L’Italie accusée d’ éxécution extra judiciaire en Libye

Tripoli accuse l’Italie d’avoir exécuté sur le sol libyen un important trafiquant de migrants, Salah al-Makhtout. Cette forme d’éxécution sans procès a de plus ne plus de partisans

migrantsQue s’est-il exactement passé à Tripoli le vendredi 25 septembre dernier ? Plus précisément dans le quartier de Furnaj, à proximité du Tripoli Medical Center, le principal établissement hospitalier de la capitale libyenne. Vers 7 heures du matin, un homme et son escorte composée de huit gardes du corps armés de kalachnikovs sortent d’une maison. Un 4×4 fait alors irruption, des hommes en armes en surgissent et abattent tout ou presque du petit groupe. Un médecin légiste conclura que les balles utilisées étaient des Hydra-Shok.

Théoriquement introuvables en Libye, ces balles se caractérisent par une pénétration plus profonde que des projectiles classiques et, selon ce médecin, sont l’apanage des services spéciaux occidentaux, comme l’a souligné le quotidien britannique The Guardian.

Vrai ou faux scoop

C’est d’ailleurs un Occidental, en l’occurrence un journaliste américain expatrié en Libye, James Wheeler, qui “révèle” le premier l’identité de la cible du commando sur Twitter. Un certain Salah al-Makhtout que Wheeler, rbien informé, présente d’emblée comme un trafiquant de migrant de la ville de Zouara, près de la frontière tunisienne. L’information est rapidement reprise dans les médias internationaux, notamment italiens et britanniques.

Dans la foulée, un second personnage entre en jeu : Nuri Abu Sahmain, le président du Congrès général national de Tripoli. Il attribue publiquement l’attaque à un commando des forces spéciales italiennes. La réponse de Rome fuse aussitôt, sous forme d’un démenti formel. Le ministre des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, parle même de « faux scoops » en réponse aux nombreux articles parus au Royaume-Uni et en Italie.

Salah al-Makhtout, vivant?

Toujours au même moment, l’Ong Migrant Report, qui affirme avoir établi un contact téléphonique avec Salah Al-Makhtout et sa famille à Zwara, informe que non seulement ce dernier est vivant mais qu’en plus il n’était pas à Tripoli au moment des faits. Une information que confirme cette source du renseignement libyen à Mondafrique. « Ce Salah al-Makhtout cité par la presse n’est en rien lié au trafic de migrants vers l’Europe. Il n’appartient pas, non plus, à une milice islamiste ou autre. Par contre, il est vrai qu’il réside à Zwara qui est la plaque tournante du trafic de migrants de la Libye vers l’Europe. » Pour mesurer l’ampleur de cette crise humanitaire, il faut savoir que, selon les Nations Unies, 129 000 personnes ont rejoint l’Europe via la Libye depuis début 2015.

Un trafic juteux donc pour ses organisateurs qui sont bien connus des services de renseignement libyens mais qui peinent à faire remonter leurs informations aux Occidentaux. « A Zwara » poursuit la source de Mondafrique, le principal réseau de trafiquants est connu sous le nom de réseau “Boussahmin”. Il est dirigé par des notables locaux comme Hafez Mouammar, membre du conseil militaire de la ville et affilié à la coalition de milices islamistes Aube de la Libye (Fajr al-Libya). » Une situation explosive pour la sécurité des pays européens puisque l’on peut imaginer que des islamistes pourraient alors facilement rejoindre l’Europe à bord des embarcations empruntées par les migrants.

L’identité de la cible de la mystérieuse opération commando pourrait, elle, avoir été démasquée par le quotidien anglais The Telegraph. Selon des témoignages des habitants du quartier de Furnaj, où a eu lieu l’attaque, l’homme assassiné avec son escorte pourrait être Muhammed Salahuddin al-Maskout, un ancien officier de marine jusqu’en 2009 et qui contrôlerait des territoires de pêche entre Zwara, la Sicile et la Tunisie. Un profil autrement plus proche du trafiquant de migrants que celui de l’autre Salah Al-Makhtout qui travaille dans le business. Et le journal de souligner que la famille de cet ancien militaire aurait de surcroît de l’influence dans une région où le pétrolier italien ENI exploite un pipeline et où quatre Italiens ont été enlevés et sont toujours captifs.

Déclarations va-t-en guerre

Il ne faut pas oublier non plus que, de par sa position géographique, l’Italie se retrouve en première ligne tant pour lutter contre l’afflux de migrants que pour leur porter secours. Signe des temps, depuis quelques mois, des Italiens ont été aperçus stationnant à l’aéroport militaire de Mitiga, près de Tripoli, qui est contrôlé par l’islamiste Abdelhakim Belhadj. Sans doute pour tenter de faciliter une résolution de la crise des migrants.

Ce n’est pas là le seul signe. L’Italie a d’importants intérêts pétroliers en Libye qui remontent au temps de la Jamahiriya du colonel Kadhafi. C’est dans ce contexte que Federica Mogherini, ancienne ministre italienne des Affaires étrangères et actuelle chef de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, a annoncé, mi-septembre, que des opérations militaires débuteront le 7 octobre pour mettre un terme aux trafics des migrants. Face aux inquiétudes des humanitaires craignant que les réfugiés n’en soient les premières victimes, Mogherini avait alors estimé que les trafiquants devaient être arrêtés « à tout prix ».

Ces opérations devraient être menées conjointement par les Italiens et les Britanniques et ne viser que des trafiquants se trouvant dans les eaux internationales. En clair, l’Union Européenne n’a pas de mandat (et encore moins l’Italie) pour intervenir en Libye sans le feu vert des Nations Unies. Si le commando du Tripoli Medical Centre était bien italien, cela voudrait donc dire que Rome serait passé outre les Nations Unies. Une surprise ? Pas vraiment.

Depuis la chute du colonel Kadhafi en 2011, plusieurs opérations spéciales ont été conduites par des puissances étrangères sur le sol libyen. Avec la palme d’or pour les Américains qui ne s’en cachent pas. On peut ainsi citer la capture par des commandos US du terroriste d’Al Qaida Abu Anas al-Libi en octobre 2013. Ou encore celle, toujours par des forces spéciales américaines, d’Ahmed Abu Khattala, un islamiste soupçonné par Washington d’avoir participé à l’attaque contre le consulat US de Benghazi où l’ambassadeur J. Christopher Stevens avait trouvé la mort avec trois compatriotes en septembre 2012.