Alger, l’ombre de Gaïd Salah sur la succession en Algérie

Trois mois seulement après sa prise de fonction, Abdelmadjid Tebboune, le Premier ministre algérien, a été limogé. Et cela dans un contexte politiquement tendu dans une Algérie tétanisée par la succession d'un Bouteflika totalement diminué et absent.

Pourquoi Tebboune a été remercié aussi rapidement de son poste de Premier ministre en Algérie? Plusieurs explications circulent sur ce limogeage brutal. D’abord, le Premier ministre débarqué a joué avec le feu en croyant s’imposer comme un chevalier blanc. « L’erreur de Tebboune est sa brutalité contre les hommes d’affaires et à leur tête Ali Haddad, le patron des patrons algériens », confie un proche de l’ancien Premier ministre. « Fraîchement nommé,  il a voulu démontrer qu’il est le véritable patron en écartant trop hâtivement les oligarques les plus influents. Il n’a même pas essayé de ménager quelques-uns ou de pactiser avec certains d’entre-eux contre d’autres. Il a tout simplement déclaré la guerre à tout le monde », nous explique la même source.

« Donquichottisme » dangereux. 

Mais le Premier ministre aussi vite disparu du paysage qu’il y était apparu, n’a rien voulu entendre. Après avoir senti un début d’adhésion populaire, Tebboune a encore accéléré ses attaques contre ces oligarques qui s’impliquaient ouvertement dans les affaires du gouvernement. Il tente ainsi de paralyser Ali Haddad, un des plus puissants hommes d’affaires du pays, à coups de mises en demeure. Il balaie d’un revers de la main l’héritage d’Abdesslam Bouchouareb au ministère de l’Industrie et bloque ainsi plusieurs projets d’usine de montage des véhicules. Il s’en prend enfin au très juteux secteur agroalimentaire en ciblant la richissime famille des Benamor.

La pugnacité de Tebboune lui vaut un succès populaire, mais provoque indirectement le regroupement hostile de tous les oligarques qui ont actionné leurs relais dans le pouvoir algérien. « Derrière chaque oligarque, il y a un clan politique. Ses riches hommes d’affaires redistribuent le gâteau à leurs amis politiques qui les protègent et soutiennent. Tebboune a sous-estimé cette dimension politique et tout un appareil au sein de l’Etat s’est mis en branle pour le déstabiliser », révèle anonymement le membre du bureau politique d’un parti très influent à Alger.

C’est, ensuite, Saïd Bouteflika qui est monté au créneau pour exprimer son désaccord avec le « cavalier solitaire » Tebboune. Le frère du Président, confient ses proches, a surtout été scandalisé par le « populisme économique de Tebboune ». « Dans les ports, les marchandises étaient bloquées suite à des mesures radicales prises sans aucune concertation. Les banques ne savaient plus à quel saint se vouer. Les partenaires étrangers ont pris peur et les chancelleries ont réclamé des éclaircissements à la Présidence. Saïd Bouteflika ne pouvait plus se taire et rester silencieux », nous assure un homme d’affaires ami et habitué des salons fréquentés par les membres du clan présidentiel.

Bronca générale

Les oligarques finissent par convaincre Saïd Bouteflika d’entrer en jeu. Tebboune a commis l’erreur stratégique d’ ignorer Saïd Bouteflika. Pis encore, il explique à son entourage qu’il n’a aucun compte à lui rendre. Les diplomates français ne comprennent guère le choix de Tebboune comme Premier ministre, alors que son prédécesseur Sellal, si bienveillant avec les Français, semblait solide et fiable.

Sentant le danger, Tebboune tente une ultime parade en rencontrant Edouard Phillipe le 7 août dernier. Histoire de rassurer les Français et leur promettre de belles perspectives de collaboration. Mais cette rencontre n’a pas suffi pour calmer les craintes des partenaires français. Les chinois sortent de leur silence et rencontrent des ministres algériens ainsi que des conseillers de la Présidence pour obtenir des explications sur le nouveau cours de la politique  économique.

De l’étranger, Tebboune minimise les risques de sa chute. Il croit savoir que l’institution militaire dirigée par le général-major Ahmed Gaïd Salah le « protégera de manœuvres clandestines de ses ennemis », croit savoir un responsable au FLN. Il faut dire que Gaïd Salah n’aime guère le parvenu qu’est Ali Haddad, non sans de solides raisons, et les autres oligarques nouvellement riches.

Guerre de succession

Plus généralement, le patron de l’armée algérienne manifeste de plus en plus son désaccord avec les partisans de Saïd Bouteflika. Le vieux général ne veut pas d’une succession de type monarchique, où le frère du président jouerait un des tout premiers roles.

Comme un certain Amar Saâdani, ancien secrétaire général du FLN,  Tebboune a cru que son rapprochement avec Ahmed Gaïd Salah pourra lui permettre de résister aux assauts de son adversaire. Saïd Bouteflika ainsi que ses alliés finissent par exécuter Tebboune avant même la rentrée sociale qui s’annonce chaude pour éviter tout risque de débordements.

Pour ménager une partie de la hiérarchie militaire, la présidence algérienne nomme Ahmed Ouyahia, proche de l’ancien DRS, qui a un talent indéniable pour ne se brouiller avec personne. La parenthèse de Tebboune refermée, la question de la succession d’Abdelaziz Bouteflika est plus que jamais en suspens…