Macron et les présidents africains : je t’aime, moi non plus 

Beaucoup plus jeune que la plupart de ses homologues africains, le président français Emmanuel Macron peine à construire avec eux des relations de travail apaisées. Dans les codes des chefs d’Etat africains, on doit le respect aux ainés, porteurs de sagesse et d’expérience..

 

Le président congolais Denis Sassou N’guesso n’avait pas participé aux obsèques de feu Idriss Déby Itno organisées le 20 avril dernier à N’Djamena pour ne pas rencontrer son homologue français Emmanuel Macron. Sassou n’a pas apprécié que Macron ne lui ait même pas adressé la simple lettre de courtoisie diplomatique pour saluer sa réélection. Moins d’un mois plus tard, le même président Macron envoie au même Sassou une lettre d’invitation à participer au Sommet de Paris sur les économies africaines. Invitation assortie d’un dîner à l’Elysée le 17 mai dans la soirée. Pour autant, rien ne permet de dire que les relations entre Macron et Sassou se sont normalisées.  

Conflit de génération  

A l’analyser de près, cette valse-hésitation de l’Elysée traduit toute l’ambiguïté des relations entre Macron et ses homologues africains. Entre le président français et son homologue camerounais Paul Biya, 88 ans, le courant ne passe plus. A l’initiative de Jean-Yves Le Drian, Macron avait reçu en avril 2019 Biya à Lyon, en marge de la rencontre de reconstitution du Fonds mondial pour le Sida, la tuberculose et le paludisme. Tout content de cette entrevue, le président camerounais avait ensuite reçu en octobre 2019 à Yaoundé Le Drian à qui il a remis la médaille de Grand officier de l’Ordre de la valeur, une des plus hautes distinctions du Cameroun.

Tout semblait baigner dans l’huile lorsque Macron, en réponse à l’interpellation d’un activiste camerounais, promet en février 2020 de téléphoner le lendemain à Biya pour lui « mettre le maximum de pression » sur sa gestion de la crise anglophone. Présentée comme un acte de spontanéité, cette sortie a été perçue comme la preuve d’une arrogance coloniale, voire un mépris envers un des doyens des chefs d’Etat africains autant par l’âge que par la longévité au pouvoir.

Du haut de ses 78 ans, le président guinéen Alpha Condé n’a pas aimé les critiques tranchées de son jeune homologue français contre sa décision de réviser la Constitution pour briguer un troisième mandat.  

Autre chef d’Etat africain, autre management macronien. Dans l’entretien accordé à Antoine Glaser et Pascal Airault (1) , Macron ne fait pas dans la dentelle pour critiquer l’Ivoirien Alassane Ouattara : «  ça été, martèle-t-il, une déception. Je lui ai dit. (…) Comme je lui ai dit la stabilité de son parti est moins importante que l’alternance démocratique de son pays. Qu’est-ce que vous voulez que je dise, je ne peux pas me substituer à lui ». 

Codes africains  

Macron incarne la France, l’ex-puissance coloniale, le pourvoyeur de l’aide publique au développement, la puissance militaire capable de déclencher l’opération Serval au Mali, l’Opération Sangaris en Centrafrique. Mais chez les dirigeants africains, il est d’abord perçu comme le « petit frère »,  « le fils » voire même « le petit-fils » dans l’esprit de Biya ou Sassou. Avant d’arriver à l’Elysée, Jacques Chirac connaissait les codes du pouvoir en Afrique par ses différentes fonctions ministérielles mais aussi en sa qualité de maire de Paris, qualité qui l’a amené à recevoir des dirigeants africains et à se rendre sur le continent. Nicolas Sarkozy a été initié aux codes de l’Afrique en sa qualité de maire de Neuilly par ses amis africains comme Alassane Ouattara mais aussi des patrons d’industrie comme Bouygues qui font affaires en Afrique.  

En tant que Premier Secrétaire du Parti socialiste (PS, français), François Hollande a été formé aux subtilités du pouvoir en Afrique par ses camarades africains comme Laurent Gbagbo, Ibrahim Boubacar Keita, Alpha Condé et Mahamadou Issoufou. Chirac, Sarkzoy et Hollande savent, par exemple, que les dirigeants africains n’apprécient pas d’être critiqués en public ou de recevoir des injonctions. Ils évitent ce type d’impair.  

Macron lui, qui ne connait de l’Afrique que son stage à Abuja, sous l’ambassadeur Jean-Marc Simon, n’a pas les bons codes du pouvoir en Afrique. Résultat, il prend souvent à partie publiquement ses homologues africains, alimentant des crispations régulières avec eux. 

(1) Ce sont les auteurs de « Le piège africain de Macron. Du continent à l’Hexagone », paru en mars dernier chez Fayard