Sahel, le risque d’une guerre civile généralisée

Au Sahel où le conflit armé dure depuis 2012, le plus grand  risque  aujourd’hui est ‘’la guerre de tous contre tous’’,  évoquée par Thomas Hobbes au XVII siècle, qui se profile au Sahel mais existe déjà en Libye. Une chronique de Ahmedou Ould Abdallah, ancien représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies et Président du Centre4s, Nouakchott,

L’annonce de troupes turques, ou financées par Ankara, rejoignant sur le terrain libyen celles soutenues par d’autres états du Moyen orient, mène vers l’anarchie décrite par Hobbes. Elle peut inquiéter mais ne saurait surprendre les pays du Sahel qui doivent, avec leur allié français se réunir le lundi à Pau, France.

Avec ces nouveaux enjeux, hautement plus stratégiques que ceux du Sahel – parce que méditerranéens, moyen orientaux, pétroliers et Est / Ouest – le Sahel risque de n’être plus qu’une des Annexes d’un ordre du jour international bien chargé. S’en plaindre n’est pas une solution. Y faire face avec lucidité peut constituer un début de réponse.it

L’ennemi d’un bon plan est un plan parfait

C’est ce que notait, déjà von Clausewitz plus pragmatique que perfectionniste. Quelques observations avant un bon plan.  D’abord, il importe de noter qu’avec une  crise qui se prolonge, la méfiance devient le facteur dominant et avec elle la peur. Chaque partie, armée ou pas, a peur de celle d’en face fut elle bien plus faible. Ensuite, plus un conflit dure – comme ceux de Libye et du Sahel – et plus il s’enracine davantage, générant les causes de son auto financement et de son expansion géographique. Il devient une activité lucrative pour tous et pas uniquement les rebelles. Se transformant en business, il est alors une source de revenus financiers et de prestige politique pour chaque partie. Il tend alors à se perpétuer.

Par ailleurs et pour de multiples raisons – sensibilités politiques, personnalité etc – la prolifération des médiateurs tend à aggraver la sévérité d’un conflit, contribuant, souvent involontairement, à en éloigner les perspectives de règlement. Coordonner les approches et les actions de ces médiateurs est plus facile à dire qu’à mettre en œuvre. Harmoniser leurs politiques, ou plus modestement leurs approches sous le leadership d’un envoyé spécial des Nations Unies, reste l’idéal. Un idéal souvent torpillé, démagogie ou amateurisme, perversion ou naïveté.

De la Libye au Sahel, des vases communicants

Précisément, du fait de ces contradictions et incohérences, souvent difficiles à gérer, le conflit s’étend à des régions géographiques non encore affectées.  Il engendre alors plus de difficultés aux autorités officielles et à leurs alliés tout en assurant plus de prestige aux rebellions. Des  activités opportunistes – trafics de cigarettes, drogues, migrants, transferts de devises, prospèrent et alimentent toutes les parties au conflit. Dans plusieurs types de ces crises, y compris celle du Sahel, se confronter le jour n’exclue pas, le soir venu, une coopération lucrative entre combattants ou leurs représentants.

Entre la Libye et le Sahel c’est, depuis le régime de Kadhafi, la loi des vases communicants qui se poursuit. Au Sahel, on feint d’ignorer et même d’occulter cette réalité malsaine. A présent, avec l’entrée de la Turquie en Libye, qui y rejoint deux ou trois autres pays du Moyen Orient, l’internationalisation de ‘’la guerre de tous contre tous’’ est confirmée.

Avec le sommet Russie – Afrique de Sotchi en octobre dernier, des relents de guerre froide se confirment. Celui de l’Otan en décembre 2019 à Londres, en abordant le Sahel a corsé cette évolution.

Ce contexte diplomatique constitue- il une chance pour le Sahel et la France afin d’accélérer la résolution de la crise ? Ou une catastrophe avec de nouveaux réfugiés, des armes et d’autres dommages collatéraux?

Le lézard ne grimpe sur un mur lisse

Quand bien même certains de ses dirigeants ont une très bonne connaissance de la réalité de la crise et de ses enjeux régionaux et internationaux, le Sahel reste indigent diplomatiquement et militairement. Dans une ère de recherche de résultats, se  plaindre ne suffit plus et la victimisation, n’apportant pas de solution, affaiblit puisqu’elle freine les initiatives et la dynamique de l’effort.

S’enfermer dans ces carcans idéologiques en ignorant 60 ans d’indépendance et donc de responsabilité politique, fut elle à minima, n’aide pas non plus. Cette mode politique fragilise les cohésions nationales et le moral des armées où elle sème les doutes dans les rangs. Pire, elle revigore les rebellions. Au contraire, plus de rigorisme dans la gestion de nos pays et moins de dogmatisme véhiculé par les réseaux sociaux, confortent les ingrédients de la réussite.

Le puissant développement d ces réseaux sociaux dans le Sahel y compris les   Fakenews affecte, et on le sait, les politiques internes mais fragilise aussi, et on le sait moins, les alliances politico militaires. Dans des régions où la liberté  de l’information est récente et les rumeurs très appréciées, cette nouvelle dimension de la communication a des effets dévastateurs sur la conduite des états particulièrement en temps de conflit. Les responsables politiques et militaires seraient bien imprudents de l’ignorer.

A cet effet, et pour une plus grande efficacité, les soutiens extérieurs – diplomatiques et militaires – doivent venir en appui aux seules politiques qui visent une plus forte cohésion nationale. Aucune politique militaire ne peut réussir si le front intérieur est lézardé. ‘’Le  lézard ne grimpe pas sur un mur lisse’’ dit-on en Afrique me disait l’ancien président Eyadema du Togo. Aplanir la scène politique intérieure est un ingrédient contre les incursions armées.

L’exemple mauritanien

Il s’agit de rassurer durablement les régions à particularismes et les groupes d’intérêts politiques, économiques et sociaux. Ce sont là des étapes obligées en temps de guerre L’élargissement et la consolidation de la base politique et sociale des gouvernements, comme l’initie le président Ould Ghazwani en Mauritanie, est à promouvoir dans l’urgence.

Elle devrait être proclamée et soutenue par les chefs d’états réunis lors des discutions à huis clos au sommet de Pau. Avec réalisme et courage, la résolution des crises malienne et burkinabè, priorités du Sahel, est possible. Elle devrait hâter le règlement des conflits au Sahel, laissant la Libye au ‘’Moyen orient compliqué’’ et aux énormes enjeux qui y sont liés.

Agir autrement c’est laisser le sommet de Pau donner raison à Hobbes et ‘’aux guerres de tous contre tous… quand la vie devient  horrible, brutale et courte’’.

VOICI LA VERSION ANGLAISE

In the Sahel, where an armed conflict has been ongoing since 2012, today, the greatest risk is  »the war of each against all ». The widespread civil war situation evoked by Thomas Hobbes in the 17th century looms over the Sahel and  already exists in Libya.

The statement about Turkish troops, or financed by Ankara, joining on Libyan soil those supported by other Middle Eastern states, leads to the anarchy described by Hobbes. It may be a cause for concern, but it cannot surprise the Sahel countries, which, together with their French ally, should meet on Monday 13 January in Pau, France.

With these new issues, which are highly more strategic than those of the Sahel – as they are related to the Mediterranean, Middle East issues, oil and East/West rivalry – the Sahel risks becoming just one item of the Annexes of a full international agenda. Complaining about it is not a solution. Addressing it with lucidity may offer the start of a response.

‘’The enemy of a good plan is a perfect plan’’.

That was already noted by the more pragmatic than perfectionist von Clausewitz.  And the following are few observations before a good plan.

First, it is important to note that with a protracted crisis, mistrust becomes the dominant factor and with it fear. Each side, armed or not, is fearful of its adversary even if it were much weaker. Second, the longer a conflict lasts – like those in Libya and the Sahel – and the more it becomes much further entrenched, generating the causes of its self-financing and its geographical expansion. It becomes a lucrative activity for all and not just the rebels. Turning into a business, it provides financial income and political prestige to each party. It therefore tends to perpetuate itself.

Moreover, and for number reasons – political sensitivities, personality, etc. – the proliferation of mediators tends to aggravate the severity of a conflict and thus often contribute, unintentionally or not, to deviate its prospects of a final settlement. Coordinating the approaches and actions of these mediators is easier said than done. Harmonizing their policies, or more modestly their approaches under the leadership of a UN special envoy, remains the ideal. An ideal often torpedoed by demagoguery or amateurism, perversion or naivety.

Precisely, because of these contradictions and inconsistencies, which are often difficult to manage, the conflict extends to geographical regions not yet affected.  It then creates more difficulties for the official authorities and their allies while ensuring more prestigeto rebellions. Opportunistic activities – trafficking in cigarettes, drugs, migrants, currency transfers, thrive and fuel all parties to the conflict. In many types of these crises, including the Sahel one, armed confrontation in the day does not exclude, in the evening, lucrative cooperation between combatants or their representatives.

Between Libya and the Sahel, all sorts of communications have been ongoing since the Gaddafi regime. In the Sahel and elsewhere, many pretend to ignore and even hide this unhealthy reality. Now, with Turkey’s entry into Libya, thus joining two or three other Middle East countries, the internationalization of  »the war of each against all » is thus confirmed.

With the Russia-Africa summit in Sochi last October, there are emerging similarities to the cold war. The Nato’s December 2019 summit in London had a word on the Sahel that may add to those cold war similarities.

Is this diplomatic context an opportunity for the Sahel and France to speed up the resolution of the crisis? Or is it a disaster with new refugees, more weapons and much more other collateral damage?

The ‘lizard does climb on a smooth wall’.

Even though some of its leaders have a very good knowledge of the reality of the crisis and its regional and international issues, the Sahel remains indigent diplomatically and militarily. In an era of results-seeking, complaining is no longer enough and victimization – providing no solution – weakens as it slows down initiatives and the dynamics of effort.

To lock one country in these ideological shackles by ignoring 60 years of independence and therefore of political responsibility – even at a minimum –  does not help either. That political fashion undermines national cohesion and the morale of armies where it sows doubts through the ranks and files. Worse, it reinvigorates rebellions. On the contrary, more rigorism in the management of our countries and lesser dogmatism, fast spread by social networks, reinforce the ingredients of success.

The powerful development of these social networks in the Sahel, including Fakenews, affects, and it is known, internal policies but also weakens, and that is lesser known, military political alliances. In regions where freedom of information is recent and rumours are highly appreciated, this new dimension of communication has devastating effects on states’ management particularly in times of conflict. Political and military leaders would be very unwise to ignore this context.

To this end, and for greater efficiency, external assistance – diplomatic and military – should support only policies aimed at greater national cohesion. No military policy can succeed if the internal front is cracked.  »The lizard does not climb on a smooth wall » as often told to me by the late President Eyadema of Tog. Softening the domestic political scene is an ingredient against armed incursions.

The ultimate objective is to provide lasting reassurance to regions with particularisms and also to those political, economic and social interest groups. These are obligatory steps in times of war. The widening and consolidation of the political and social base of governments, as initiated by President Ould Ghazwani in Mauritania, is to be promoted urgently.

It should be proclaimed and supported by the heads of state gathering at the closed-door Pau Summit. With realism and courage, the settlement of the Malian and Burkinabe crises, priorities of the Sahel, is possible. It should hasten the resolution of conflicts in the Sahel, leaving Libya to the ‘’complicated Middle East’’ and the enormous issues associated to it.

Doing otherwise is to let the Pau summit prove Hobbes right and  »the war of each against all… when life becomes nasty, brutish and short ».

By Ahmedou Ould Abdallah, president centre4s