L’Angola n’est plus une dictature, sans être vraiment une démocratie

L’opposition angolaise qui a été déboutée de toute réclamation, a été renvoyée dans ses cordes par le président Joao Lourenço après les élections qui ont eu lieu le 29 août dernier. Au pouvoir depuis 1975, le Mouvement populaire de libération de l’Angola est crédité officiellement de 51,17 % des voix. C’est ce qu’avait été annoncé, avant même la tenue d’un scrutin à l’évidence serré, quelques caciques du parti au pouvoir qui ne doutaient pas de la capacité du régime à retomber sur ses pieds après cette passe difficile.

Une chronique d’Yves Loiseau, réalisateur, journaliste et expert de l’Angola

Les élections législatives qui ont donné lundi 29 août un second mandat au président sortant Joao Lourenço, à l’issue du scrutin le plus serré de l’histoire du pays.

 

Les résultats officiels très serrés qui donnent presque à égalité le parti au pouvoir, le MPLA, et l’opposition regroupée derrière l’UNITA, laisse à penser que l’Angola ne connait plus les scores à la soviétique, du genre de ceux que l’on trouve encore chez les alliés et amis de ce régime « socialiste » du type de ceux qui sévissent en Russie ou en Chine. Tout laisse à penser en revanche que les résultats proclamés restent corrigés à la marge pour permettre à l’actuel Président angolais et à ses amis de conserver le pouvoir qu’ils détiennent depuis un demi siècle.

Dans un pays comme l’Angola, les élections se situent dans une sorte de zone grise où sous le regard des instances de régulation nationales plus ou moins instrumentalisées et sous le contrôle de la communauté internationale plus ou moins complaisante, le scrutin doit, pour des raisons d’image et de communication,  donner l’apparence de la démocratie. Il s’agit pour les autorités de Luanda,  de négocier avec les forces vives du pays un résultat qui soit sinon démocratique, du moins réaliste et  proche de la réalité pour singer un modèle pluraliste ouvert et ne pas provoquer la colère populaire. L’exercice reste périlleux. Tien ne dit qu’en Angola, le pouvoir en place parvienne à se survivre à lui même                    

Des institutions sur mesure


Les institutions sont taillées en Angola pour qu’il en soit ainsi sans qu’il y ait violation de la loi. Les lois locales ont donc été appliquées et le résultat est conforme à ce qu’il devait être. L’organisme chargé des élections -CNE- et le tribunal constitutionnel sont composés d’une quasi-totalité de membres du parti au pouvoir. Pour plaire aux institutions internationales et aux partenaires économiques du pays on a dégagé quelques strapontins pour l’opposition. Après l’absence de signatures de 4 membres du CNE qui ont refusé de valider les “résultats”, il y a eu toutefois dans la quasi-unanimité du Tribunal constitutionnel un avis contradictoire : il y a une juge qui a osé contester l’ensemble de ses petits camarades, Josefa Antonia dos Santos Neto, 68 ans, qui a fait toutes ses études à l’étranger, spécialiste en droit du travail ce qu’elle enseigne à Luanda depuis 1982. Il est vrai qu’elle a été nommée à la cour suprême par l’opposition et qu’elle est membre fondateur du Parti Démocrate d’Angola et membre de plusieurs syndicats. Elle se place sur le plan éthique et rappelle quels sont les fondements juridiques de la République d’Angola. Souvenons-nous de ce nom parce qu’en Angola une fois les élections passées les vengeances volent bas et les menaces ont déjà commencé à fleurir sur les réseaux sociaux…


Mais en dehors des partis politiques “traditionnels” une des nouvelles donnes est l’irruption de la société civile en tant que telle dans la révélation et la popularisation de la fraude… La poursuite –par des moyens pacifiques cette fois- de l’affrontement historique entre les ennemis de la guerre civile s’efface -un peu- au profit de nouveaux partis et surtout d’associations et d’ONG qui entendent faire savoir qu’elles aussi représentent les intérêts et les souhaits des “larges masses populaires”. C’est, selon moi, la conséquence de la montée en puissance de la jeunesse et l’expression de sa réticence vis-à-vis des partis traditionnels. 

La participation est plus que maigrelette ! Moins de la moitié des électeurs potentiels se sont déplacés ! 46 % ! Y compris dans les zones largement dominées auparavant par chacun des deux principaux partis qui étaient jusque-là des bastions quasi inexpugnables pour eux ! Une relative méfiance se serait donc installée quant aux changements réels qu’auraient opérés les acteurs –violents- de la guerre civile pour se rapprocher de la “démocratie”. De ce point de vue, malgré les avancées opérées dans les enquêtes officielles concernant les massacres perpétrés par le MPLA et la remise de certaines dépouilles identifiées à leurs familles, Joao Lourenco restera pour beaucoup le ministre de la Défense de son prédécesseur lors des “massacres de la Toussaint” qui ont fait entre 20 et 40000 morts après le 1er tour des élections présidentielles de 1992.

La diaspora quasi absente 


Mais, en termes d’abstention, la situation ne parait pas plus brillante dans les zones que contrôlait l’UNITA durant la guerre civile où elle faisait régner elle aussi un régime de fer. L’absence de vétérans de la guerre civile et la nomination comme tête de liste d’Alberto Costa Junior, qui n’avait participé au conflit qu’à la marge, n’a pas suffi à convaincre les électeurs que la page de la violence était définitivement tournée. Alors que pour la première fois, les Angolais de la diaspora pouvaient voter, la participation à Paris, Londres et Lisbonne était tout simplement ridicule.

Une certitude, aucun des deux partis n’a dépassé la barre des 50 % alors que le décompte “officiel”, lui, octroie 51 % à ceux qui sont au pouvoir depuis un demi siècle ou presque. 51 % pour un parti qui ne partage le pouvoir. Une dégelée ! En dehors du FNLA, parti historique, les partis de création post guerre civile ne réussissent pas à s’imposer et à fournir, même regroupés, une alternative au MPLA et à l’UNITA. Le pays est divisé en deux parts à peu près égales dans lesquelles les particularités ethniques semblent avoir de moins en moins d’importance.

Le MPLA perd de toute façon sa majorité absolue et devra compter dès aujourd’hui avec son opposition : un scénario inédit qui prouvera enfin qu’il a choisi, 50 ans après son coup d’état initial, la voie de la démocratie. Joao Lourenco entame donc là son dernier mandat puisque l’actuelle constitution ne lui donne pas la possibilité de se présenter une troisième fois et que la nouvelle composition du parlement ne donne pas au MPLA la capacité de changer cette constitution. La course à la succession à l’intérieur même du Parti dominant est donc de facto ouverte ce qui va amplifier les possibles fractures.
A titre de curiosité, on peut toutefois s’interroger sur qui se passerait aujourd’hui si les projections de la société civile s’étaient traduites dans la réalité. Selon ces calculs, Adalberto Costa Junior –UNITA- aurait remporté plus de suffrages que Joao Lourenco –MPLA- mais la constitution actuelle lui aurait tout de même donné plus de députés qu’à son adversaire… Remportant plus de suffrage, le leader de l’UNITA aurait donc, sans doute, été Président de la République mais avec un Parlement où il n’aurait pas eu la majorité. Jolie bataille également entre constitutionnalistes..


Ingouvernable, non ?

L’ancien premier ministre du MPLA pendant 4 ans, Marcolino Moco, qui est passé du côté de l’UNITA aujourd’hui, accuse son ancien parti d’avoir effectué un nouveau “coup d’état” parce qu’il se réfère à ce qui se passe actuellement dans la rue à Luanda avec l’armée et la police dans la rue pour imposer un résultat pour le moins discutable et rappelle que rien dans le comportement du MPLA ne laissait supposer qu’il allait se plier à la victoire de ses adversaires. Vrai.

Joao Lourenco est-il le démocrate qu’il prétend être? On en doute. Tout ce qui précède démontre qu’avant même de débuter son nouveau mandat Joao Lourenco est sérieusement contesté. Les signes relevés par Marcolino Moco, les invectives sur les réseaux sociaux qui vont jusqu’aux menaces de mort, l’augmentation hallucinante du salaire des policiers –multipliés par quatre avec effet rétroactif de trois mois- vont effectivement dans le sens d’une reprise de l’épreuve de force.

La situation semble bien plus favorable pour l’opposition que pour le pouvoir. En fermant la porte à tout compromis et en relançant la répression, le parti au pouvoir et son président vont se couper encore plus de la jeunesse qui semble avoir choisi, pour l’instant, une voie intermédiaire entre les deux partis dominants. Quarante six organisations civiques et ONG angolaises se sont liguées contre l’annonce anticipée et falsifiée des résultats électoraux. 


La vérité oblige à dire qu’aucun des partis ayant participé à la “compétition” n’avait présenté de programme correspondant réellement à ce que l’Angola doit affronter comme impératifs. Ce qui explique sans doute pour partie la faiblesse de la participation électorale mais aussi la mobilisation des jeunes.,

La menace de la famine


La priorité reste le réchauffement climatique et la dramatique famine qui s’étend à la frontière de la Namibie. Seules les églises qui continuent à agir et accusent le gouvernement, depuis des mois, de parler sans rien faire… Ce problème est la priorité des priorités puisqu’il s’agit de lutter purement et simplement contre la famine qui sévit et tue des milliers de personnes. Certes l’UNITA affirme dans son programme avoir comme priorité l’agriculture vivrière au détriment des énormes propriétés que le MPLA s’était partagées et qui ont, pour partie, contribuer à changer la vie traditionnelle de l’agriculture locale mais sans proposer de calendrier.


Le second dossier est  celui des ressources naturelles et au premier chef du pétrole. Rien sur ce dossier central dans les programmes des deux principaux partis. Depuis la fin de la campagne électorale, l’Angola est devenu le 1er producteur de pétrole du continent africain. Le pays va par ailleurs privatiser une nouvelle tranche de sa société nationale Sonangol: c’est le moment ou jamais de voir ce que les sociétés étrangères peuvent faire comme effort financier pour contribuer à la résolution des problèmes du pays. Depuis la fin du régime colonial les compagnies pétrolières n’ont jamais joué le jeu des droits de l’homme et l’on peut s’interroger sur la capacité que ces grandes multinationales ont lorsque l’on sait toutes les violations qui ont été encourues dans ce domaine et le silence assourdissant de ces sociétés dont on peut imaginer qu’elles préfèrent la continuité au changement.

Le rapprochement de l’Angola avec la Chine ne peut qu’inquiéter les occidentaux.