présidentielle solennelle

Ecoles et universités fermées, manifestations publiques interdites, contrôles aux frontières renforcés Samedi 14 mars, en début d’après-midi, le président Macky Sall s’adresse à la nation, dans une posture un brin martiale, pour annoncer une batterie de mesures à la hauteur du danger qui s’est installé dans le pays.

Avec 26 cas de coronavirus recensés à cette date, le Sénégal est devenu le deuxième pays ayant le plus grand nombre d’infectés en Afrique Sub-saharienne après l’Afrique du Sud. Un scénario inimaginable quelques jours auparavant. Pour trois semaines, les écoles et universités publiques et privées de tous ordres sont fermées. Les formalités relatives aux pèlerinages aux lieux saints de l’islam et de la chrétienté sont suspendues avec de fortes probabilités d’être annulées pour cette année. Avec l’interdiction des manifestations et rassemblements publics jusqu’au 14 avril, la mise à contribution des unités de soins mobiles de l’armée dans la prise en charge des malades identifiés, l’annulation du défilé militaire prévu à l’occasion des soixante ans d’indépendance du pays, les autorités espèrent circonscrire les facteurs de dissémination du virus. Le contrôle des passages aux frontières notamment aéroportuaires a pris un sens particulier dans l’adresse du chef de l’Etat sénégalais. Hasard ou détermination, au moment du discours présidentiel, un Sénégalais venu de Barcelone à bord d’un vol de la compagnie Air Sénégal a été contrôlé positif au Covid-19 à l’aéroport Blaise Diagne. Il a été mis à l’isolement pour traitement.

Deux épouses contaminées

Ce basculement dans la psychose et dans une sorte d’état d’urgence non déclaré est intervenu après qu’un immigré sénégalais de retour d’Italie le 7 mars dernier a contaminé presque toute sa famille dont ses deux épouses à Touba, la ville-bourgade la plus peuplée du pays après Dakar, et fief de la puissante confrérie des mourides. Ce cas précis est d’autant plus inquiétant que le Dr. Abdoulaye Bousso, directeur du centre sénégalais des opérations d’urgences sanitaires (COUS), a révélé que l’immigré infecté a été en contact avec un stock d’au moins 71 personnes considérées désormais comme des sujets «à haut risque». La «traque» pour en retrouver une partie à défaut de mettre la main sur tous est certes lancée mais l’opération est loin d’être gagnée.

Comme dans toutes les situations de crise où l’attitude des populations est déterminante, le gouvernement sénégalais a mis en place une politique de communication qui semble globalement bien appréciée dans l’opinion publique. A rebours de l’opacité qui avait prévalu dans la gestion de l’Ebola, l’Etat déploie de vrais efforts de transparence qui placent le public au diapason de l’évolution statistique du nombre de malades quasiment en temps réel. A cet égard, le site internet du ministère de la Santé et de l’Action sociale joue le rôle de plateforme d’information et de communication à travers un «Point de situation» quotidien (ou non) sous forme de communiqué, des explications en image de «mesures simples pour éviter le coronavirus», la mise en service d’un «numéro vert gratuit» qui ne fonctionne pas toujours soit par saturation due aux appels, soit par défaut technique…

Des efforts de transparence

Cependant, il y aurait eu retard à l’allumage dans la prise de conscience du danger au sommet de l’Etat. Dans les colonnes du quotidien «L’Observateur», Dr El Hadji Seydou Mbaye, virologue sénégalais exerçant aux Etats-Unis, regrette la communication tardive des autorités avec le «patient 0». «(Le 2 mars) le ministre de la Santé (avait dit) qu’un suspect avait été détecté depuis le 28 février. (Mais) il n’a annoncé les résultats (concernant celui-ci) que le 2 mars. Or, pour obtenir un diagnostic fiable, cela ne doit pas prendre plus de 6 heures. (Alors) soit le dispositif était inefficace, soit les données étaient disponibles depuis longtemps mais cachées. Une communication préventive n’a pas été au rendez-vous.» Plus simplement, font observer d’autres sources, le ministère de la Santé voulait peut-être faire coïncider l’annonce exceptionnelle du premier cas de coronavirus au Sénégal avec la réunion du Conseil présidentiel extraordinaire qui allait se tenir justement ce…2 mars au palais de la république.

L’autre grand défi du gouvernement sénégalais concerne les moyens de travail peu importants dont disposent les personnels de santé en charge de la lutte contre le coronavirus. Le Président Macky Sall est dans une posture de principe en soutenant que «le Sénégal est prêt à faire face à cette situation.» «Il est impératif de préparer la prise en charge optimale des cas confirmés. Le Service des maladies infectieuses doit être renforcé, notamment en salle d’aspirateurs artificiels, par la mise à niveau d’équipements», disait-il à la réunion du Conseil présidentiel sur le coronavirus.

Le scénario du pire

Aux prises avec les réalités du quotidien, le Pr. Moussa Seydi, chef du Service des maladies infectieuses du Chu de Fann, poumon central de la lutte contre le coronavirus, n’en déplore pas moins, avec diplomatie, la faiblesse du nombre de lits pour les malades soumis à l’isolement – une quinzaine seulement. Ce à quoi le ministre de la Santé rajoute 259 unités disponibles en attendant la construction de 100 autres dans l’enceinte de l’hôpital pour enfants de Diamniadio, un joyau ultramoderne construit par les Chinois à une quarantaine de kilomètres de Dakar. Sera-ce suffisant pour endiguer une potentielle vague de nouveaux contaminés ?

Imaginer une épidémie de 1000 cas sur le sol sénégalais (à ce jour, il y en a 21) serait le scénario du pire, hélast probable. Les autorités sanitaires devaient se préparer à retrouver des patients dans toutes les régions en mettant en place des aménagements adéquats.

« Le Sénégal devra investir dans les structures de santé régionales et en formant les personnels» afin de décongestionner le Chu de Fann », explique le Dr Mbaye. Son diagnostic est rond : «Notre pays n’a pas le dispositif sanitaire nécessaire pour mieux cerner le virus et le stopper…» Mais il n’est pas question de renoncer au combat contre le Covid-19 car, avertit le Pr. Seydi, «si nous baissons les bras, nous risquons de nous retrouver du jour au lendemain dans une situation à l’italienne.»

Ennemi intérieur, le retour

A cet effet, le gouvernement envisage de livrer aux tribunaux les «colporteurs» de «fausses nouvelles» liées aux thèses sur le coronavirus et considérées comme relevant d’un complotisme capable de plomber la stratégie nationale d’éradication du virus. Cette tendance est très marquée sur les réseaux sociaux, comme elle l’est d’ailleurs sur d’autres sujets de politique internationale, d’économie, etc. Du reste, à l’annonce des premiers cas de contamination qui ont concerné des ressortissants européens (dont un Français et une Britannique) installés au Sénégal, des propos xénophobes avaient circulé pour fustiger ces «étrangers» «importateurs du virus» qui «mettent en danger» les populations locales. Mais quelques jours plus tard, des Sénégalais pure souche bon teint étaient déclarés atteints par le Covid-19…

Face à un «ennemi intérieur» insaisissable dont la capacité à défier les frontières a déjà floué une centaine de pays à travers le monde, le Sénégal se retrouve dans une situation de gravité inédite qui requiert des comportements exceptionnels dans toutes les franges de sa population. Y a-t-il même un autre moyen de s’en sortir ?