Moscou et Alger: une histoire d’amour tourmentée

La relation qu’entretiennent les militaires algériens avec les Russes depuis la guerre d’indépendance jusqu’au voyage du Président Tebhoune ces jours est forte et ancienne. Encore que, contrairement à un cliché facile, les rapports entre Alger et Moscou ne sont pas et n’ont pas été toujours cordiaux. Historiquement, l’Algérie s’était rapprochée des thèses non-alignées Yougoslaves et essayait de maintenir de bonnes relations avec les deux camps.​

L’URSS n’avait soutenu la Révolution algérienne que tardivement. Krouchtcheven effet  voulait ménager le Général De Gaule et le conforter dans sa troisième voie. Ce ne fut que vers 1960 qu’il y a eu reconnaissance du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA) par Moscou et un début de coopération, notamment dans les domaines militaires et du renseignement. Cela donnera la première génération de marins, d’aviateurs et d’officiers supérieurs de l’Armée Nationale Populaire et les premières promotions des services de renseignements de l’Algérie indépendante. Une promotion, appelée « Tapis Rouge », comprendra même l’encadrement de la « Sécurité militaire » qui perdurera jusqu’aux années 2000.

La clarification des années 1970-1980


Très tôt l’armée algérienne opte pour le modèle du Pacte de Varsovie pour se construire un système de défense sans risque de rupture des approvisionnements comme cela aurait pu être avec les USA. Lesquels ont fréquemment utilisé l’armement comme instrument de sanctions politiques envers ses alliés du tiers-monde.

À partir des années 70 et en particulier après la guerre du Kippour, la relation entre l’Algérie et l’URSS a connu une clarification. Trois grand axes sont apparus.

-l’excellence des relations entre les deux armées dans le domaine de la formation et de l’équipement

-le refus systématique de l’Algérie d’accueillir une base militaire soviétique sur ses terres, malgré l’insistance de Moscou.

la poursuite des achats d’armes de l’ANP auprès du complexe militaro-industriel soviétique perdure après l’effondrement de l’URSS.


Il reste que les services de renseignement algériens ont pris leurs distances avec leurs homologues du KGB . Les intérêts de la Sécurité Militaire (SM) privilégiaient à l’époque les relations avec la France et la gestion de la nationalisation du pétrole.

L’irruption des services algériens durant les années 80 dans les conflits au Moyen-Orient et le conflit ouvert entre la SM et le Mossad, n’ont pas favorisé les liens entre les Algériens et les soviétiques. La guerre d’Afghanistan relance un peu la coopération. Les soviétiques étant très intéressés par l’infiltration des groupes de volontaires arabes qui ont rejoint le Pakistan afin de faire le coup de feu aux côtés des Mujahidines Afghans. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, les services algériens font le pari d’un rapprochement avec la DST en France et la CIA après le 11 septembre 2001.

Une relance de la coopération en 1995

Face à de nouveaux défis après l’invasion de la Crimée et l’instauration de sanctions internationale contre la Russie, Poutine a saisi l’opportunité du départ en 1995 du puissant patron de l’ex Département du renseignement et de la sécurité (DRS) le général Mohamed Mediène ,alias Toufik, pour retisser des liens.

La visite en janvier 2018 en Algérie de Nikolai Patrushev, patron du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie et coordinateur de ses services de renseignements, a été le coup de départ d’un renouveau entre les services des deux pays. Coopération dans le domaine de la formations, mise en place d’une base de données commune, échange d’informations et unifications des procédures ont eu lieu suite à cette visite. La Russie étant à la recherches d’alliés sur les nombreux fronts qu’elle a ouverts, en Afrique à travers le travail de Wagner en Centrafrique, au Soudan, en Libye puis au Mali et d’appuyer sa présence en Syrie.


Patrushev jouera un rôle important avec d’autres leaders politiques russes pour une réconciliation entre les deux pays. On notera le rôle important joué par Valentina Matvienko, Présidente de l’assemblée fédérale Russie, qui avait effectuée deux visites en Algérie, Alexander Mikheev, cheville ouvrière de la vente d’armes à l’Algérie et grand facilitateur et défenseur de ses achats stratégiques et Dmitri Shugaev, Directeur du Service fédéral de coopération militaro-technique, qui a rang de Ministre et qui a joué le discrèt rôle d’intermédiaire entre Vladimir Poutine et les deux patrons successifs de l’ANP, Ahmed Gaid Salah et Saïd Chengriha. Cette intensification de la relation politique, voulue par Moscou atteindra son pic en 2020 avec l’invitation officielle et le programme spécial de feu Abdelkader Bensalah, alors Président par intérim aux cérémonies du 75 ème anniversaire de la victoire à Moscou. Bensalah n’avait pas pu s’y rendre à cause de son état de santé. La visite de Abdelmadjid Tebboune, prévue pour le mois de décembre à Moscou devrait, selon les indiscrétions d’officiels russes, marquer ce processus de rapprochement.

Le dossier épineux du gaz


Aux yeux des Russes, le dossier du gaz fait de l’Algérie un concurrent, voir un ennemi. L’Algérie a dès les années 70 fait irruption sur le marché du gaz et de manière prémonitoire a investi dans la liquéfaction ainsi que dans des gazoducs reliant l’Europe à l’Afrique. Cette stratégie avant-gardiste s’est révélée très menaçante pour les intérêts russes et l’utilisation par Moscou du gaz comme arme dans la poursuite de sa politique étrangère.

Dans cette compétition, l’Algérie a fait bande à part face à la Russie. Le récent rapprochement entre l’Algérie et l’Italie et les promesses algériennes d’augmentation des livraisons de gaz vers ce pays sont autant d’accords qui mettent à mal  la Russie dans son bras de fer avec l’Union Européenne. L’Algéri, bouée de sauvetage pour l’Union Européenne cet hiver.-, ne s’inscrit évidemment pas dans la guerre que mène aujourd’hui Vadimir Poutine 


La relation entre l’Algérie et la Russie connait quelques sérieux désaccords: la présence russe en Libye; le choix du Président Tebboune d’apporter un soutien à la Turquie dans le conflit libyen; la présence de la société Wagner sur l’ensemble du Mali.

Les BRICS, qui représentent 40% de la population mondiale et qui regroupent notamment la Russie et la Chine, militent pour un monde multipolaire qui ne serait plus dominé par les puissances occidentales

Autre motif de tensions avec la Russie, l’Ukraine. L’Algérie qui n’a jamais reconnu la souveraineté russe sur la Crimée, continue à abriter une ambassade d’Ukraine et préférerait ne pas jouer les acrobates lors des votes de résolutions de l’ONU. Alger se retrouve devant le choix difficile de répondre aux appels du pied de la France, de l’Italie et des Etats-Unis, tout en  consolidant ses relations avec la Russie et en rejoignant une économie mondiale alternative autour des Brics (1).

Le président Abelmadjid tebboune devra trancher après sa visite à Moscou à la fin de l’année.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)