Emmanuel Macron se métamorphose en avocat de l’Afrique

Dans son interview exclusive du mardi 14 avril 2020, donnée à Radio France Internationale, le président Macron a repris sa robe d’avocat pour s’ériger en défenseur de l’Afrique, face aux ravages qui risquent de se produire dans la plupart des Etats du continent. Pour combien de temps? Ce soutien soudain à la santé de l’Afrique passe par une révision de la politique africaine de la France, centrée sur des interventions militaires, qui reste à faire.

Ce large tour d’horizon du président français, le premier après le début de la déclaration de la pandémie du Covid-19, était attendu mais aussi un peu craint, tant le discours d’Emmanuel Macron est souvent technocratique, peu empathique et surtout sans perspectives concrètes et mesurables. Tel ne fut pas totalement le cas. Le chef de l’Etat français s’est engagé à défendre la cause des pays les plus fragiles et à venir en aide aux économies déjà largement défaillantes.

1/ l’allègement du fardeau de la dette

 
En attendant que les bailleurs s’entendent pour un effacement total de la dette ou, tout au moins, un allongement important des échéances des remboursements du capital, le président Macron s’est engagé pour un moratoire du service de la dette.  L’annulation du paiement des intérêts de la dette est déjà à l’ordre du jour des institutions de Bretton Woods. Lors de la réunion du G20 des ministres des finances, tenue le 15 avril 2020, un accord a été obtenu pour suspendre temporairement le service de la dette des pays les plus pauvres, jusqu’au 31 décembre 2020.  

Le FMI a annoncé le 13 avril une aide d’urgence pour 25 pays du Sud dont 19 africains, afin d’annuler pour six mois le remboursement des intérêts. Ces aides sont financées par le Fonds fiduciaire de riposte aux catastrophes( ARC), doté aujourd’hui de 500 millions de us dollars. Le président français n’a pas  précisé si la France avait contribué à ce fonds. On peut aussi se demander s’il sera suivi dans cette indispensable bouée de sauvetage  lancées aux économies africaines dont certaines sont déjà affectées par la crise pétrolière  ? Les décisions  bilatérales risquent fort d’être privilégiées. Quant à la Chine, qui a largement creusé  les dettes des pays africains, représentant près de 40% de l’ensemble de la dette africaine soit environ 150 milliards de us dollars, une annulation lui ferait perdre toutes les compensations économiques et politiques qu’elle tire aujourd’hui de cette dette africaine. Enfin, ces aides ponctuelles vont-elles contribuer à maintenir à flots les budgets de l’Etat ou être siphonnées par les habituels canaux de détournements de fonds et être des aubaines pour les dirigeants corrompus ?

2/ le multilatéralisme en question


Le président Macron est toujours un ardent défenseur du multilatéralisme, même si celui-ci montre d’inquiétantes défaillances et remises en cause, comme celles de Donald Trump avec l’Organisation mondiale de la santé.
Dans son interview, Emmanuel Macron cite certaines institutions mondiales et des fonds fiduciaires connus comme le Gavi, pour les vaccinations, et le Fonds Mondial (sic).

Cette évocation du Fonds Mondial n’a pas étonné que le journaliste de RFI. Comment le Fonds mondial dédié au Sida, au Paludisme et à laTuberculose peut-il être utilisé pour lutter contre le Covid-19 ? Certes la France est très impliquée dans le financement de ce fonds -1 million d’euros par jour- mais cette évocation montre soit une grave ignorance soit une tentative d’habillage pour embellir l’action de la France.

Il y a lieu de rappeler que ces fonds fiduciaires, très soutenus dans les médias, souffrent parfois d’un manque de transparence. Les scandales, dans plusieurs pays africains, des démembrements locaux du Fonds mondial gérés par les autorités gouvernementales ( ex comité national de lutte contre le sida), ne sont pas exceptionnels.

3/ la coopération sanitaire

La France a la réputation d’avoir un des  systèmes de santé et des centres de recherche parmi les meilleurs au monde. Cela est probablement vrai. La coopération sanitaire avec l’Afrique est très importante notamment en termes de formation, de transfert de technologie et d’échanges entre instituts de recherche, notamment entre les instituts Pasteur du réseau international et les CHU. Avec raison, le président Macron a rappelé ces fructueuses relations.

Néanmoins, en Afrique, l’étonnement est grand de voir la France être dépourvue de masques, de tests et de matériels de protection. Les Africains constatent avec inquiétude que les aides que la France pourrait apporter risquent d’être hypothétiques. Par ailleurs, les déclarations d’un professeur de médecine et d’un directeur de recherche médicale, très présents dans les médias, proposant d’ expérimenter en Afrique des tests concernant des thérapies anti Covid-19, ont soulevé des indignations unanimes. Le coup porté à la coopération sanitaire avec la France est rude. Il a contraint le chef de l’Etat à s’en excuser dans son interview. Curieusement ces deux cas de racisme avéré n’ont pas été sanctionné comme il se devait.

Le président a également tenu a apporter sa considération au professeur Didier Raoult, exemple contraire aux deux adeptes de la bien pensance dont l’arrogance n’a d’égale que leur bêtise. Didier Raoult, le professeur Toubab né à Dakar, est lui  » un Africain » . Il poursuit imperturbablement sa trajectoire, avec une coopération exemplaire entre son institut  universitaire de Marseille et des centres universitaires africains. N’a-t-il pas nombre de spécialistes africains dans son institut de Marseille ? Comme quoi il y a le pire et le meilleur dans les relations franco-africaines.

4 / les économies chancelantes 

Ce sera certainement le volet le plus délicat que celui d’éviter l’effondrement total des pays les plus fragiles. Dans cette entreprise de tentative de « réanimation »,  le risque est grand de s’appuyer sur des régimes totalement discrédités par leur peuple en raison de la corruption endémique, les détournements de fonds publics, les tripatouillages des élections maintenant des autocrates au pouvoir pendant des dizaines d’années, méconnaissant avec cynisme les droits de l’homme et du citoyen et bénéficiant du soutien de la communauté internationale.

Certes,  on ne change pas de capitaine du navire en pleine tempête, mais l’actuelle crise devrait permettre un minimum d’ingérence dans ces régimes totalement anachroniques.

On aurait aimé que le président Macron ait donné des avertissements à ces dirigeants, avant de participer au sauvetage des économies de leur pays. Le statu quo n’est plus admissible et leurs adeptes le payeront après le tsunami qui arrive.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)