La Mauritanie tentée par le modèle angolais

Le général Gazhouani, qui remplaça l’ex président Aziz à la tète de la Mauritanie lors de l’été dernier, est en train de mettre en cause l’héritage de son prédécesseur et d’encourager des enquêtes sur sa gouvernance. A la façon de Joao Lourenço en Angola

Le sort réservé aux deux anciens chefs de l’État, l’Angolais José Éduardo Dos Santos et le Mauritanien Mohamed Abdel Aziz, par leurs successeurs, qu’ils avaient nommément choisis, présente d’évidentes analogies. Ne serait ce que parce que Aziz et Dos Santos ont pillé leurs pays respectifs au point de se rendre totalement impopulaires. Ce qui rend le droit d’inventaire plus que légitime.

Pour cette seule année 2019, l’Etat angolais a ainsi réussi à récupérer plus de 5 milliards de dollars de fonds détournés, d’après ce qu’a annoncé Francisco Queiroz , ministre angolais de la Justice.

Corruption, népotisme, détournement

Le vieil autocrate José Éduardo Dos Santos, chef de l’État durant 38 ans, avait dirigé son pays comme une entreprise privée. Ses enfants, José Filomeno et Isabel, son clan familial et les  apparatchiks du MPLA ainsi que quelques courtisans étrangers avaient bénéficié de la corruption généralisée, du népotisme caricatural et du détournement massif des deniers publics. Une situation que la Mauritanie a connu sous le règne du président Aziz pendant dix ans.

Évidemment les marchés publics angolais étaient de gré à gré et les principaux opposants obligés de prendre le chemin de l’exil, leurs biens et propriétés étant saisis avec l’assentiment d’une justice aux ordres. Des mandats internationaux étaient même lancés contre certains opposants. Ce qui sera le cas en Mauritanie où plusieurs figures de la vie publique et politique sont condamnés à l’exil et spoliés de leurs biens, comme Mohamed Bouamatou, l’ancien patron des patrons mauritaniens, qui devra se réfugier au Maroc.

Joao Lourenço, du temps au temps

Dans l’ombre de José Eduardo Dos Santos, le dauphin désigné, Joao Lourenço, entreprit sa lente ascension vers le pouvoir, avec patience et prudence. L’Histoire nous rappelle que les intrépides échouent souvent dans leur entreprise de conquête du pouvoir. Une fois que José Édouard Dos Santos ait remis les clefs du pouvoir à Joao Lourenço, qui fut son loyal ministre de la Défense et comme lui un officier supérieur aguerri, le climat entre les deux « amis de trente ans » devint de plus en plus tempétueux.

Progressivement, la gestion cataclysmique du dictateur et les scandales de sa gouvernance furent mis à jour. Les condamnations judiciaires se sont multipliées. José Filomeno et ses amis sont aujourd’hui en prison, Isabel a été dépossédée de son empire financier et notamment la Sonagol, la tirelire de l’ancien régime. Les partisans de José Éduardo Dos Santos ont été, les uns après les autres, écartés du MPLA et bien évidemment du gouvernement et des postes importants de l’Armée et de l’Administration. Cette épuration a pris plus d’une année.

José Dos Santos vit désormais en exil à Barcelone.

Le début de la fin d’Aziz

Le retour tumultueux au pays de Mohamed ould Abdel Aziz cet automne ne restera pas sans suite. L’ » ami de 40 ans » de l’actuel chef de l’État a eu tort de ruer dans les brancards. le président Mohamed ould Ghazouani pourrait bien passer la vitesse supérieure dans un inévitable processus de clarification, sans précipitation ni faiblesse.

Comme ce fut le cas au MPLA angolais, les caciques de l’Union pour la République ( UPR), le parti au pouvoir en Muaritanie, vont devoir faire, sans délais, allégeance au chef de l’État élu par le peuple. Les récalcitrants qui maintiennent encore leur soutien à l’ancien président ne devraient pas être reconduits, lors du prochain congrès. à encore, la patience et la prudence seront la marque du nouveau président mauritanien.

Quant à l’Armée, il y avait manifestement urgence à agir. Il va de soi que, contrairement à certains démentis de circonstance, le limogeage du Commandant du Bataillon de la sécurité présidentielle, la veille de la commémoration de l’indépendance à Akjoujt, n’est pas anecdotique. De même, les mutations au sein de plusieurs corps de l’Armée nationale qui viennent de se faire ne trompent guère. Il y avait urgence.

Pour le gouvernement et l’Administration, façon Joao Lourenço, la reprise en mains se faire à un rythme de croisière, bien dans la façon du président Ghazouani, plus proche du judoka que du boxeur.

La future traversée du désert

L’apaisement et la réconciliation nationale, qui sont au coeur du programme du nouveau chef de l’Etat mauritanien,  ne s’accommoderaient pas avec ce qui pourrait apparaître comme des règlements de compte. La situation de l’ancien chef de l’État dépendra probablement de son comportement et de celui ses derniers fidèles. Nul doute qu’un exil intérieur et la condition de retraité de la vie politique lui seront difficiles à supporter.

Comme pour José Eduardo Dos Santos, ce sera probablement l’exil pour Mohamed ould Abdel Aziz. Il ne serait pas surprenant que l’ancien aide de camp et tombeur de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya ne s’établisse à Dubaï, proche du Qatar où vit l’exilé qui a écrit les pages les plus tragiques de l’Histoire de son pays. C’est aux Emirats en effet, un paradis fiscal hors pair, qu’Aziz a placé l’essentiel de la fortune qu’il a volée au peuple mauritanien

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)