L’intervention programmée de la Turquie en Syrie

Le compte à rebours de l’invasion turque de la Syrie a-t-il commencé ? Depuis l’attentat d’Istanbul le 14 novembre attribué par les autorités turques au PKK, le parti indépendantiste kurde, les forces turques sont déployées le long de la frontière et des avions turcs bombardent régulièrement des sites kurdes en Syrie et en Irak.

Le 21 novembre dernier, le président turc Recip Tayyip Erdogan a déclaré que la Turquie n’entendait pas se limiter à une « opération ponctuelle » et qu’elle « attaquerait le moment venu ». Malgré leur opposition frontale en Ukraine, Washington et Moscou font jeu commun pour tempérer le président turc. La Russie ne souhaite pas un démembrement de la Syrie et les États-Unis considèrent les forces kurdes syriennes comme des alliés vitaux dans la guerre contre l’EI.

Les Etats Unis et la Russie savent aussi que des élections vont avoir lieu en juin prochain en Turquie et qu’Erdogan pourrait avoir envie de jouer sur la fibre nationaliste turque pour se faire réélire. Etaler sa puissance militaire, agrandir le territoire turc aux dépens de la Syrie, reconstituer une partie de l’empire Ottoman est un remède classique aux crises politiques, en Turquie et ailleurs.

Le géographe Fabrice Balanche qui suit la situation de près, estime que la guerre est inévitable.  « Recep Tayyip Erdogan a été trop loin dans le discours et dans les actes pour reculer aujourd’hui. Cela fait plus d’un an qu’il menace d’attaquer, qu’il demande le prolongement de sa zone de sécurité. Et c’est le bon timing. Russes et Américains ont besoin du président turc dans la crise ukrainienne. Personne ne veut se le mettre à dos. Il monnaie donc ses services pour annexer un nouveau territoire kurde dans le nord de la Syrie. »

Le président turc exige qu’une zone tampon de 30 kilomètres refoule les forces kurdes loin de la frontière turque. Et il demande aux Russes ou aux Américains de faire la police à sa place. Ce que ni l’un ni l’autre n’ont l’envie ou les moyens de faire. Les Russes ont même arrêté les patrouilles communes avec les Turcs dans les régions susceptibles d’être attaquées. Et les Américains ont exfiltré leur personnel civil du Nord-Est syrien.  

Erdogan qui n’a pas rencontré le président syrien Bashar el Assad depuis onze ans a fait savoir qu’il accepterait que les forces syriennes  opèrent comme gardes-frontières. Mais Bashar el Assad exige que les forces turques quittent la Syrie avant de rencontrer Erdogan. La Turquie occupe en effet d’importantes zones de territoire syrien à son ancienne frontière avec la Syrie et n’a pas spécialement envie d’y renoncer.

Ces zones ne sont pas devenues « turques » uniquement de nom – les écoliers syriens étudient en turc, la livre turque y est désormais monnaie « légale », le commerce avec la Turquie fait vivre des milliers de familles et les milices syriennes opérant sous le patronage et le financement turcs sont devenus une force dominante.

La décision d’Erdogan d’envahir une portion notable de la Syrie dépendra fortement du contexte international. L’affaiblissement de la Russie en Syrie est l’une de ces conditions. Il n’est pas impossible que la Russie dévitalise ses positions en Syrie pour renforcer son effort de guerre en Ukraine. Dans ce cas, la Turquie pourrait avancer ses troupes. Toute la question est de savoir alors ce que feront les Etats Unis, mais aussi l’Iran.