Un pouvoir tunisien silencieux face au terorisme

Comment le pouvoir tunisien ose-t-il encore faire la sourde oreille face à la grève de la faim qu'observe l'avocate Radhia Naraoui pour réclamer une protection policière pour son époux Hamma Hammami menacé de terrorisme?

Icône des combats pour la liberté et contre la torture qui continue, hélas, d’être pratiquée en Tunisie, l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui a entrepris une grève de la faim depuis plus quarante jours, qui met sa vie en danger, pour réclamer des conditions élémentaires de sécurité pour son époux, Hamma Hammami, leader de la gauche tunisienne. En effet cette grande figure de la vie politique à Tunis est aujourd’hui menacée par les terroristes, ceux là même qui ensanglantent Barcelone, Nice, Paris ou  Londres.
Des menaces réelles
Cette revendication ne renvoie pas à des fantasmes de militants déboussolés, mais à des certitudes émanant, depuis au moins quatre ans, des services de renseignement tunisien. Dès 2013 Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, deux des proches amis politiques d’Hamma Hammami, ont été assassinés par ces cellules ddjihadistes particulièrement actives dans la Tunisie post révolutionnaire. Par un étrange retournement de l’Histoire, la gauche tunisienne qui s’est toujours battue contre l’emprisonnement et la torture des islamistes est plus menacée par les extrémistes religieux que les anciens partisans de Ben Ali et de Bourguiba.
Dans sa générosité, la femme digne qu’est Radhia Nasaraoui ne réclame pas une telle protection pour elle même alors qu’on la sait menacée elle aussi.
                                                      Un révolutionnaire de la dernière heure
Le président tunisien Beji Caîd Essebsi a bien reçu quelques représentants de la société civile venus défendre la cause de ce couple admirable; mais aucune mesure sérieuse n’a été prise depuis. L’actuel chef de l’Etat tunisien qui a profité du changement révolutionnaire de 2011 pour accéder aux plus hautes fonctions sans jamais contribuer, ni de près, ni de loin, à la Révolution, refuse aujourd’hui à ces militants exemplaires les moyens d’échapper aux menaces. Voici un homme sans mémoire, enfermé dans le Palais de Carthage et qui oublie que lui même, lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2014, était menacé par le terrorisme. Que fit-il alors? On le vit tendre la main à ses amis émiratis qui lui ont alors offert une magnifique voiture blindée pour le protéger des tueurs. Contre quels engagements à ce pays étranger? On ne le saura jamais.
De tous les combats

 

Faut-il  appeler que ces deux amoureux de la liberté, Radhia Nasaraoui et Hamma Hammami, furent de tous les combats, de toutes les révoltes salutaires contre l’oppression, cela depuis l’Indépendance de la Tunisie. Leur audace fut constante, leur détermination restée intacte. Parfois, la belle démocratie tunisienne a lé mémoire courte. Dès l’âge de vingt ans, Hamma Hammami était torturé sous Bourguiba, alors qu’un certain Beji Caïd Essebsi était ministre de l’Intérieur.

Sous Ben Ali, un Hammami poursuivi dut se réfugier dans la clandestinité pour préserver son intégrité. Et l’ensemble de sa famille était harcelé, persécuté par une police omniprésente, Radhia Nasraoui trainée dans la boue et leurs enfants marginalisés dans les écoles. Quelques jours avant la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite, le leader actuel de la gauche tunisienne était arrêté par la police secrète du régime qui aurait pu, si les événements avaient mal tourné, le liquider. Que faisait, que disait alors l’actuel Président de la République? Juste rien, son silence durant cette période décisive fut assourdissant.

Sous le rêgne de Ben Ali, le seul mérite au fond de ce révolutionnaire par défaut fut d’être démis de ses fonctions de président de la’Assemblée. Et pour une raison dont il ne se vante guère, à savoir qu’à l’époque il entretenait des relations discrètes avec les services français. Ce qui mit Ben Ali,dûment informé par son ministre de l’Intérieur, dans une colère noire.
Lutte contre l’obscurantisme
Depuis la Révolution de janvier 2011, Rhadia Nasraoui et Hamma Hammami refusèrent toutes les fonctions officielles. Lorsque un Beji Caïd Essebsi, devenu Premier ministre en mars 2011, tout à son rève de devenir comme Bourguiba le père de la Nation, proposa au leader de la gauche tunisienne un poste de ministre, ce dernier refusa tout net. Pas question de participer à un gouvernement d’union nationale dont le programme ne serait pas clair sur le terrain économique et social.
Plus tard et alors que le mouvement islamsite Ennahdha était au pouvoir, ces deux combattants de la liberté que sont Radhia et Hamma bravèrent encore et toujours les forces obscurantistes qui tentent d’imposer des valeurs salafistes à la société tunisienne et ont assassiné en 2013 leurs plus proches amis politiques. Comment ignorer que ces postures courageuses mettent leur vie en danger? Quant à Beji qui, président, a fait des Frères Musulmans d’Ennahdha ses alliés, et plus encore son bouclier, contre les périls terroristes qui guettent la Tunisie, il ne court plus grand danger d’attentat.
La République tunisienne, célébrée avec juste raison pour la transition démocratique qui a été menée depuis 2011, doit rester digne du modèle qu’elle a construit avec tant de talent et de courage durant ces six dernières années.
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)