Au Burundi, la force prime sur la raison

Le bloggeur Jean-Marie Ntahimpera soutient l'opposition de Gervais Rufyikiri, vice-président du Burundi jusqu’en avril 2015 dans son refus de soutenir le président Pierre Nkurunziza qui brigue un troisième mandat en violation de la constitution.

L’article publié la semaine passée par Gervais Rufyikiri est le meilleur que j’ai lu sur l’histoire du CNDD-FDD. Je le recommande à toute personne qui aime le Burundi et que la politique burundaise intéresse. Je demanderai même à mes amis profs d’histoire et de science politique d’en faire une lecture obligatoire à leurs élèves.

Pourquoi est-il si important ? Parce que l’ancien deuxième vice-président de la République connait bien son parti qui domine la vie politique burundaise depuis déjà plus de 10 ans. Il en connait les déboires qu’il dénonce sans mâcher. La violence avec laquelle les opposants contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza ont été réprimés depuis plus d’une année n’est pas le fait d’un retournement ou d’un coup de tête, mais une violence systématique ancrée dans son idéologie visant le contrôle « total » du pays.

Un système foncièrement antidémocratique

Le système de gouvernement du Conseil National pour la Defense de la Democratie –Forces pour la Defense de la Democratue (CNDD-FDD) est un ensemble de principes hérités de la période de rébellion (1994-2003) et basés su la violence. Rufyikiri écrit :

Pendant la période de rébellion, lorsque les dirigeants donnaient des ordres, personne n’était autorisé à poser des questions comme «pourquoi» qui pourraient nuancer l’ordre ou contester l’ambition du chef. Seules les questions demandant des éclaircissements tels que «où» et «quand» étaient autorisés ».

Rufyikiri cite d’autres principes prédisposant et légitimant la violence comme “d’abord, exécute l’ordre et pose des questions après” ou “ Un chef non qualifié peut imposer son autorité sur les membres qualifiés en utilisant le fouet, et il peut éliminer physiquement ceux qui refusent de se soumettre ».

 Ces principes basés sur la loi de la jungle sont peut-être un mal nécessaire dans la rébellion. Le drame, c’est que, au lieu de les abandonner quand il a quitté le maquis, le CNDD-FDD a continué à les pratiquer après sa victoire en 2005.

Les implications de ce « système » basé sur la violence, est qu’il ne permet pas le débat, ni à l’intérieur du parti, ni dans ses relations avec les autres acteurs de la vie nationale et qu’il est contre les droits de l’homme. Et comme nous le savons, le débat et le respect des droits des individus sont le socle d’un pays démocratique.

A l’intérieur du parti, le système invite les militants à accepter sans discuter les décisions venues d’en haut, sinon ils doivent s’attendre aux représailles. C’est ainsi que, par exemple, ceux qui se sont prononcés contre le troisième mandat, y compris Gervais Rufyikiri lui-même, ont été limogés de leurs postes, effacés du parti et condamnés à l’exil.

Dans ses relations avec les autres forces du pays, le système prône la confrontation, la brutalité au lieu du dialogue. Les militants de partis d’opposition sont malmenés sur terrain, d’autres tués. C’est un système foncièrement antidémocratique, contraire à l’esprit de l’Accord d’Arusha signé en 2000, texte mère de la Constitution actuelle du Burundi, qui a mis fin a la guerre des années 1990 et qui lui prône le dialogue et la tolérance mutuelle entre les différentes composantes de la société burundaise.

Les intellectuels ne sont pas les bienvenus

Gervais Rufyikiri souligne que dans son ancien parti, les intellectuels ne sont pas du tout « acceptés », mais ils sont « tolérés » parce que le parti a besoin d’eux pour certaines missions ou certains postes. On comprend vite pourquoi. Un intellectuel est une personne pensante et dont la devise est : « du choc des idées jaillit la lumière ». Or, les idées qui ne viennent pas des chefs n’ont pas de place.

Ici, Gervais Rufyikiri parle d’une expérience personnelle caché derrière son analyse. Lui, détenteur d’un doctorat en Biologie, Agriculture et Environnement, était très marginalisé. Deuxième Vice-président de la République de 2010 à 2015, après avoir été président du Senat, le pouvoir avait besoin de lui pour négocier le déblocage de l’aide avec les donneurs internationaux. Un homme de dialogue, il bénéficiait même d’un grand respect chez l’opposition, qui aurait même voté pour lui si son parti l’avait présenté comme successeur de Pierre Nkurunziza.

Malheureusement, le parti était et est toujours contrôlé par des Généraux issus de la rébellion, qui se méfient de cet intellectuel conciliant, qui risquait de trop donner de l’espace à l’opposition. Au lieu de cela, pour boucler la boucle, le parti du président Pierre Nkurunziza, qui s’est progressivement constitué en parti parti-Etat, après avoir contraint l’opposition, la société civile et les journalistes a l’exil, vient de se doter d’introniser un Général en activité, Evariste Ndayishimiye comme secrétaire général. Histoire de serrer de plus en plus la militarisation du régime.

Après avoir lu les critiques par ailleurs très fondées de son parti ouvertement totalitaire, j’ai envie de demander à Gervais Rufyikiri : pourquoi as-tu servi ce « système » pourri pendant 10 ans ?

 

Jean-Marie Ntahimpera est un blogueur et analyste politique burundais. Il est cofondateur du collectif des blogueurs burundais Yaga