Un monde multipolaire (3), la France n’est plus audible

Comment expliquer la sidération qui rend aujourd’hui la France muette – ou bien ses dirigeants inaudibles ? La chronique de Xavier Houzel

Les cent dernières années (de 1920 à 2020) ont achevé de détruire l’image que les Français avaient d’eux-mêmes et de l’Europe. L’Hexagone est réduit à lui-même et à quelques îles, d’abord. Et ses hôtes n’ont pas pris conscience, non plus, de la métamorphose dont ils ont été l’objet sur une période de soixante ans (de 1963 à 2023), en réalité, une dégringolade du haut de la pile au bas de l’échelle.

L’année mil neuf cent-vingt avait vu la fin des trois Empires – l’Allemand, l’Austro-Hongrois et l’Ottoman – avec la création de nouveaux États et l’octroi de mandats attribués au Moyen-Orient par la Société des Nations (SDN) à la France et à la Grande-Bretagne. Les Américains et l’Union Soviétique s’étant partagés le monde à la Conférence de Yalta (4 -11 février 1945). La seconde guerre mondiale ayant fini sans traité de paix et l’Union soviétique étant entrée en guerre contre le Japon, Roosevelt et Staline se voyaient déjà aux antipodes d’un univers bipolaire qu’ils voulaient continuer de contrôler ensemble… sachant que le premier qui rirait aurait une tapette !

Un certain Charles de Gaulle

Le conflit japonais se termina par le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki (les 6 et 9 août 1945). Personne ne dit rien. On se partagea l’Allemagne en quatre zones d’occupation. La France, pourtant battue à plate couture, fut considérée comme une grande puissance en raison de son Histoire (et du siècle des Lumières), à cause de ses colonies et grâce, surtout, à la « prestation » du général de Gaulle, ce qui lui vaudra d’être membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ses élites ne réalisèrent pas alors à quel point cela n’avait tenu qu’à un « fil » !

Il y aura, après, la Guerre d’Indochine (sans le moindre « coup de main » main » de l’Amérique à Diên Biên Phu, qui eût changé beaucoup de choses), puis l’humiliation de Suez, la Guerre d’indépendance d’Algérie et la dé-colonisation (encouragée par les « deux grands », l’un se disant communiste et l’autre disant être le chantre de la Liberté (comme la statue) ! La création d’Israël en Palestine provoquera la controverse – et des guerres. La Chine sortit de ses parenthèses pour déployer ses ailes sur le tiers-monde, à elle offert pour le pillage. Et la Russie ressurgit en 1991 des braises rouges de l’Union Soviétique.

À la suite de De Gaulle – une sorte de séisme à lui seul –  trois présidents de la République  (Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand) s’étaient appliqués à gérer le passage de la chenille tricolore qu’était la France à l’imago de papillon d’Europe, dont elle prendrait l’allure. Sous son bouclier immobile, le mystère de sa chrysalide est entier. La France, soudain, n’est plus pareille. Fragilisée, toujours prétentieuse, privée de son espace vital, …vassalisée !

L’explication de texte

Quatre facteurs ont contribué à rendre le pays et ses habitants méconnaissables. L’impotence leur est tombée dessus, de la veille au lendemain (à l’échelle du temps géopolitique). A l’exception de la Pologne, dont le sang bouillonne, ses émules continentaux connaissent le même sort, qui est celui de la vieillesse. La faible réaction des Français aux évènements d’Ukraine traduit le niveau d’insensibilité qui est devenu le leur.

Le premier facteur est d’ordre météorologique. La France est frappée comme les autres de plein fouet par le dé-réglement climatique. Le phénomène fausse l’équilibre méditerranéen (la terre, l’eau, la température et la vie) en créant des flux migratoires dont personne ne mesure encore la portée. D’ici à un quart de siècle, le Français de souche à la troisième génération sera minoritaire en France. A Paris, comme dans toutes les grandes villes, des quartiers entiers sont peuplés de Français qui parlent encore mal la langue, voire ne la parlent pas. Le communautarisme s’installe dans le pays.

Le deuxième facteur est d’ordre démographique. Ce n’est pas un corollaire du premier ; les deux ont une résultante commune. La France et la Russie avaient le même nombre d’habitants à la veille de la Révolution Française. La population française était de 28 millions en 1790. Au début du règne de Catherine II, en 1762, on estime à 19 millions le nombre de ses sujets, et ce chiffre passe à 28 millions en 1782, mais à 36 millions en 1795, après l’invasion de l’Ukraine (déjà) et l’annexion du Khanat de Crimée.

Plus significatif encore, en 1830, au moment où les Français débarquent en Algérie, il n’y a là que 2,5 millions d’habitants ; au moment de l’indépendance, 132 ans plus tard, il seront 9 millions d’Algériens musulmans, mais ils seront  plus de 46 millions en 2023 (dont 700.000 nationaux habitant en France). À ce rythme-là, l’Algérie dépassera la France en nombre d’habitants autour de 2040. Imaginons que la progression démographique ait suivi dans l’ancienne métropole la même courbe qu’en Algérie depuis 1830, le nombre de Français serait aujourd’hui passé, des 33 millions d’alors, à 607 millions ! Comme la population chinoise (1,4 milliards) pourrait baisser de moitié d’ici la fin du siècle, la France serait deux fois plus habitée, en 2100, que l’empire du milieu ! Ce qui serait aberrant.

Le dé-réglement démographique fausse toute projection possible, même à court terme. La posture démographique réelle de la France est mauvaise ; elle ne maintient son niveau que par l’immigration ; c’est une nation qui se meurt à petit feu ; peut-être se saborde-t-elle inconsciemment comme d’autres avant elle ?

Le troisième facteur de transfiguration est le progrès ! Qu’elles soient d’ordre  technologique ou sanitaire, les découvertes, les inventions, la méthodologie – l’innovation en général – accélèrent l’évolution des comportements sociétaux.  La révolution technologique bouleverse l’organisation du travail et les rapports humains. La pénibilité globale du travail et, partant, la valeur du travail ne sont plus les mêmes.

À titre d’exemple, le moteur à explosion et l’hélice, à la fin du XIXème siècle, l’électricité et l’électronique (le téléphone), la maîtrise de l’atome et le recours à la physique quantique, ajoutés à l’automation ont  permis l’industrialisation sous toutes ses formes civiles et militaires, sachant que les armes que l’on a connues seront sans rapport avec ce qui nous attend avec l’intelligence artificielle. Le phénomène est universel, mais pas également ressenti : d’immenses régions du monde sont à la traîne. Coupée des anciennes colonies, qui en faisaient des agents responsables, les Français sont de plus en plus égocentristes. Leur durée de vie a été doublée en moins d’un siècle. Avant, tout le monde était jeune. Depuis mai 68, la famille est éclatée, la jeunesse revendique.

Le quatrième facteur est d’ordre culturel et spirituel. La fin de la chrétienté a coïncidé avec le triomphe du mariage pour tous. Le vide du polyamour s’est installé, qui ne gêne pas mais qui ne satisfait personne, pas même les poètes (qui disparaissent). Les jeunes se marient moins ou beaucoup plus tard et ne procréent plus. Chacun a sa propre idée de la démocratie. Le système des réseaux sociaux détrône le parti, l’église, la mosquée, la famille.

Faut-il détecter dans ce délitement un signe de décadence ? 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)