La Chine impérialiste en Afrique, mais en cachette

La Chine prend une posture anti colonialiste et vertueuse face au continent africain. Mais c’est pour mieux dévorer ses enfants

Chine_AfriqueComment fait la Chine pour inquiéter les anciennes puissances coloniales sur ce qui a été leur pré carré pendant des décennies ? La France mise toujours sur la francophonie et les liens historiques. La Chine elle, bardée de milliards, a mis en place un partenariat très malin qui reprend les outils d’influence occidentaux, tout en les dénonçant.

Entre prédation et partenariat

Sur le papier, la Chine s’implique moins en Afrique qu’ailleurs. Le continent noir arrive en dernière position avec 3% des investissements directs chinois. Mais l’Afrique est cruciale parce qu’elle fait partie de la vaste stratégie chinoise de sécurisation des ressources. Pour les parlementaires français, « la présence chinoise reste spectaculaire à plus d’un titre. » Entre 2000 et 2008, le commerce entre la Chine et l’Afrique est passé de 10,5 milliards de dollars à 106,8 milliards de dollars.

La Chine privilégie les relations bilatérales, mais dès 2000, a construit une base multilatérale avec le Forum sur la coopération sino-africaine qui se tient tous les trois ans. La recette n’est pas nouvelle. « Les échanges multilatéraux sont, de ce point de vue, assez comparables au dialogue institutionnalisé entre la France et l’Afrique dont la première édition remonte à novembre 1973 » commente le rapport du Sénat.

La Chine fait tout pour perdre l’étiquette de prédateur qui lui colle à la peau. À ce titre, le nouveau siège de l’Union africaine à Addis-Abeba est parlant. Cet immeuble de vingt étages est le plus haut d’Ethiopie, d’une valeur de 250 millions de dollars il a tout simplement été donné par la Chine. Le déploiement du « soft power » chinois passe aussi par le financement de projets de développement. « À la cinquième Conférence ministérielle du Forum sur la coopération sino-africaine, qui s’est tenue à Beijing en juillet 2012, le Président chinois Hu Jin tao a mentionné d’autres projets, notamment 100 écoles, 30 hôpitaux, 30 centres de lutte contre le paludisme et 20 centres pilotes agricoles.

La diaspora est aussi un outil précieux de cette politique d’influence. Depuis 2000, le nombre d’expatriés a été multiplié par dix pour presque atteindre le million de résidants chinois sur le continent. Ils seraient entre 100 000 et 200 000 uniquement en Afrique du Sud.

Le néo colonialisme, voici l’ennemi!

Le discours chinois est bien rodé. Après la domination des puissances coloniales, le partenariat avec la Chine favoriserait les rapports Sud-Sud. Les autorités économiques chinoises s’appuient sur les soupçons de néocolonialisme qui entourent les investissements occidentaux. Pékin appuie sur une mythologie millénaire, à l’image de l’ancien Secrétaire général du PC chinois Hu Jintao qui expliquait que « l’amitié sino-africaine plonge ses racines dans la profondeur des âges et ne cesse de s’approfondir au fil des ans. » La ficelle est grosse, mais s’appuie sur une certaine réalité historique, puisque les historiens reconnaissent des échanges  ponctuels depuis le troisième siècle avant JC. Les expéditions chinoises continuent jusqu’au XVème siècle avec l’explorateur chinois Zheng He, « après la mort du navigateur en 1433, il n’y en aura plus avant le milieu du XXe siècle, soit près d’un demi-millénaire plus tard », explique le chercheur spécialiste de la Chine Laurent Gédéon.

Près de quinze ans se sont écoulés depuis le début du déploiement de la stratégie africaine de la Chine. Le message d’une coopération entre zones en développement est de moins en moins crédible et des voix s’élèvent pour dénoncer la prédation d’un pays qui « n’est pas un compagnon de sous développement »[6], formule de Lamido Sanusi. Ce gouverneur de la Banque centrale nigériane s’inquiète de l’idylle consommée entre la Chine et le continent africain. « L’Afrique s’ouvre volontairement à une nouvelle forme d’impérialisme » écrit-il dans le Financial Time, largement comparable aux appétits britanniques et français du XIX et XXème siècle.

Malgré les critiques de plus en plus fréquentes, la Chine garde un avantage certain sur les pays occidentaux avec sa doctrine, appelée de manière caricaturale « Consensus de Pékin ». La formule est usée mais renvoie cependant à une certaine réalité des spécificités chinoises. Dans son rapport aux pays africains, Pékin a les mains libres. Un prêt, un don ou un partenariat n’est pas assorti d’une pression moralisante ni d’une conditionnalité établie contrairement aux pratiques du FMI ou de la Banque Mondiale. L’intérêt pour les indéboulonnables chefs d’Etat africains est évident, nos parlementaires le soulignent « Le principe de non-ingérence a largement facilité la pénétration de la Chine, en particulier dans les pays mis a ban de la communauté internationale. » Les exemples ne manquent pas : Afrique du Sud de l’apartheid, Angola, Libye de Khadafi, Soudan, Zimbabwé…

La peur du vide

La France s’inquiète de cette présence chinoise que rien ne semble pouvoir remettre en compte. Le mécontentement social, les dénonciations des abus ( droits des travailleurs, environnement) ne posent que quelques soucis ponctuels aux investisseurs chinois. Hillary Clinton s’étonne que « les investissements chinois en Afrique ne visent qu’à profiter des ressources naturelles » et « négligent l’environnement », on a très envie de lui demander la différence avec les entreprises occidentales.

Le rapport d’information du Sénat montre que la mainmise chinoise ne peut être remise en question par les groupes occidentaux. Les pays du Nord doivent réaliser que « l’un des facteurs de l’avancée chinoise en Afrique est précisément le retrait des Occidentaux ». Aujourd’hui, les gouvernements africains contrent Pékin en favorisant l’Inde, le Brésil et la Russie.

Voici venu le temps du « MONDAFRIQUE », en quelques sorte!

[1] « Rapport d’information de la commission des affaires étrangères par le groupe de travail sur la présence de la France dans une Afrique convoitée », Par MM. Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, Co-président, 29 octobre 2013.