Tunisie, Abdefattah Mourou « Des Salafistes violents, c’est inacceptable»

A supporter pastes a presidential election campaign poster of Abdel Fattah Morou, vice-president of the moderate Islamist party Ennahda in Tunis, Tunisia September 2, 2019. REUTERS/Zoubeir Souissi

Abdefattah Mourou, avocat de Tunis et homme de consensus, est désormais le candidat officiel du mouvement islamiste Ennahdha pour les élections présidentielles du 15 septembre 2019 avec de réelles chances de figurer au deuxième tour..

Nous l’avions interrogé, en 2016, sur le bilan d’Ennhadha. Cet entretien reste toujours d’actualité, tant il s’exprime avec vigueur, traitant par exemple Moncef Marzouki de « piètre politicien »

Engagé dès 1964 au sein de « l ‘association de sauvegarde du coran », embryon de la mouvance islamiste en Tunisie et co-fondateur du mouvement Nahda en 1989 en compagnie de son frère ennemi, Rachid Ghannouchi, l’avocat Abdefattah Mourou occupe une place singulière dans la vie politique tunisienne.  Longtemps ce tunisois chaleureux et cultivé semblait avoir pris ses distances avec son propre mouvement. L’ancien Président Beji, lorsqu’il  avait tenté, alors Premier ministre,  de constituer en mars 2011 un gouvernement d’union nationale lui avait même proposé un poste de ministre.

Élu vice président de l’assemblée tunisienne ce dialecticien habile, que ses adversaires décrivent parfois comme un tartuffe, pourrait bien être présent au deuxième tour de l’élection présidentielle qui se joue cet automne 2019 en Tunisie. 

Dans sa maison des environs de Lamarsa, le cheikh Mourou, barbe taillée et lunettes cerclées, avait reçu Mondafrique voici quelques années.

« JE SUIS PARTISAN DE LA MODERNITE, DE LA LOI, DE L’ORDRE ».

MONDAFRIQUE. Vous avez créé avec Rachid Ghannouchi le MTI en 1981, puis le mouvement Nahda en 1989. C’est même vous qui avez conservé le récépissé des deux démarches. Pourtant sous le règne du président Ben Ali, où vous avez continué à exercer sous surveillance policière votre métier d’avocat, vous avez semblé vous éloigner du mouvement islamiste. Après la révolution du 14 janvier, vos relations étaient très distendues avec Ghannouchi. Vos liens se sont-ils effectivement resserrés, ces derniers mois, avec le patron du mouvement islamiste ?

A.M. Les gens d’Ennahdha m’avaient un peu délaissé (rires).  Quand Ghannouchi est rentré en février, je me suis précipité à l’aéroport pour rencontrer mon ami. Mais personne pour m’accueillir ; seul le planton de garde m’a encouragé à entrer dans la salle d’attente. Quand Ghannouchi s’est avancé vers moi, ma joue a frôlé la sienne trois ou quatre secondes. Puis on me l’a arraché, on l’a éloigné de moi. J’ai attendu une semaine qu’il me fasse signe. Pourtant, nous étions intimes autrefois. J’ai même présenté sa femme à Ghannouchi. Je m’occupais autrefois des cours à la mosquée, du sport, des déplacements à la mer, pour un groupe de jeunes femmes. J’ai marié beaucoup de dirigeants de Nahda.

Après le 14 janvier 2011, des jeunes et les anciens détenus ont été seuls à être cooptés au sein d’un comité de 57 personnes. Je n’en étais pas. Un seul critère semblait l’emporter combien d’années de prison vous avez fait ! Pour diriger le pays, ce n’est pas pertinent.

Je reste une des toutes premières personnalités de Tunisie, je suis incontournable. Regardez, lorsque je sors, les voitures s’arrêtent, les gens me tendent la main. Le 14 juillet à la réception de l’ambassade de France, j’étais le leader politique le plus salué de l’assistance, Ghannouchi n’était pas venu. Au congrès de juillet 2012, j’ai été applaudi cinq minutes quand je suis entré dans la salle, le Premier ministre de l’époque, monsieur Jebali, avait du interrompre son discours J’ai été élu à la quatrième place parmi les cinquante titulaires du Majis el Choura.

 Je suis là pour que le mouvement évolue, pas pour faire le jeu de gens qui se font passer pour démocrates alors que ce sont des dictateurs.

MONDAFRIQUE. Le 6 aout 2012, alors que vous donniez une conférence à Kairouan sur « la tolérance en Islam », un jeune qui s’est fait passer pour un salafiste vous a violemment agressé, en vous frappant au crâne avec un verre à la main, alors que vous défendiez la liberté de parole d’un des intervenants. Que pensez vous de l’attitude du gouvernement islamiste de l’époque?

A.M. J’étais véritablement inquiet de la position de Nahda à l’égard des salafistes. Et je le leur avais clairement dit. Lorsque ces extrémistes s’en prennent violemment à des citoyens tunisiens, comme ils l’ont fait pour moi, ce n’est pas acceptable. Pourquoi ne pas le dire plus fort ? Lorsque nous étions au gouvernement, nous avions eu une réunion de travail toute la journée avec le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice. Et je leur ai dit, « vous gouvernez depuis des mois, vous devez agir contre ce fléau salafiste, cet islamisme de droite qui gangrène la société ». Ils m’ont rétorqué : « Ce ne sont pas nous qui relâchons les agresseurs, ce sont les juges ».

MONDAFRIQUE. Est il vrai qu’il a existé vraiment des camps d’entrainement pour les salafistes quand le mouvement Ennahdha dirigeait le gouvernement en 2012 et 2013, comme Mondafrique l’avait à l’époque annoncé?

A.M. Des camps pas vraiment, disons des demi camps. Je crois savoir que des armes circulaient. Dans les années 80, Salah Karkar était déjà partisan de répondre à la répression par la violence. Ce n’était pas le projet de Ghannouchi, ni le mien. Nous ne voulions pas prendre le pouvoir par les armes.

Avec la Révolution, il faut aller au bout de notre logique. Le mouvement de prédication qu’a été Nahda doit se transformer en mouvement politique. Tout doit changer. L’islam se renouvelle chaque siècle. Certains dans le mouvement ne l’ont pas accepté, comme monsieur Chourou.

Il existe au sein de Nahda des groupuscules salafistes qui sont autant de points d’appui pour certains dirigeants qui n’ont que leurs croyances à mettre en avant. Seule l’Arabie Saoudite est un modèle pour eux. Ces cheikhs wahabites veulent introduire de nouvelles formes de prière, des sujets qui ne nous intéressaient pas en Tunisie. Nous étions tranquilles depuis mille années au moins !

MONDAFRIQUE. Pourquoi n’avez vous pas été emprisonné sous Ben Ali ?

AM.  Ben Ali avait fait le choix d’emprisonner l’appareil de Nahda et d’isoler les figures politiques comme moi. Ainsi j’étais en résidence surveillée avec constamment quatre policiers à mes basques. Lorsque je me rendais au tribunal, deux voiture m’accompagnaient, l’une devant, l’autre derrière. Aujourd’hui, deux groupes s’opposent: d’une part, les gens de la machine du parti, qu’ils aient été exilés ou emprisonnés, de l’autre,  les partisans, comme moi, de la modernité, de la loi et de l’ordre.

MONDAFRIQUE. Quel est le positionnement de Ghannouchi entre modernistes et rétrogrades?

A.M. Ghannouchi veut être l’homme du centre, proche de tous. Cela, on ne peut pas le faire toujours. S’il survient un affrontement, soit il prendra position, soit il sera brulé.

MONDAFRIQUE. Pourquoi tant d’ironie de votre part à l’égard d’un soulèvement contre Ben Ali que beaucoup en Tunisie considèrent comme une Révolution?

A.M. Je ne suis pas sur que le 14 janvier ait été une journée révolutionnaire. Il y avait 5000 personnes avenue Bourguiba face à un dictateur défendu par 3000 policiers. En fait, ce sont les Américains qui ont interféré et fait passer le message à Ben Ali : on ne vous soutient plus, sortez du pays, on vous mettra dans un pays acceptable. Ce qui a été fait, car Ben Ali n’a jamais été un homme, mais un esclave, d’abord de sa femme, Leila Trabelsi, mais aussi de son fils, qu’il observait quatorze heures par jour.

MONDAFRIQUE. Nous sommes en 2016. Accepteriez vous d’être candidat aux prochaines Présidentielles de 2019?

A.M. On verra le moment venu. Pour l’instant, c’est monsieur Marzouki, un grand militant des libertés dans l’opposition, mais un piètre politicien. Pour diriger un pays, il faut faire du zig zag, vendre et acheter, être capable, au gré des événements, d’évoluer, de changer d’opinion parfois. Lui fonce directement sans réfléchir. Il n’agit pas pour que le poste éminent qu’il occupe soit respecté.