Mohamed Morsi (Volet 2), cet islamiste inconnu devenu président

Président égyptien démocratiquement élu en 2012 avant d’être évincé, un an plus tard, par un coup d’état militaire, Mohamed Morsi est mort brutalement le 17 juin dernier alors qu’il comparaissait devant la cour criminelle du Caire.

Voici le deuxième volet du portrait écrit par Rabha Attaf

MOHAMED MORSI, CET ISLAMISTE INCONNU DEVENU PRESIDENT

Mohamed Morsi, né le le 8 août 1951 à Charqiya, était issu d’une famille paysanne. Il enseignait à l’université de Zagazig jusqu’en 2010, après son retour des États-Unis où il avait poursuivi ses études. Docteur en ingénierie spatiale de l’Université de Californie du Sud en 1982, il dérochait dans la foulée un poste de professeur assistant à l’Université publique de Northridge, toujours en Californie, poste qu’il a occupé jusqu’en 1985. Parallèlement, il travaillait pour la NASA au développement des moteurs de la navette spatiale.

Morsi était devenu, pour ses partisans, le symbole de la légitimité du pouvoir renversé. Pourtant, avant son élection à la présidence, cet ingénieur affable était inconnu de la plupart des Égyptiens.

Candidat « par défaut » du Parti pour la Liberté et la Justice, branche politique créé en avril 2012 par les Frères Musulmans, il en avait assuré la présidence après avoir été membre du Conseil de la Guidance, l’instance suprême de la confrérie. Avant lui, l’ombrageux mais charismatique Kheirat Al-Chater -emprisonné aussi depuis le coup d’état d’Al-Sissi- avait déposé sa candidature au nom du parti. Mais celle-ci fut disqualifiée par la Commission des élections… au prétexte qu’il avait été déchu de ses droits civiques à l’époque de Moubarak !

Auparavant, Morsi avait siégé au parlement de 2000 à 2005, après avoir été élu comme indépendant, les Frères Musulmans étant interdits d’activité politique. En 2010, il avait piloté la campagne des Frères Musulmans pour les élections législatives, annulées finalement par Moubarak qui fit procéder à l’arrestation de nombreux candidats et réprimer la confrérie.

La cohabitation avec l’armée

Une fois président, Mohamed Morsi va tenter de s’extraire des griffes du Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA). Une semaine avant l’annonce, le 24 juin 2012, du résultat des présidentielles, le CSFA dissolvait l’Assemblée nationale -issue du scrutin démocratique de mars 2012 et majoritairement islamiste- et s ‘arrogeait le pouvoir législatif. Morsi restaure alors le Parlement et met à la retraite, le 13 août, l’impopulaire maréchal El-Tantawi devenu ministre de la Défense, le général Sami Annan, ainsi que les principaux chefs des forces armées. Pour ce faire, il s’est saisi de l’attaque terroriste du terminal frontalier de Raffah, au cours de laquelle seize officiers et soldats ont été tués, provoquant une grande émotion populaire à travers toute l’Égypte.

Le CSFA laisse faire et désigne le général Abdelfattah Al-Sissi, chef du renseignement militaire, pour le remplacer. Morsi s’attaque ensuite à la réforme de la Constitution en proposant une série d’amendements, dont l’un vise à cantonner l’armée dans sa mission de défense de la nation, et à mettre sous contrôle civil le budget des militaires. Par un réseau d’entreprises publiques tenues par des officiers à la retraite, l’armée égyptienne est, en effet, le premier opérateur économique du pays avec des secteurs clés (agroalimentaire, distribution d’eau, BTP, énergie, tourisme, etc). Il nomme aussi des nouveaux gouverneurs pour remplacer les militaires retraités, ou les caciques du PND, le parti dissous de Moubarak.

Les tentatives d’assainissement

Dès lors, un bras de fer s’engage avec le CSFA et les partisans du régime déchu -toujours en place dans les institutions. A commencer par le Haut Conseil de la Magistrature, qui lance à l’automne 2012 une véritable fronde contre le président. L’enjeu est de taille ! Les juges forment une caste redoutée, jalouse de son indépendance et de ses privilèges, accordés par Moubarak en échange de leur collusion avec le régime. Ils se sentent menacés par la réforme de l’âge de leur départ à la retraite -60 ans au lieu de 70 ans. Morsi souhaite ainsi renouveler une grande partie des magistrats, escomptant ainsi assainir l’appareil judiciaire de la corruption, et surtout l’empêcher de nuire. Il répond aussi à une forte demande des « révolutionnaires ».

Les réponses du loup à la bergère sont fulgurantes ! L’institution judiciaire, en l’occurence le Haut conseil constitutionnel qui a dissous le Parlement sur demande du CSFA- menace aussi d’en faire autant pour l’Assemblée constituante pluripartite chargée, depuis des mois, d’établir la Loi fondamentale, et dont les principaux partis d’opposition se sont retirés en août. Pris à la gorge, Morsi publie, le 22 novembre 2012, une déclaration constitutionnelle dans laquelle il s’attribue temporairement le pouvoir législatif et immunise ses décisions contre tout recours judiciaire. Dans la foulée, il limoge le procureur général Abdelmagid Mahmoud, bête noire des « révolutionnaires », accusé d’avoir facilité l’acquittement, mi-octobre, de vingt-quatre dignitaires de l’ancien régime impliquées dans l’attaque sanglante de la place Tahrir au Caire, le 2 février 2011. Précédemment, six hauts officiers des services de sécurité, poursuivis pour le meurtre de manifestants, furent aussi relaxés. Ces verdicts donnèrent lieu à des manifestations dans tout le pays -à l’initiative des Frères Musulmans mais aussi du Mouvement des jeunes du 6 avril et autres groupes issus de la « révolution du 25 janvier 2011 ».

La gauche laïque vent debout

Cette fois, les libéraux et la gauche laïque, réunis dans un Front de Salut National (FSN), s’emparent de la déclaration de Morsi et invitent les Égyptiens à manifester contre le président qu’ils accusent d’autoritarisme et d’oeuvrer dans l’unique intérêt de son camp. Pour tenter d’endiguer la crise, Morsi invite les partis d’opposition à des négociations sous la médiation de l’Institut d’Al-Azhar, et propose la tenue prochaine d’élections législatives. Mais ces derniers, se sachant minoritaires, vont continuer de jouer la rue. Trois personnalités de renom, adversaires de Morsi aux présidentielles de 2012, sont à la tête du FSN : Amr Moussa, ex-ministre de Moubarak, le prix Nobel Mohamed El-Baradei, président du parti libéral El-Dostour et le nassériste Hamdine Sabahi du Parti Social Démocrate, arrivé 3éme au présidentielles. Seul point commun entre-eux : leur aversion pour les FM et les islamistes en général. Le FSN rejette systématiquement les appels au dialogue de Morsi et envisage même de se réunir avec le CSFA pour « sortir le pays de la crise ».

Les militaires, en la personne de leur porte parole, le général Abdel-fatah Al-Sissi, rejettent cette démarche.

Dans le troisième volet de cette enquète sur le président Morsi, Mondafrique reviendra sur « la mise à mort politique des islamistes »

Rabha Attaf, grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-OrientAuteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19