Mauvaise passe pour Tariq Ramadan: un livre et un procès

 Alors que le Ministère public genevois annonce que le prédicateur sera jugé en mai prochain pour viol et contrainte sexuelle, une journaliste égyptienne sort une biographie à charge sur le petit-fils d’Hassan al-Banna.    

Par Ian Hamel

On attendait l’annonce d’un procès aux assises à Paris, mais le coup est parti des bords du lac Léman. Au terme d’une instruction de quatre ans, le Ministère public genevois a rédigé le 1er décembre 2022 une acte d’accusation de trois pages. Il est particulièrement accablant. Pas seulement parce que le prévenu s’est rendu coupable de viol à trois reprises, ainsi que de contrainte sexuelle. Le document décrit une scène d’horreur qui se serait déroulée dans la nuit du 28 au 29 octobre 2008 dans un hôtel rue de Lausanne. Tariq Ramadan est notamment accusé d’avoir asséné de très nombreuses giflas à sa victime, de lui avoir tiré les cheveux, et de ne jamais cesser de l’insulter.

Il ne l’a traite pas seulement de « pute », de « sale chienne », de « salope », et de l’apostropher par des phrases telles que : « Hein t’aimes ça ? ». L’ancien professeur à l’université d’Oxford, qui se qualifie lui-même de « savant », paraît faire une fixation sur la taille du sexe de… Dieudonné. L’“humoriste“, condamné à de nombreuses reprises, a pourtant pris fait et cause pour le petit-fils d’Hassan al-Banna en octobre 2017, estimant qu’il n’y a « aucune preuve, aucun élément à charge » concernant Tariq Ramadan. Mais dans la chambre d’hôtel, l’ancien universitaire ne cesse de demander à sa victime : « Et Dieudonné, il a une grosse bite ? », « Hein, il en a une grosse ! ». 

Un père abandonné de tous    

Des propos qui ne manqueront pas de dégrader encore davantage l’image du prédicateur auprès des musulmans francophones. En France, où il est poursuivi pour quatre viols, Tariq Ramadan est accusé d’avoir uriné sur l’une de ses victimes. En Suisse, il n’ira pas aux assisses mais devant un tribunal correctionnel, les 15 et 16 mai 2023. L’ancien prédicateur risque malgré tout jusqu’à dix ans de prison. D’ici là, il aura le temps de Livre « Le petit-fils d’Al-Banna : victimes et témoignages », de la journaliste Hala Amin, chef du Département des affaires étrangères et arabes au journal El-Dostor au Caire. Certes, il y a déjà eu près d’une dizaine de biographies de Tariq Ramadan en France (dont deux signées par l’auteur de l’article), mais c’est la première à paraître en arabe dans le pays de sa famille.

Né en 1962 dans la Cité de Calvin, il est le petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur de la Confrérie des Frères musulmans. Son père, Saïd Ramadan, a épousé la fille aînée d’Hassan al-Banna. Pour échapper à Nasser, Saïd Ramadan a fui l’Égypte en 1954, se réfugiant d’abord en Syrie et au Liban, avant de rejoindre la Suisse, où il créé le Centre islamique de Genève (aujourd’hui dirigé par Hani Ramadan, frère ainé de Tariq Ramadan). D’abord sponsorisé par les Saoudiens, Saïd Ramadan a été mis sur la touche dès les années 70 en raison d’une vie privée qui n’aurait pas été irréprochable. A sa mort en 1995, aucune publication ne lui a consacré la moindre ligne, alors qu’il avait été le patron des Frères musulmans en Occident. On peut imaginer que ce douloureux souvenir hante aujourd’hui Tariq Ramadan, qui a vu la plupart de ses fans le lâcher lorsqu’il a été contraint de reconnaître une vie privée  plus que mouvementée.

L’argent des Frères musulmans       

Dans « Le petit-fils d’Al-Banna : victimes et témoignages », il faut retenir les propos de Jamal Al-Banna, le plus jeune frère d’Hassan al-Banna, décédé en 2013 à l’âge de 92 ans : « Tariq Ramadan est un homme d’affaires. Ce n’est pas un  prédicateur : Tout ce qui l’intéresse, c’est l’argent et la gloire ». En France en 2019, Musulmans de France, une association proche des Frères musulmans, a désavoué publiquement Tariq Ramadan, peu après sa sortie de prison. « Je pense que Jamal Al-Banna avait raison : Tariq Ramadan n’a jamais travaillé que pour ses propres intérêts, jamais pour les autres. Ce qui explique que depuis qu’il est rattrapé par les scandales, il se retrouve seul », constate Hala Amin.  

En 1999, le journaliste Richard Labévière, dans « Les dollars de la terreur », affirme que Saïd Ramadan gérait l’argent de la Confrérie à Genève. Mais à sa mort, en 1995, ses enfants, et notamment Tari Ramadan, aurait mis la main sur le pactole. L’accusation n’a jamais été démentie. Est-ce pour cette raison que le prédicateur n’a plus jamais mis les pieds en Égypte, de crainte d’avoir des comptes à rendre ? Il est effet très curieux que lorsque le Frère musulman Mohamed Morsi a été élu président en 2012, Tariq Ramadan ne s’est pas précipité pour acheter un billet pour Le Caire. Toutefois, ce n’est pas l’opinion de la journaliste égyptienne : elle pense que la mission qui lui était assigné consistait à faire la promotion des Frères musulmans en Europe et à dénigrer l’armée égyptienne. « Il n’a tout simplement pas sa place en Égypte, et il le sait », dit-elle.

Par ailleurs, Tariq Ramadan avait porté plainte contre l’auteur de l’article pour « calomnie » et « diffamation » concernant un article publié sur le site du magazine Le Point. Non seulement le 1er novembre 2022, le Tribunal de police de Genève lui a donné tort, mais il a condamné Tariq Ramadan a versé au journaliste 21 498,85 francs suisses à titre d’indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure.  Comme à son habitude, Tariq Ramadan a fait appel.