Tunisie, l’argent émirati parasite le débat politique

Les Emiratis qui veulent couper les ailes de leurs frères ennemis qataris sont prèts à tout pour modifier à Tunis les règles du jeu politique qu’ils jugent trop favorables aux Frères Musulmans d’Ennahdha proches de Doha.

Le secrétaire général du mouvement Machrou’ Tounes et ancien bras droit du président tunisien Beji Caïd Essebsi, Mohsen Marzouk, dont les ambitions présidentielles sont transparentes, apparait de plus en plus comme inféodé aux Emiratis, après avoir obtenu des foncions honorifiques et bien rémunérées au Qatar dans les années 2007-2010. Les proches de Marzouk participent en Europe et dans les pays du Golfe, y compris le Bahreim, une aimable dictature sunnite, à des colloques financés par les monarchies pétrolières et dénoncent le jeu supposé trouble du Qatar dans le terrorisme.

Des fonds secrets

D’après ses sources sécuritaires algériennes, les Emiratis poussent leurs alliés en Tunisie à nouer des alliances politiques décisives pour bousculer les majorités existantes. Les pourparlers avec l’ancien Premier ministre tunisien Mohdi Jomaa ont été engagés. Marzouk et Jomaa cherchent à élargir des assises politiques encore étroites, face à l’alliance objective qui existe depuis 2015 entre Nida Tonues, le  parti du président Beji Caïd Essebsi  et Ennahdha, le mouvement islamiste de Ghannouchi.

Les Emiratis et les Séoudiens se dient prêts, via notamment une boite de consulting en Belgique, à financer massivement leurs amis tunisiens s’ils parvenaient à écarter définitivement les Frères Musulmans de Rached Ghannouchi. Des fonds venus du pays du Golfe avaient été distribués durant la campagne présidentielle de 2014 au profit du président Beji. Les Emiratis espéraient alors, mais à tort, que le chef d’état actuel s’éloignerait, une fois élu, des islamistes nahdhaouis.

Course de vitesse

Il s’agit pour les monarchies pétrolières anti Qatar d’agir avant les élections municipales tunisiennes de mai prochain qui pourraient voir les islamistes d’Ennahdha marquer des points. L’ancrage du mouvement, renforcé par une politique clientéliste de nominations dans la fonction publique qui ne s’est jamais démentie depuis le printemps tunisien de 2011, reste profond dans la Tunisie de l’intérieur aujourd’hui en crise. Le compromis historique avec le parti présidentiel Nida Tounes du président Beji pourrait leur assurer, dans le cadre du scrutin proportionnel des municipales, un certain nombre de postes à la tète des municipalités du pays.

C’est de cet enracinement des frères Musulmans dans le paysage politique tunisien dont les Emiratis et leurs amis ne veulent à aucun prix.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)