Le Sahel menacé par le djihadisme: une nouvelle Syrie

Un scénario à la «  syrienne »au Sahel  marquée par la faillite des États et l’instauration d’un califat n’est pas une vue de l’esprit.

Activité des groupes djihadistes au Burkina Faso au 7 décembre 2022. En jaune, le JNIM, organisation dirigée par Iyad Ghali, en vert l’Etat islamique qui vient de prêter allégeance au nouveau calife, Abou Al-Hussein al-Husseini al-Qurashi.

Le Sahel est en guerre depuis dix ans, mais jamais la situation n’a été aussi préoccupante qu’aujourd’hui, même s’il y a eu des années noires comme celle de 2019. La réalité est telle que l’effondrement du Burkina Faso peut être envisagé, quant au Mali, sa «  somalisation  » se poursuit. 

Beaucoup plus grave encore, l’État islamique se renforce dans la zone dite des Trois frontières avec une arrivée massive de combattants étrangers venus du Moyen-Orient. Face à cette menace, le silence des gouvernements sahéliens et de leurs partenaires interpelle. Ce mutisme est d’autant plus inquiétant, qu’aucune stratégie n’est mise en place par ces mêmes acteurs, c’est le règne de la fuite en avant, de l’aveuglement, du déni et du cynisme aussi… 

Burkina Faso : la fuite en avant

 

Les cartes parlent d’elles-mêmes, les autorités burkinabè contrôlent au mieux 40% de leur territoire. Le coup d’Etat de septembre 2022, avec l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, n’a rien changé, hormis désorganiser encore un peu plus une armée déjà déliquescente. La seule véritable initiative prise par le nouveau pouvoir pour essayer de renverser la situation est l’appel à l’enrôlement de 50 000 Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP). Comment ces civils, bénéficiant d’une formation de 14 jours, pourraient-ils réussir là où une armée professionnelle a échoué ? Cette mesure ressemble plus à une fuite en avant, à une tentative de la dernière chance pour reconquérir le territoire perdu. Et les risques sont importants. Les gouvernements précédents avaient exclu les Peuls des recrutements de ce groupe d’autodéfense, qui avait commis et qui, selon des sources burkinabè, continue de commettre, aux côtés des forces de Défense et de Sécurité, de nombreuses et graves exactions sur ces populations. Le danger de voir des affrontements communautaires d’ampleur est donc réel. Par ailleurs, début décembre, le JNIM a publié un message d’alerte à l’attention du chef de l’Etat et des populations pour mettre en garde tous ceux qui cibleraient « les moudjahidines » . Les VDP se retrouveront donc dans la ligne de mire avec des pertes humaines importantes à la clé compte tenu de l’implantation de l’organisation dirigée par Iyad Ghali, qui au passage a beau jeu de s’ériger en défenseur des Peuls, amplifiant ainsi leur stigmatisation.

Toujours dans des recherches de solutions, le 7 décembre, le Premier ministre Apollinaire de Tambèla s’est rendu à Moscou. L’objectif de cette visite n’a pas été rendu public, mais des rumeurs évoquent une arrivée imminente du groupe Wagner. Les militaires maliens qui ont facilité la rencontre pousseraient à cette option pour sortir de leur isolement et certains officiers voyant le mur se rapprocher y seraient favorables. Mais où les autorités burkinabé trouveront-elles l’argent pour rémunérer cette société militaire privée, alors qu’elles cherchent déjà des fonds pour payer et équiper les 50 000 VDP ? Sans compter qu’une présence russe au Burkina Faso ferait perdre à Ouagadougou toutes les aides françaises, européennes, américaines, dont elle a tant besoin pour faire face à l’urgence humanitaire. Les déplacés internes représentent désormais plus de 10% de la population. Enfin, ce n’est pas 1000 ou 2000 mercenaires qui réussiront à ramener la sécurité et les territoires perdus dans le giron de l’Etat. A ce stade, la seule réponse militaire n’est plus pertinente, n’est plus suffisante.

Mali, une paix de survie

L’état sécuritaire du Mali est très difficile à appréhender tant les situations sont différentes selon les zones, jusqu’au plus petit local. C’est une sorte de patchwork où l’Etat ne règne plus. Dans le Centre, dans la région de Mopti, les habitants vivent dans un climat de terreur avec des affrontements entre les Fama, Wagner, les dozos de Dan Ambassagou, contre les djihadistes mais aussi contre les populations soupçonnées de collaborer avec le JNIM. Dans d’autres endroits du Centre, comme dans le cercle de Niono, s’est établie ce que la mission de maintien de la paix au Mali, Minusma, appelle dans son dernier rapport : « des pactes de survie ». Pour pouvoir continuer à cultiver et donc se nourrir, les populations ont fait allégeance aux groupes djihadistes et à leurs règles, les femmes vont aux champs voilées, les populations payent la zakat, etc. Dans ce cercle, les dozos ont été très affaiblis, les combats avec les djihadistes ont pris fin. C’est une situation où, en même temps, le JNIM fait régner sa loi et où l’armée patrouille aux côtés des hommes de Wagner. Une sorte de statu quo, où tous passent des accords avec tous pour obtenir un peu de tranquillité après dix années de guerre.

Dans la région de Ménaka, fief de l’Etat islamique, une organisation qui contrairement au JNIM ne cherche pas l’allégeance des populations, mais souhaite des gains de territoires en pratiquant la politique de la terre brûlée, la situation est cauchemardesque. Depuis mars 2022, tous les villages de cette région ont été anéantis, les populations, qui ont survécu ont fui vers l’Algérie, le Niger ou encore la ville de Ménaka où se trouve la Minusma, l’armée malienne qui cohabite avec des mercenaires de Wagner ne sortant que très rarement de leur camp.

 

Vers un scénario syrien

C’est dans cette configuration avec des Etats de plus en plus fragilisés, qu’une arrivée massive de combattants étrangers est venue renforcer les rangs de l’Etat islamique. Le 24 novembre dernier, le malien Moussa Ag Acharatoumane, membre du Conseil National de Transition (CNT) et secrétaire général du Mouvement pour le Salut de l’Azawad a tweeté : « Daesh : Saoudiens, Syriens, Irakiens, Koweitiens, Maghrébins affluent vers la zone des 3 frontières. Un monstre est en train de naître sous nos yeux, le réveil sera difficile, nos autorités sahéliennes sont interpellées. » Des informations, par ailleurs, recoupées lors du dernier voyage de l’IVERIS au Sahel.

Des images de propagande diffusées sur les réseaux sociaux montrent un regroupement impressionnant de ces combattants, tant en terme de nombre que de matériel, faisant allégeance au nouveau calife de Daech, Abou al-Hussein al-Husseini. L’internationalisation du conflit dans cette région est donc actée.

Au passage, les groupes armés déjà fort bien lotis n’auront aucun mal à s’équiper, puisque comme l’IVERIS l’a anticipé dès mai 2022, les armes livrées par les pays occidentaux à l’Ukraine sont arrivées en Afrique. Le président nigérian, Muhamadou Buhari en a fait état le 30 novembre lors de son discours devant la Commission du Bassin du lac Tchad.

Certains journalistes, experts, soutiennent que ces prises de vues ont été réalisées au Mali, accréditant ainsi l’idée que le départ de Barkhane a permis à l’Etat islamique de se renforcer. Sauf que, comme le montrent les cartes, Daesh prend pied au Mali certes, mais aussi au Niger et au Burkina Faso précisément dans cette zone des Trois frontières. (Historiquement d’ailleurs, il s’est d’abord installé au Niger et a ensuite débordé au Mali et au Burkina Faso)

Or, l’armée française est présente au Niger, les Américains aussi, ils disposent de la base de drones d’Agadez, d’une base de la CIA à Dirkou. L’Allemagne qui a prolongé sa mission militaire en mai 2022, a déployé une équipe de formateurs qui encadre une unité des forces spéciales nigériennes dans la région de Tahoua à quelques km à vol d’oiseau de ladite région. L’Italie, de plus en plus présente dans le Sahel, a aussi un contingent au Niger. Avec tous les moyens dont ces Etats disposent, comment peuvent-ils ignorer que l’Etat islamique est en train de se bâtir un sanctuaire dans une zone à peine plus grande que la Belgique ? Difficile de comprendre pourquoi tous restent silencieux et inactifs.

S’agirait-il de calculs de très court terme et de très courte vue qui consisterait à laisser l’Etat islamique s’installer pour qu’il affaiblisse le JNIM, les combats entre les deux groupes font rage à intervalles réguliers ? S’agirait-il de montrer aux autorités de Bamako qu’elles ont fait les mauvais choix et que sans l’aide de la France la situation sécuritaire se détériorera encore un peu plus ? Pourtant quels que soient les inimitiés, les ressentiments, les luttes géopolitiques, personne, et surtout pas les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, n’a intérêt à un effondrement du Mali.

Si Daesch déclarait un califat dans la zone, ce qui compte tenu des nombreux renforts venus du Moyen Orient n’est pas un scénario inenvisageable, on se retrouverait alors dans la configuration syrienne. Dès 2017, cette situation a été envisagée par le Pentagone et le Sénat américain. A l’époque dans un article intitulé « Le pivot africain », l’IVERIS s’interrogeait sur les propos du sénateur John McCain : « Plus nous réussirons au Moyen-Orient, plus nous verrons les serpents se diriger vers l’Afrique et nous devrons être prêts à conseiller et à aider les nations qui sont disposées à travailler avec nous ». Prophétie auto-réalisatrice ?

Nous y sommes. Les serpents de Syrie sont arrivés dans le Sahel «  un monstre est en train de naître sous nos yeux.  »

Leslie Varenne