La régionalisation du conflit auMoyen Orient

Depuis quatre mois, le Moyen-Orient vit au rythme de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée par l’attaque meurtrière du mouvement islamiste palestinien en territoire israélien le 7 octobre dernier. La guerre, qui a débuté à Gaza, s’est pour l’instant, étendue au sud du Liban à travers des affrontements entre le Hezbollah et l’armée israélienne, mais aussi en mer Rouge, au large du Yémen, avec des actions de la part des rebelles yéménites Houthis agissant, disent-ils, en « solidarité » avec les Palestiniens de la bande de Gaza. La guerre prend également le risque de perturber l’économie mondiale, le Moyen-Orient comportant des détroits et positions stratégiques indispensable au commerce international et l’approvisionnement énergétique.

Un article de Khalil Hélou, pour Ici Beyrouth

Israël a maintenu sa supériorité militaire depuis son existence et a bâti sa doctrine militaire sur le renseignement, les frappes et les guerres préventives depuis 1967 (année de la guerre des Six jours), empêchant ainsi les pays arabes et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de gagner une seule guerre. L’État hébreu sait que la moindre faille de renseignement aurait permis aux pays arabes, par le passé, et aujourd’hui au Hamas, ainsi qu’à l’Iran et ses alliés, de l’attaquer et de le vaincre.

Pour sa part, le mouvement islamiste palestinien Hamas est confronté, depuis sa création, à deux défis. Le premier est que les pays arabes sont divisés et en concurrence entre eux et avec l’Iran, ce qui les empêche de se concentrer sur Israël. Le second est son incapacité à anticiper les actions et les frappes israéliennes. Le Hamas voulait donc amener les pays arabes et l’Iran à se recentrer sur la question palestinienne, bon gré mal gré, tout en cherchant à s’imposer sur les décisions arabes et iraniennes. Pour cela, il lui fallait réaliser quelque chose de fort contre Israël, qui lui aurait assuré son positionnement dans le monde arabe et vis-à-vis de l’Iran. Il serait alors devenu la force dominante dans la région, comme le fut jadis l’OLP.

Depuis plus de 15 ans, le Hamas contrôle politiquement la bande de Gaza et l’a transformée en plateforme pour affronter Israël, masquant sa véritable capacité combative et ses réelles intentions.

Les conséquences de l’attaque du 7 octobre par le Hamas

Les services de renseignement israéliens n’ont pas réussi à anticiper l’attaque surprise du 7 octobre, sans compter que le gouvernement israélien était concentré sur des divergences politiques internes. Le Hamas avait calculé que l’effet de surprise et la capture de dizaines d’Israéliens inciteraient Israël à la prudence et ralentirait toute action militaire de représailles. C’était là une erreur de jugement. En effet, Israël a choisi la guerre totale qui emporte des dizaines de milliers de morts palestiniens et des milliers de morts israéliens. Le revers de la médaille est que le Hamas a réussi à mettre Israël devant le fait accompli, l’obligeant à combattre selon ses conditions dans une guerre urbaine à l’intérieur de Gaza.

Israël utilise massivement ses forces aéroterrestres pour garantir l’impossibilité d’une autre attaque soudaine depuis l’intérieur de l’enclave palestinienne, et pour dissuader l’Iran et ses alliés d’intervenir. En même temps, il négocie indirectement avec le Hamas en exerçant une pression militaire maximale pour récupérer les otages enlevés le 7 octobre, sans succès.

Le Hamas n’a pas réussi à amener l’Iran et ses alliés à s’engager stratégiquement dans la bataille, car Téhéran a son propre agenda, ses conditions et ses délais qui n’ont rien à voir avec le Hamas. Surtout, les mollahs iraniens cherchent à exploiter ce dernier, et il n’est pas pour eux question de l’inverse. Au quatrième mois de la guerre, le Hamas n’a pas réussi à affaiblir Israël, ni à s’imposer au monde arabe et islamique, ni à l’Iran. Israël, pour sa part, n’a réussi que partiellement à dégrader les capacités combatives du Hamas, et n’a pas réussi à dissuader la République islamique d’intervenir. Toutefois, l’intervention de Téhéran, des rebelles yéménites Houthis, des milices irakiennes et celle du Hezbollah sont en deçà des attentes du Hamas. Mais la guerre n’est pas finie, et les combats risquent de se poursuivre longtemps, sans compter le fait qu’elle se régionalise.

Liban, Yémen… une régionalisation du conflit

En dehors de la bande de Gaza, les combats sont intenses tant au Liban qu’en mer Rouge, et de moindre intensité en Irak et en Syrie. Il ne semble pas y avoir, selon les discours enflammés de l’axe pro-iranien, de possibilité d’arrêter ces combats par les négociations, malgré les efforts des médiateurs et les contacts indirects entre les belligérants. Si ces combats s’intensifient, ce ne sera certainement pas à l’avantage du Hamas, contrairement aux arguments de l’axe pro-iranien. Le Hamas, qui se retrouve isolé et assiégé à Gaza, restera privé de tout soutien logistique et militaire direct. Par ailleurs, la guerre de positions au Sud-Liban, visant à soulager Gaza, s’avère de plus en plus futile. Elle s’est transformée en guerre d’usure où le Hezbollah paye un prix élevé, sans compter qu’elle risque de se transformer en guerre totale dont le théâtre serait le Liban tout entier.

Quel avenir pour le Hamas ?

Pour en revenir au cœur de la crise, l’avenir du Hamas dans la bande de Gaza ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Sa capacité à répéter l’opération du 7 octobre est devenue impossible. Par ailleurs, s’il survit, sa gestion de Gaza sera inexistante si l’occupation israélienne se maintient, et catastrophique si Israël se retire. En effet, les besoins de l’enclave palestinienne dépendront des aides conditionnées des donateurs qui n’apprécient pas le Hamas, sans parler des comptes à rendre aux Gazaouis sur l’utilité et les résultats de l’opération « Déluge d’al-Aqsa ». Par ailleurs, le doute plane sur l’aboutissement proche à un État palestinien souverain. Que fera donc le Hamas après la guerre, quelle que soit son issue ?

Les risques de la guerre sur l’économie mondiale

Les calculs de l’Iran, quant à l’engagement militaire des Occidentaux dans une guerre régionale, ressemblent aux calculs dans un jeu de poker. Le Moyen-Orient comporte des détroits maritimes stratégiques, notamment le canal de Suez, Bab el-Mandeb et Ormuz, qui sont des passages obligés pour les ressources énergétiques, dont la région renferme 56 % des réserves pétrolières et 40 % des réserves de gaz mondiales.

Ces caractéristiques géopolitiques font du Moyen-Orient une région « vitale » pour l’économie mondiale à tous égards, et les grandes puissances ne peuvent que s’engager dans le conflit, dans l’intérêt commun international et régional. Lorsque des intérêts internationaux « vitaux » sont menacés par les agissements belliqueux des Houthis, il est inévitable que les grandes puissances interviennent pour protéger ces intérêts par la force militaire, ce qui explique les frappes du 11 janvier au Yémen.

L’axe pro-iranien ne voit que le conflit avec Israël, omettant les intérêts occidentaux menacés. Ils omettent également que ni la Russie ni la Chine n’interviendront contre Washington et Londres, sauf à travers une rhétorique fulminante sans lendemain, et en entravant les efforts occidentaux au Conseil de sécurité de l’ONU. Dans ce cadre, Pékin et Moscou n’ont pas utilisé leur droit de veto lors de la condamnation des attaques des Houthis en mer Rouge.

Des stratégies contradictoires sont en collision dans la région, celle du Hamas, celle d’Israël, celle de l’axe pro-iranien et celle de la protection de l’économie mondiale. La région n’est plus au bord d’une guerre régionale, mais bien au cœur de celle-ci. Il s’agit maintenant de savoir s’il y aura des vainqueurs nets et des vaincus avoués, sinon quelles seront les stratégies de sortie de chacune des parties belligérantes. En attendant, nous sommes dans la chronicité des guerres moyen-orientales qui durent depuis quatre millénaires.