Gabon, une constitution sur mesure pour Brice Oligui Nguema

Brice Oligui Nguema lors du défilé de la fête nationale du Gabon, le 17 août 2024 à Libreville.

Au Gabon, une nouvelle constitution est en préparation, qui ferait du pays un lieu d’exclusion mais consacrerait également les pleins pouvoirs à un militaire qui règne en maitre depuis le coup d’État. Son nom? Brice Oligui Nguema.


Le Gabon aura bientôt une nouvelle constitution. Si cela n’est pas vraiment nouveau dans ce pays qui en a déjà connu un peu plus d’une demi-douzaine, celle qui entrera en vigueur dans les prochains mois se caractérise par son virage ultra-nationaliste (plus extrémiste que nationaliste, il faut bien l’admettre), mais surtout comme une constitution taillée sur mesure pour permettre au général Brice Oligui Nguema, ancien patron de la Garde Prétorienne d’Ali Bongo, de se maintenir au pouvoir dont il s’est emparé par la force le 30 août 2023.

Très large exclusion

À côté de l’ivoirité qui, en son temps, a déchiré la Côte d’Ivoire, le projet constitutionnel qui se dessine au Gabon est stratosphérique, tant il prévoit qu’un type de Gabonais extrêmement précis puisse se porter candidat à l’élection présidentielle. Ainsi, selon l’article 53, pour être candidat à la présidence de la République gabonaise, il faudra désormais être Gabonais de père et de mère eux-mêmes Gabonais, ne pas être âgé de plus de 70 ans, être marié à une Gabonaise et parler au moins une langue locale (le pays en compte plus de 40 !).

Des dispositions qui auraient, par exemple, exclu des hommes politiques de premier plan tels que Jean Ping, dont le père était Chinois et qui avait remporté dans les urnes le scrutin présidentiel de 2016. Ces dispositions excluent également un bon nombre d’acteurs politiques de premier plan du Gabon, comme Pierre Claver Maganga Moussavou, aujourd’hui âgé de 72 ans. D’autres acteurs politiques en devenir seraient aussi écartés, notamment Omar Denis Bongo, fils d’Omar Bongo, qui ne pourrait être candidat, car bien que fils de celui qui a dirigé le Gabon pendant 42 ans (et dont Brice Oligui Nguema a été l’aide de camp), sa mère, Edith Lucie Bongo née  Sassou, n’était pas Gabonaise de parents. Ce projet écarterait aussi tous les fils d’Ali Bongo.

Quant à Albert Ondo Ossa, vainqueur dans les urnes de l’élection de 2023, il ne pourra pas être candidat à l’élection à venir car il aura 71 ans le 17 juillet 2025…

Les inquiétudes d’Alassane Ouattara

Ce projet de constitution a fait réagir au-delà de l’Afrique centrale, puisque, selon des informations de La Lettre du Continent, Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, a dépêché le 11 septembre dernier à Libreville son conseiller spécial, Ally Coulibaly. Le chef de l’État ivoirien a fait part à Brice Oligui Nguema de ses inquiétudes concernant le projet constitutionnel gabonais.
Par ailleurs, selon nos informations, Alassane Ouattara s’inquièterait également pour un de ses très bons amis, Alexandre Barro Chambrier, actuel vice-Premier ministre, mais qui a déjà eu des ambitions présidentielles et serait doublement exclu, alors que son père, Marcel Éloi Rahandi Chambrier, fut président de l’Assemblée nationale du Gabon.

Brice Oligui Nguema ( à gauche) et Alassane Ouattara ( à droite) à Abidjan en Novembre 2023. Photo : Facebook Présidence de la République de Côte d’Ivoire.

« On veut introniser un roi »

Au niveau local, très peu d’hommes politiques se sont montrés ouvertement critiques. « C’est un projet qui ruine tous nos engagements internationaux (…) Ce projet, s’il est validé, viole le traité de la CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale), viole les dispositions de l’Union africaine, notamment sur la question de la liberté et des droits de l’homme, des droits politiques. Les élections, c’était réglé. Je vois les personnes handicapées qui font campagne vous dire cela, il faut accepter, alors que précisément ce projet les exclut », a déclaré Alain Claude Bilié By Nzé, dernier Premier ministre d’Ali Bongo.
« La dernière constitution du parti unique était plus démocratique », déclare un député de la transition, fin connaisseur de la haute administration, avec qui nous avons échangé.
« C’est de l’hitlérisme, de la dictature hitlérienne. C’est la perfection de la race, le Gabonais pur (…) On veut introniser un roi», a déclaré Daniel Mengara, universitaire et opposant de toujours, qui a toujours refusé tout compromis avec le pouvoir et qui pourrait être exclu de la course, puisqu’il n’a pas résidé au Gabon les trois années précédant l’élection prévue en août 2025, élection à laquelle il a déjà annoncé sa candidature.

« Nous entendons remettre le pouvoir aux civils en organisant de nouvelles élections libres, transparentes et crédibles, dans la paix sociale »

Brice Oligui Nguema le 04 septembre 2023. 

En réalité, le projet de constitution, dont Brice Oligui Nguema a, dans les faits, le contrôle total du processus (il a nommé tous ceux qui ont élaboré, de près ou de loin, ce texte, du dialogue politique au Parlement de transition. De plus le référendum qui devra l’adopter sera organisé par son ministre de l’Intérieur, sans possibilité d’en vérifier la transparence), est simplement taillé sur mesure pour donner une dimension légale à son pouvoir.
Appelé publiquement par un autre général de l’armée gabonaise à se présenter aux élections présidentielles, Brice Oligui Nguema ne veut prendre aucun risque et procède à une purge en amont de tous ses adversaires potentiels, tant actuels que futurs. Si cinq jours après son coup d’État, Brice Oligui Nguema avait déclaré  « Nous entendons remettre le pouvoir aux civils en organisant de nouvelles élections libres, transparentes et crédibles, dans la paix sociale » aujourd’hui ces mots sonnent bien faux dans un Gabon où le culte de sa personne grandit. 

Le Gabon qui n’aura connu qu’une révolution de palais destinée à écarter Sylvia Bongo  la Régente de Libreville et son fils Nourredine n’en prend manifestement pas le chemin.

Le clientélisme et l’armée, les atouts de Brice Oligui Nguema