Niger, ces passeports diplomatiques distribués par Bazoum

French President Emmanuel Macron, left, welcomes Niger's President Mohamed Bazoum before a working lunch Thursday, Feb. 16, 2023 at the Elysee Palace in Paris. (AP Photo/Michel Euler)

Les nouvelles autorités du Niger viennent d’annuler un millier de passeports diplomatiques délivrés par le régime renversé fin juillet. Les listes, très commentées sur les réseaux sociaux, renseignent sur le premier cercle du Président Mohamed Bazoum, dont une cinquantaine d’étrangers, français et libyens principalement.

Un tableau fait particulièrement couler d’encre. Celui des 50 passeports diplomatiques délivrés à des non Nigériens entre avril 2021 et juillet 2023, à la date du coup d’Etat. Il fait apparaître 10 Français et 16 Libyens, les plus nombreux. Mais on compte aussi deux Maliens, un Britannique, un Mauritanien, un Américain, une Chinoise, un Néerlandais, un Turc, deux Burkinabé et un Tchadien, tous conseillers ou conseillers spéciaux du Président.

Les Français d’abord !

Sans surprise, on y retrouve une célébrité de l’amitié franco-nigérienne nouée sous les auspices  d’Areva : Sébastien de Montessus, l’ancien directeur des Mines du géant français de l’uranium, désormais aux commandes du groupe minier Endeavour Mining qui possède une succursale au Niger.  Endeavour Mining était en 2020 la première société productrice d’or d’Afrique de l’Ouest. De Montessus était déjà conseiller spécial du prédécesseur de Mohamed Bazoum, Issoufou Mahamadou, lui-même ancien directeur des Mines du Niger. Les deux hommes se sont côtoyés dans plusieurs dossiers, y compris parfois sulfureux, comme une mystérieuse opération de trading d’uranium de 300 millions d’euros pilotée en 2011 par Hassoumi Massaoudou, alors directeur de cabinet de Mahamadou Issoufou, sur laquelle enquête la justice française.

Un autre homme d’affaires, inconnu celui-ci, figure en haut de la liste. Il s’agit de François Dennis qui dirigerait la société Générale d’Afrique Technologie Niger. Si l’entreprise n’a guère fait parler d’elle au Niger, il n’en va pas de même au Togo. Un presque homonyme du précédent, né comme lui au Tchad, Dennis Frédéric Adoum, a été mis en cause dans la presse togolaise en 2015 autour de la numérisation de la télévision publique. Il faisait également partie du staff de campagne d’Alpha Condé, en Guinée, il y a trois ans. Dennis Frédéric Adoum figure également sur la liste.

Marie-Luce Skraburski, qui assure pour le compte d’Anne Méaux la communication présidentielle, est également héritée du régime précédent. 

La proximité avec la Libye

Parmi les 16 Libyens de la liste, on retrouve quelques noms connus, très proches du colonel Kadhafi tué en 2011 par la coalition de l’OTAN. Abdallah Mansour, libéré après neuf ans de prison, le 19 février dernier, était l’un de ses conseillers. C’est l’un des rares Libyens de la liste qui appartient à la tribu de Mohamed Bazoum, les Ould Souleymane. On trouve aussi Tamer Salah Bachir, frère du directeur de cabinet du colonel Kadhafi, Mabrouka Alshareef, ex-amazone et garde du corps du colonel Kadhafi, très connue dans les milieux touareg nigériens, ainsi qu’un cousin du Guide, Ahmed Abdoulrahim Al Furgani. Trois membres de la famille de Madani Al Azhari, l’ancien secrétaire général de la CEN-SAD qu’on dit avoir été au coeur des circuits de financement libyen du parti rose avant 2011, figurent également parmi les détenteurs étrangers de passeports diplomatiques.

Andrew Allister Knott, le patron de la junior pétrolière Savannah Energy, qui ambitionne de produire prochainement du pétrole dans l’est du Niger, est l’unique Britannique de la liste. Le Mauritanien Mohamed Liman Chafi, lui-aussi conseiller spécial de Mahamadou Issoufou avant Mohamed Bazoum, est connu pour ses bons offices dans les relations avec les groupes armés et les rébellions, notamment en matière de libération d’otages quand le chef djihadiste Mokhtar Ben Mokhtar était encore vivant.

Malins et nigérians

Deux Maliens apparaissent sur la liste. Le premier, Tieman Hubert Coulibaly, est un ancien ministre du Président Ibrahim Boubacar Keita qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis à Bamako pour une affaire de détournements en marge d’un marché d’achat de véhicules blindés. Il fait partie des bêtes noires des militaires au pouvoir à Bamako. Son compatriote serait l’un de ses proches. 

Parmi les Nigérians titulaires de passeports diplomatiques, on note trois membres de la famille de Tahirou Mangal, le milliardaire de Katsina qui passe pour avoir été l’un des financiers de la campagne de Mohamed Bazoum après son prédécesseur. Mangal est à la tête d’un empire multiforme dans sa ville natale. Au Niger, il s’est surtout activé dans le transport aérien et l’import export de pétrole. On dit de lui qu’il contrôle la majorité des flux commerciaux entre le Niger et le Nigéria.

Depuis près d’une semaine, le secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères du Niger a transmis cette liste aux chefs de missions diplomatiques et postes consulaires du Niger «pour dispositions utiles à prendre» à l’égard de personnes «nigériennes et non nigériennes n’étant plus en position de détenir lesdits passeports.»

 

1 COMMENTAIRE

  1. Avec ce scandale des passeports diplomatiques aux étrangers, Bazoum est encore cuit dans les accusations de « haute trahison »de la junte, la messe est dites pour lui.

    Pour ce qui est des passeports diplomatiques donnés aux gens de sa tribu (qui est l’une des tribus arabes) mais qui sont des libyens, ça ne ménage pas son image de nigérien d’origine, ça renforce cette thèse qui dit qu’il n’est pas nigérien mais un arabe étranger (car au Niger il y aussi des tribus arabes) imposé par Issoufou ou imposé par la France à Issoufou comme candidat à sa succession présidentielle (selon différentes versions).

    Bazoum pouvait bien se passer de cette casserole sur les passeports diplomatiques, car donner des passeports diplomatiques aux étrangers, sous prétexte qu’ils sont des conseillers (spéciaux ou stratégiques) du président de la République qui les a donné ces passeports, ça n’a aucun fondement juridique ou administratif.

    Un président de la République peut avoir des conseillers étrangers spéciaux ou stratégiques, et faire en sorte qu’ils continuent d’utiliser toujours leurs passeports d’origine dans des missions à l’étranger du président avec lequel ils travaillent, et leur donner des laissez-passer de la présidence quand ils veulent aller justement en mission à l’étranger pour le compte du président avec qui ils travaillent, ou pour le compte du Niger bien sûr (dans ce cas précis qui parle du Niger), et non aussi pour leurs comptes personnels. Du coup ça sera des laissez-passer pour chaque mission.
    Beaucoup des présidents des Républiques le font, Toni Blair qui est le conseiller stratégique du satrape Faure Gnassingbé, ou du dictateur sanguinaire Paul Kagame, je ne pense qu’il ait un ou deux passeports diplomatiques (togolais et rwandais), même si lui déjà avec son passeport britannique, il a déjà plus des possibilités et de facilités de voyage, surtout en étant aussi un ancien Premier Ministre. Mais même s’il n’était pas britannique, et n’était pas un ancien Premier Ministre, je ne pense pas qu’il allait avoir un ou des passeports diplomatiques de ces deux pays en étant conseiller stratégique de ces deux satrapes.

    Donc distribuer à tout vent des passeports diplomatiques aux étrangers, comme lui Bazoum avait fait, c’est du favoritisme entre amis pour qu’ils continuent de se rendre services, comme c’est le cas de certaines personnes citées dans l’article, et aussi c’est leur permettre de s’échapper de leurs difficultés personnelles administratives dans leurs pays d’origine, pour avoir des documents administratifs comme c’est le cas de ex caciques de Kadhaffi qui sont tombés en disgrâce chez eux, qui doivent certainement avoir des difficultés pour obtenir des documents administratifs là-bas en Libye pour leurs statuts d’ex du régime du Guide libyen, et aussi avec l’état actuel de la Libye où tout est défaillant administrativement avec la faillite de l’État.

    Ou du moins il fallait qu’ils aient des passeports ordinaires de service à leurs rangs de conseillers spéciaux et stratégiques, et non des passeports diplomatiques. J’imagine que même des membres de sa propre famille biologique (de Bazoum) qui n’occupent pas des fonctions officielles, doivent posséder ces passeports diplomatiques, c’est vraiment du « grand n’importe quoi » (rires), pour paraphraser Macron, et une gouvernance tordue.

    Bazoum essaye d’être présenté comme un modèle et comme différent de Issoufou dans la gouvernance (qui lui-même aime se présenter aussi comme un modèle à l’international, rires), mais finalement au regard de ces scandales comme celui des passeports diplomatiques, les deux anciens camarades (Issoufou et Bazoum) ont beaucoup de convergences (négatives bien sûr) dans la gouvernance: népotisme, favoritisme, etc…

    Et bien dans ce jeux de mauvaise gouvernance, Issoufou étant plus aguerri que lui Bazoum, il n’a pas hésité à lui renverser quand Bazoum voulait maintenant se tailler la part du lion du gâteau national, en refusant l’ami du fils de Issoufou pour la future nomination du directeur général de la nouvelle compagnie nationale du pétrole, pour la bonne gouvernance peut-être (vu que le celui qui allait être nommé était réputé pour être compétent, et que Bazoum voulait soit disant faire bénéficier des dividendes du pétrole au peuple, à la différence de prédécesseur Issoufou), et aussi pour lui-même Bazoum, pour avoir le contrôle de la «mangeoire», rires (dont il y’a les détournements des fonds, passation de marchés publics de gré à gré, et aussi le favoritisme comme cette distribution des passeports diplomatiques à ceux qui ne les méritent pas dont on parle ici et autres pratiques tordues de la gouvernance).

    En tout cas cette histoire de passeports diplomatiques n’arrange pas les affaires pour lui Bazoum, et c’est très bien que la junte ait annulé ces passeports diplomatiques, car les individus détenteurs de ça, ne les méritent pas. Bravo à la junte pour ça, même s’ils ne sont pas aussi trop clairs dans leurs gouvernances avec Issoufou père qui semble être avec eux, et qui n’est pas arrêté, malgré ses graves crimes de responsabilité d’État.

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