Tirs mortels par les forces de sécurité dans l’est du Tchad


Les forces de sécurité tchadiennes ont tué au moins 13 personnes, dont un enfant de 12 ans à Abéché, dans la province de Ouaddaï, les 24 et 25 janvier dernier, et en ont blessé plus de 80 autres, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits de l’Homme (CTDDH).  

Le 24 janvier, les forces de sécurité ont violemment dispersé des milliers de manifestants pacifiques qui étaient descendus dans la rue, sur la route allant du lycée Mahamat Yacoub Dobio à la place de l’Indépendance. Les manifestants protestaient contre le projet d’intronisation d’un nouveau chef de canton issu de la communauté ethnique Bani Halba à Abéché, une ville où réside un chef traditionnel appelé sultan. Le sultan est issu de la communauté ouaddaïenne. Les soldats ont tué trois personnes et blessé au moins 80 autres. Le 25 janvier, pendant l’enterrement au cimetière de Tago Zagalo de ceux qui avaient été tués la veille, des soldats ont une fois de plus tiré à balles réelles, sans discernement, tuant 10 autres personnes et blessant au moins 40 autres.

« La décision des forces de sécurité d’ouvrir le feu sur des manifestants et des habitants pacifiques est totalement injustifiable », a déclaré Mahamat Nour Ahmat Ibédou, Secrétaire général de la CTDDH. « Seule une enquête approfondie et impartiale sur l’usage excessif de la force par les forces de sécurité permettra d’identifier les individus responsables et les amener à rendre des comptes. »

Parmi les soldats qui ont tiré sur la foule, certains étaient des membres de l’Armée nationale tchadienne et d’autres d’une unité tchado-soudanaise officiellement connue sous le nom de Force mixte. Les soldats ont tiré des gaz lacrymogènes et à balles réelles avec des fusils d’assaut et des mitrailleuses.

Lors des manifestations du 24 janvier, les soldats ont également arrêté 212 personnes, dont certaines de manière arbitraire. Certaines d’entre elles ont été passées à tabac et toutes les personnes arrêtées ont été détenues dans des conditions inhumaines jusqu’à cinq jours, sans inculpation. Toutes les personnes arrêtées ont été libérées entre le 25 et le 28 janvier.

Entre le 30 janvier et le 13 février, Human Rights Watch et la CTDDH ont interrogé 27 personnes par téléphone, notamment 11 témoins de ces événements. Sur les 11 témoins interrogés, deux avaient été arrêtés le 24 janvier, et quatre avaient été blessés. Human Rights Watch et la CTDDH ont également interrogé des membres des familles des victimes, deux professionnels de la santé, ainsi que des représentants d’organisations locales de la société civile.


Dans un communiqué de presse du 26 janvier, Abderaman Koulamallah, le ministre tchadien de la Communication, a regretté la « perte de vies humaines », mais a déclaré aux médias que les forces de sécurité n’avaient pas utilisé de balles réelles contre les manifestants et les habitants. Il a ajouté qu’il était « impossible de savoir si les tirs provenaient des forces de sécurité ou des manifestants ». ts.

Le 23 février, le ministre de l’Administration territoriale a publié un décret nommant Ibrahim Ibni Oumar Mahamat Saleh gouverneur de la province du Ouaddaï en remplacement de Dari Bazine, sans fournir d’explication pour cette décision.

Entre le 27 janvier et le 3 février, une délégation de quatre ministres, composée des ministres de la Communication, de la Justice, de la Sécurité publique et de l’Administration territoriale, s’est rendue à Abéché pour apaiser les tensions et tenter de trouver une solution à la crise. Les ministres ont rencontré des blessés à l’hôpital et des membres des familles des victimes. Ils ont également remis 423 000 CFA (731 dollars des États-Unis) à chacune des 13 familles de victimes en compensation du préjudice causé.

« L’argent peut couvrir une partie des frais funéraires, mais pas la valeur d’une vie humaine », a déclaré l’oncle de Moutawakil Yakhoub, un mécanicien de 28 ans tué d’une balle dans la poitrine par des soldats le 25 janvier. « Nous voulons que justice soit rendue et que les assassins de nos fils soient traduits devant les tribunaux ».

Les réseaux Internet et téléphoniques ont été coupés à Abéché entre le 24 et le 25 janvier, rendant presque impossible la communication sur les événements. Les interruptions d’Internet à l’échelle nationale sont courantes au Tchad depuis 2016. Les organisations qui travaillent sur les droits numériques et des experts des mesures d’audience Internet ont fait état d’un chiffre combiné de 911 jours de perturbations intentionnelles d’accès à l’Internet ou des restrictions sur l’accès à certains réseaux sociaux entre l’élection présidentielle de 2016 et avril 2021.




Pour consulter d’autres communiqués de Human Rights Watch sur le Tchad, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa/chad