Les clés pour comprendre l’attentat contre l’avion russe A321

« On peut dire qu’il s’agit d’un attentat. » L’annonce a été faite au Président Poutine en personne par Alexandre Bortnikov, directeur du Service fédéral de sécurité (FSB). S’en est fini des atermoiements russes sur les causes du crash de l’A 321 dans le Sinaï qui a causé 224 morts.

Il est tard dans la nuit du 16 novembre quand l’espion en chef de la Russie fait son rapport qui tient en quatre phrases devant la caméra de la télévision d’état Rossia. Autour de la table sont convoqués le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, le chef d’état major Valeriï Guérassimov, le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov et Mikhaïl Fradkov, le patron du SVR, le renseignement extérieur.

« Selon nos spécialistes, un engin artisanal d’une puissance équivalente à 1,5 kg de TNT a explosé à bord, provoquant la destruction de l’appareil en vol. ». Une minute de silence et puis, Poutine s’exprime dans une colère froide. L’heure est tardive, le Président russe vient juste de rentrer d’Antalya où lors du G20 il a accusé certain pays membres du groupe très sélect des leaders mondiaux de participer au financement de Daech. Ses traits sont tirés, le visage est fermé. « Nous les rechercherons partout où qu’ils se cachent. Nous les trouveront dans n’importe quel point de la planète et nous les punirons », annonce glacial Vladimir Vladimirovitch.

Dynamités, empoisonnés, fusillés

Les services russes ont sans conteste une longue expérience d’éradication de leurs ennemis désignés. Difficile d’y échapper. D’ailleurs les auteurs de la longues liste des actes terroristes commis en Russie du théâtre Dubrovka, le métro de Moscou, l’école de Beslan, l’aéroport de Domodedovo et le trolleybus de Volgograd, ont tous connus le même sort. Ils ont été liquidés. Dynamités, empoisonnés, fusillés ou «  disparus  » dans d’étranges circonstances, sur le sol de la Fédération, en Turquie ou dans les pays arabes, tous ont succombé au châtiment ordonné par le maître du Kremlin et exécuté par les Spetznaz, seuls capables dans ce genre de besogne à rivaliser avec les commandos punitifs du Mossad.

Le cas le plus célèbre est sans nul doute l’élimination du président autoproclamé de la république Tchétchène Zelimhan Yandarbiev au Qatar en février 2004, mort dans l’explosion de sa voiture piégée. Repérés, deux agents russes avaient été interceptés par la police de l’émir, mis au frais et condamnés avant d’être discrètement extradés quelques mois plus tard afin de purger leur peine dans leur pays. Reçus à Moscou avec les honneurs militaires, ils sont depuis, introuvables. De quoi faire réfléchir peut-être les commanditaires et exécutants de l’attentat contre le A 321, qui n’ont pas hésité, alors qu’un déluge de bombes se déversait dans l’immédiat sur le territoire de leur califat, à révéler quelques détails de leur méfait terroriste.

Scénarios à go-go

Ainsi, selon une publication du 18 novembre dans Dabiq, le magazine officiel de l’État islamique, la bombe artisanale était tout simplement composée d’une canette de Schweepes Gold, un détonateur et un interrupteur. Le groupe djihadiste, dit avoir introduit l’engin dans l’Airbus de la compagnie Metrojet, après avoir trouvé une faille dans le système de sécurité à l’aéroport de Charm el Cheikh, d’où était parti l’avion.

Aucun expert ne s’est pourtant avancé dans l’analyse et l’authentification des éléments présentés par l’EI. A commencer par les enquêteurs égyptiens qui doutent toujours, alors que les médias annonçaient le 17 novembre l’arrestation de deux suspects, employés à l’aéroport de Charm el Cheik. Des «  informations erronées  » selon Magdi Abdel Ghaffar, minsitre de l’Intérieur, dont le gouvernement  affirme sans conviction qu’il prend désormais « en considération » l’annonce de Moscou.  Car selon le ministre de l’Aviation civile égyptien, Hossam Kamal, tous les scénarios sont possibles, puisque la commission en charge de l’enquête «n’est pas parvenue, jusqu’à présent à des résultats qui permettent de déterminer les causes du crash ». De quoi continuer à alimenter les spéculations et les hypothèses les plus osées qui n’ont pas manqué d’envahir le web depuis la chute en plein désert du vol 9628 .

Zigzags 

C’est désormais une triste tradition dans l’histoire de la terreur dans les airs, chaque crash apporte son lot de doutes et de mystères nourris par des querelles d’experts et de théoriciens de la conspiration.

Et les éléments capables d’alimenter les scénarios ne manquent pas. A commencer par les enregistrements des boîtes noires de l’A321 qui ne révéleraient que le caractère «  brutal  » et «  soudain  » de l’événement. Pas de SOS de l’équipage, ni de traces d’explosifs selon l’équipe d’enquêteurs égyptiens pour le moment. Quant au 1,5 kg de TNT (à supposer que ce soit la substance utilisée), difficile de comprendre comment une telle quantité pourrait se loger dans une canette de 33cl. Et les interrogations ne s’arrêtent pas là. Pourquoi l’appareil a-t-il fait des zigzags sur sa trajectoire avant de s’abîmer  ?

Certains experts ont même calculé une ascension soudaine  grâce au site de suivi Fightradar24, de 860 mètres en 4 secondes et une modification de vitesse de l’ordre de 70 mètres/secondes, ce qui représenterait une performance, même pour un avion de chasse. D’où les multiples théories d’une prise de contrôle à distance de l’appareil. Les défenseurs de cette théorie ont d’ailleurs une explication toute trouvée. A 80km du site du crash se situe l’Unité 8200 de l’armée israélienne, stationnée au Kiboutz Urim, qui aurait la capacité de brouiller les systèmes de navigation et de communication des avions selon le site reseauinternational.com.

Objectif  ? Prendre le contrôle de l’Airbus pour le ramener à une altitude compatible avec les capacités de certains missiles d’abattre un appareil en vol. Pour mémoire, les auteurs rappellent que l’Égypte a saisi dans la région plusieurs lance-missiles SA-7Grail venant de Libye. Petit problème, ces Manpads ne peuvent abattre un cible au-delà de 6000 mètres, loin des 9000 mètres d’altitude de croisière de l’Airbus. D’où l’affirmation du site israélien Debka, réputé «  proche  » du Mossad, qui expliquait dès le lendemain du drame que le groupe terroriste Ansar al Sharia, opérant en Libye, avait ramené sur la péninsule du Sinaï à usage de ses frères d’armes locaux, des missiles Buk (portée de 5 à 50km), chipés dans les anciens arsenal de Kadhafi. Ce sont d’ailleurs ces mêmes missiles qui étaient cités dans l’affaire du vol MH17 abattu en Ukraine en juillet 2017. Les raisons de ces allégations  ? Les terroristes eux-même ont dans leur revendication dès le lendemain déclaré «  avoir abattu  » l’avion russe, avant de coller à la perfection aux annonces média qui ont suivi, jusqu’à la bombe artisanale, dont ils ont montré le prototype en photo.

La piste saoudienne

Coté commanditaires réels, les hypothèses ne sont pas moins troublantes à commencer par celle des Faucons de Washington, avec le sénateur McCain en tête, qui affirme sans sourciller que les Russes ont eux-même commandité et organisé l’attentat afin de susciter la sympathie internationale ou du moins l’empathie provoquée par la mort des innocents dans chaque drame terroriste. Plus subtile, la très influente agence privée de renseignent Stratfor indique qu’il serait utile de suivre attentivement les informations en provenance de Damas. Une référence sans doute à des éléments relayés par le journaliste syrien Ziad Fadel qui se réfère à des «  sources russes en Syrie  ».

Ainsi, selon cette version, Moscou serait sur une piste saoudienne avec de lourds soupçons pesant sur le prince Mohammed ben Salmane Al Saoud, ministre de la Défense depuis le 23 janvier 2015, vice-prince héritier d’Arabie saoudite et second vice-Premier ministre depuis le 29 avril 2015. En visite à Sotchi à l’occasion du Grand Prix de Formule1 en octobre dernier, le prince aurait rencontré Vladimir Poutine pour proposer à nouveau les investissements massifs saoudiens en échange de l’abandon du soutien à Assad. Proposition, vertement rejetée.

En quittant le cabinet du Président russe, Mohamed ben Salmane aurait marmonné quelque chose dans sa barbe, ce qui n’a pas échappé aux caméras de surveillance des limiers russes. Après «  décryptage  », ils auraient clairement identifié des menaces proférées par le prince saoudien à l’encontre de la Russie. Vraies ou fausses, ces allégations continuent de nourrir les doutes sur les commanditaires de l’attentat contre le A 321. D’ailleurs, pour les identifier, les espions russes du FSB n’ont pas hésité à passer en mode Western, promettant une prime de 50 millions de dollars à quiconque aiderait à  les identifier. Avis aux amateurs.