Etat Islamique : le grand basculement

De plus en plus de djihadistes de l’Etat islamique quittent la Syrie et l’Irak. Destination : la Libye et le Yémen, deux pays où le “califat” cherche à se développer au détriment de groupes islamistes locaux.

Cap sur la Libye et le Yémen

C’est reparti. Après une accalmie de plusieurs mois, de nombreux djihadistes de l’Etat islamique quittent de façon organisée la Syrie et l’Irak pour rejoindre de nouvelles zones de conflit. Deux destinations sont privilégiées par les organisateurs de cette internationale djihadiste : la Libye et le Yémen, deux pays en guerre ou l’Etat islamique tente d’implanter le “califat”.

Ces dernières semaines y ont vu l’arrivée de plusieurs centaines de combattants aguerris. Ainsi, d’après le général de brigade syrien Ali Mayhub, « le 26 octobre, quatre avions en provenance de Turquie, et après avoir fait escale en Syrie, sont arrivés au Yémen, dont deux appartiennent à Turkish Airlines, un au Qatar et un aux Emirats Arabes Unis. Il y avait plus de 500 combattants de l’organisation terroriste Etat islamique à bord des avions. Ils ont été transférés de Syrie afin d’échapper aux frappes russes. »

Toujours selon ce gradé, au Yémen, les djihadistes ont été dispatchés dans trois lieux géographiques et ont été accueillis par des officiers saoudiens. Preuve que l’Arabie Saoudite, qui combat au Yémen, fait appel aux hommes de l’Etat islamique à défaut de posséder une armée digne de ce nom…

 Les informations en provenance de Libye sont tout aussi inquiétantes, comme Mondafrique s’en est fait l’écho à plusieurs reprises. C’est ainsi que, le 4 octobre, deux avions civils — l’un en provenance de Turquie, l’autre du Soudan — se sont posés à l’aéroport militaire de Mitiga, dans la banlieue de Tripoli, qui est sous le contrôle de l’islamiste Abdelhakim Belhadj. Selon cette source du renseignement libyen, ces djihadistes venaient de Syrie et auraient été transférés dans la ville de Al-Khoms, à 120 kms à l’est de Tripoli. Plus exactement dans une ancienne caserne qui servirait aujourd’hui de lieu de transition aux djihadistes étrangers débarquant en Libye.

L’Etat islamique perd du terrain en Syrie et en Irak

Comment expliquer ces mouvements de “troupes” ? Par l’évolution de la situation militaire sur les terrains irakiens et syriens. En Irak, l’Etat islamique peine de plus en plus à faire face aux attaques des combattants kurdes, les Peshmergas, ainsi qu’aux assauts des milices chiites lourdement armées. En témoigne, le 13 novembre dernier, la reprise à l’Etat islamique par les Peshmergas de la ville de Sinjar, située dans le nord-ouest de l’Irak.

En Syrie ensuite. Depuis le 30 septembre, les Russes bombardent lourdement des positions de l’Etat islamique depuis les airs et, au sol, les pasdarans iraniens, les gardiens de la révolution, ainsi que le Hezbollah, combattent aux côtés des troupes de Bachar el-Assad. Là encore, la situation se complique pour l’Etat islamique. Parions que, suite aux attaques terroristes de Paris du 13 novembre, les bombardements conjoints des Français, Russes et Américains affaibliront considérablement le groupe terroriste.

Dans ce contexte, la Libye et le Yémen apparaissent comme des destinations de repli autant que de conquête. D’une pierre deux coups en quelque sorte ! Au Yémen, l’Etat islamique tente de s’implanter au détriment d’Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) qui a mis la main sur plus de la moitié du pays. La tâche semble compliquée et nécessite l’apport de sang neuf.

Idem en Libye où le “califat” de l’Etat islamique s’étend moins vite que ne le souhaiteraient ses dirigeants. L’organisation terroriste est certes bien installée à Syrte, le berceau du colonel Kadhafi, est présente à Derna ainsi qu’à Sebrata, à proximité de la Tunisie. Mais ses combattants ne recueillent pas le soutien des populations locales, exaspérées par ces combattants étrangers, et doivent aussi faire face à l’hostilité grandissante de certains islamistes locaux. C’est exactement dans ce contexte compliqué que l’organisation terroriste vient de perdre du terrain à Derna qui est pourtant une place forte du radicalisme islamiste. « En 2011, Al Qaida était déjà présente » rappelle cet ancien militaire libyen qui appartenait à l’armée du colonel Kadhafi. Dans ce contexte, recruter de jeunes Libyens pour faire grossir ses rangs devient compliqué pour l’Etat islamique qui a tout intérêt à importer des combattants étrangers.

Quel est le rôle d’Abdelhakim Belhadj ?

Un élément, toutefois, pourrait faciliter l’implantation de l’Etat islamique en Libye : bénéficie-t-il de complicités et de soutiens de la part de certaines milices libyennes ? Difficile d’y répondre même si les soupçons existent en raison des liens étroits entre des milices et la Turquie. C’est par exemple le cas du groupe radical, « Majliss al-Choura », implanté à Benghazi et littéralement sous perfusion turque pour combattre les troupes du général Haftar et de l’armée régulière libyenne.

Cette implication turque dans la guerre libyenne amène une autre question, cruciale : le rôle réel de l’islamiste Abdelhakim Belhadj, le “patron” de Tripoli et de l’aéroport de Mitiga. A-t-il des liens avec l’Etat islamique même s’il s’en défend et travaille dur à présenter un visage acceptable à la communauté internationale ? L’homme est notoirement connu comme étant l’homme lige d’Ankara en Libye, au point de posséder une compagnie aérienne basée à Istanbul.

Si la communauté internationale ferme les yeux au Yémen, elle commence à adopter une nouvelle attitude en Libye. Ainsi, le 14 novembre dernier, les Etats-Unis ont annoncé avoir, pour la première fois, bombardé l’Etat islamique en Libye. Dans la ligne de mire de Washington qui a frappé à Derna : l’un des lieutenants du chef de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi. L’homme, l’Irakien Abou Nabil, avait été dépêché en Libye pour y accroître l’implantation de l’organisation terroriste. Il a très vraisemblablement été tué.