Algérie, le parcours sinueux de Belkacem Zeghmati

Conspué par les courants modernistes de la société et par les activistes du Hirak, cette mobilisation populaire qui n’a pas cessé depuis deux ans, Belkacem Zeghmati, ministre de la Justice, soutenu par une partie de l’appareil militaire, est donné comme possible successeur d’un Président Tebboune gravement malade et soigné en Allemagne. 

Belkacem Zeghmati, un magistrat aux ordres

Contrairement à ses prédécesseurs, l’actuel ministre de la justice en Algérie, Belkacem Zeghmati, n’hésite pas à prendre la parole en public, tantôt menaçant, tantôt conciliant. En pleine vacance du pouvoir qui ne dit pas son nom, Belkacem Zeghmati attend son heure. Plus l’absence du président Tebboune, hospitalisé en Allemagne depuis quelques longues semaines, se fait sentir, plus cet homme du système sent qu’il se rapproche du Palais présidentiel d’El-Mouradia. 

Les grands parrains de l’Armée qui rêgnent en maitres sur le bateau ivre algérien, feront tout pour maintenir le statu-quo. Mais jusqu’à quand ? Personne ou presque ne parle d’une Présidentielle, mais tout le monde y pense. L’armée algérienne qui détient le vrai pouvoir sait que cette situation ne peut pas s’éterniser. Aux yeux d’une partie des hauts gradés, Belkacem Zeghmati coche toutes les bonnes cases.

Le patron de l’ex DRS, le général Toufik,
instrumentalisait Belkacem Zegnmati

Ex joker des services secrets

Belkacem Zeghmati, 64 ans, est un pur produit de l’Algérie du parti unique. Diplômé de L’Ecole nationale d’administration (ENA) en 1981, il a commencé sa carrière comme juge du tribunal de Cherchell, avant d’être nommé procureur de la République dans plusieurs tribunaux: Batna, Sétif, Oran, Alger. 

Belkacem Zeghmati s’est fait connaître en 2013 en lançant des mandats d’arrêt internationaux contre Chakib Khelil, l’ex-ministre de l’Énergie, son épouse et leurs deux enfants. S’attaquer au meilleur ami du président de la république, il fallait effectivement bénéficier de quelques soutiens au sein de l’Etat profond.

Ce n’est pas tout. Le voici qui, à l’époque, sort les dossiers de la corruption de la Sonatrach, la grande société du pétrole et du gaz algériens) détentrice de la manne financière et qui est dirigée alors par les amis de la Présidence. De deux choses l’une, Belkacem Zeghmati jouait au nouveau Batman de l’Algérie ou représentait le dernier joker de l’ex DRS (services secrets algériens) qui cherchaient à marginaliser un président devenu encombrant. La seconde option est évidemment la seule crédible. 

Belkacem Zeghmati, victime de la guerre
entre le clan Bouteflika et l’ex DRS

Guerres de sérail

L’affaire Belkacem Zeghmati vs Chakib Khelil a secoué le pays, mais le clan des Bouteflika a tenu à l’époque, notamment grâce à l’appui d’un certain Gaïd Salah, alors ministre de la défense et ennemi constant de l’ex-patron des services, le général Toufik, qui sera démissionné en 2015.  

Remercié par Bouteflika et son frère Saïd, Belkacem Zeghmati est allé rejoindre la longue liste des victimes collatérales des guerres de clans entre les différents centres de pouvoirs en Algérie. Ses fameux mandats d’arrêt ont été révoqués en 2016 pour vice de procédure. Chakib Khelil a pu retourner au pays pour faire le tour des mausolées du bled, en tentant de devenir, mais sans succès, le ddauphin de son mentor, le président Bouteflika.

Aussi iconoclaste et cruelle soit-elle, la vie politique algérienne réserve bien des surprises : les bannis d’hier peuvent, à chaque crise ,redevenir des seigneurs… de façade.

Belkacem Zeghmati, le retour

Après la chute du clan Bouteflika, Zeghmati est réhabilité au coeur du pouvoir judiciaire dès le mois de mai 2019 comme procureur d’Alger, un rôle central dans l’emballement judiciaire que connait alors le pays. Avec un total opportunisme, le magistrat est récupéré pat les équipes de Gaid Salah pour pourchasser les hommes de l’ex DRS. D’où sa promotion, quelques mois plus tard , comme ministre de la justice et Garde des sceaux « .J’ai appris ma nomination au tribunal d’Alger en regardant la télé », avouera-t-il à ses proches.

Le possible futur Président n’est pas, pour autant, un dissident du système algérien, loin de là! Sous ses ordres, la justice a aussi condamné des leaders de l’opposition pour des motifs brumeux, des jeunes bloggers qui avaient le tord de se moquer des nouveaux responsables, et des manifestants du Hirak on ne peut plus pacifiques, ainsi que des journalistes un chouiya critiques vis à vis du pouvoir. Une façon de se concilier l’appareil sécuritaire.

Armée algérienne cherche
candidat à la Présidentielle

Jusqu’à présent, Monsieur Zeghmati refusait de communiquer, évitant les interviews à la presse ou à la télé, pourtant étroitement contrôlées par l’Etat.Mais Mr Zeghmati prend de plus en plus la parole, donne ses avis, menace pour prouver sa force, martèle qu’il s’est battu contre l’ancien système. On a finit par comprendre, le ministre de la justice veut devenir le premier procureur du pays. L’idée se propage, l’opposition affute ses armes, la société civile l’attaque sur les réseaux sociaux. Et l’armée n’a plus qu’à observer ce charivari qu’elle a joliment orchestré avant de prendre ses décisions finales.

Walid Nekiche torturé

Cette semaine a été rude pour Belkacem Zeghmati. D’abord secoué par l’affaire Walid Nekiche, du nom d’un de cet étudiant jeté en prison, puis torturé et enfin condamné, pour s’être moqué de « La Nouvelle Algérie ». Le procureur, sous les ordres du ministre de la Justice, avait requis la perpétuité en invoquant «, l’atteinte à l’intérêt du pays ». Après quatorze mois de détention, un procès suivi par les internautes algériens et un ultime retournement judiciaire, Walid Nekiche a pu quitter la prison ce mardi 2 février.

Condamné à six mois de prison ferme et une amende de 20.000 dinars par le tribunal de Dar El Beida à Alger, le jeune étudiant devenu une icone compte bien se battre pour faire valoir son innocence.

De la perpétuité à six mois ? Est-ce l’armée, pardon Zeghmati, qui a passé un coup de fil au juge du Tribunal pour se débarrasser de boulet? Le ton est monté d’un cran quand Walid Nekiche a affirmé avoir subi des tortures physiques et sexuelles durant ses interrogatoires. La toile s’enflamme, l’opposition sort ses armes.

Première à tirer, l’opposante politique, Zoubida Assoul, dont on connait les liens avec les services algériens, version DRS, a exigé la démission de Zeghmati. Selon l’avocate « le ministre de la Justice aurait dû ordonner au parquet général d’ouvrir une enquête préliminaire sur l’affaire de la torture et des services sexuels subis par Walid Nekiche ». 

Accès de colère

Au lieu de répondre à ces accusations, Mr Belkacem Zeghmati a préféré les ignorer,  car il a été formé à la bonne école. Au lieu de recevoir Walid Nekiche et tenter de désamorcer cette affaire qui a marqué le pays, le ministre de la justice a préféré continuer ses discours de campagne. Le dernier en date risque de se retourner contre lui. Devant les caméras pour vanter la politique de «  dé-bureaucratisation » de la « Nouvelle Algérie », il a rappelé que désormais « le certificat de nationalité et le casier judiciaire ne sont plus exigés dans la constitution des dossiers administratifs ».

Puis, pris d’une étrange colère, ce magistrat sans états d’ame mais sans grand sens politique, alors que le Hirak menace d’investir à nouveau les rues lorsque l’épidémie du Covid se sera éloignée, a menacé de sanctionner les personnes qui n’appliqueraient pas la loi : « Je jure par Dieu que si des informations me parviennent à propos d’une administration qui s’est rendue coupable d’une action visant à saboter la relation entre l’Etat et le citoyen, que je mettrai ce responsable en prison. Je suis responsable de mes propos. Je vais ordonner au procureur de le mettre en prison ».La vidéo est devenue virale.

« La justice du téléphone »

Pour les internautes quelle aubaine ! C’est l’aveu par le ministre de la justice que la justice n’est pas indépendante et qu’elle procède encore par ordres, les Algériens appellent ça «  la justice du téléphone ». Dans Maghreb Emergent, l’ancien juge Abdellah Haboul, estime que les propos de Zeghmati sont « une dérogation de l’obligation de réserve et surtout du populisme »

.Cette critique, naturellement pertinente, n’est pas forcément de nature à disqualifier Zeghmati aux yeux des décideurs de « l’Algérie Nouvelle », dont certains n’ont rein appris, rien oublié depuis la fin des années Bouteflika. Le ministre de la Justice a choisi son camp. Les paris sont ouverts sur son avenir présidentiel.

La promotion de ce pur produit du système algérien signerait un impossible compromis entre l’institution militaire et le peuple algérien.

10 Commentaires

  1. Un petit dictateur qui s’arroge le droit de privation des libertés… même le tristement célèbre Taib louh était passé par là…

  2. La dangereuse dérive de Belkacem Zeghmati dévoile la véritable nature du régime algérien : autoritaire, arbitraire et irrationnel. Un régime qui veut, qui peut, mettre n’importe qui à n’importe quel moment et pour n’importe motif un citoyen en prison. Horrible.

  3. Par ses méthodes Zeghmati a affirmé que la justice algérienne est une véritable « Justice du Téléphone ». Les juges ne sont que des fonctionnaires au service du décideur politique. Ils n’ont aucune autonomie ni aucun libre arbitre !!!

  4. Zeghmati est uniquement motivé par une vengeance personnelle envers le clan qui l’avait écrasé que de rétablir un état de droit comme sa fonction l’exige !!

  5. Pourquoi cet acharnement contre le ministre? Vous l’accusez de choses que vous ne pouvez prouver. Le problème de l’Algérie ce n’est pas le pouvoir et encore moins son armée. Son problème ce sont des gens qui ne sont là que pour détruire ce qui a été construit !!

  6. Et que dira Macron quand son ami le courageux teboune sera évincé en tant que façade civile du régime militaire d’Alger ?! Sinon comment les généraux vont procéder cette fois-ci pour désigner un nouveau président ? En organisant un suffrage populaire ou en faisant un conclave entre eux au ministère de la défense ?!! Un régime militaire sans aucune assise populaire (contrairement aux autres régimes dictatoriaux comme Sissi ou Erdogan qui peuvent mobiliser des dizaines de milliers de leurs citoyens dans les rues du Caire ou Ankara) face à 44 millions d’Algériens au bord de l’effondrement économique et le crash qui arrive à vive allure!!!

  7. Dans la période de vide du pouvoir qui existe en Algérie, un certain
    nombre de ballons d’essai sont tentés autour de candidats possibles à la succession de Tebboune
    Des noms sont jetés en pâture soit pour tester leur popularité, soit pour les
    discréditer. Mais en France aussi, beaucoup de politiques sont donnés comme de possibles
    candidats à la Présidentielle, font un tour de piste et disparaissent
    IL reste que l’actuel ministre d ela Justice est actuellement un poids lourd de la vie
    politique algérienne et vaut qu’on se penche sur son parcours

  8. Bonjour, est ce que ce nouvel article invalide “définitivement” votre précédente information sur le même sujet, décrite sous “Algérie, Sid-Ahmed Ghozali, le retour”?

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