L’alliance renforcée entre le Tchad et les Émirats Arabes Unis

La France n’a peut-être pas pris la mesure de la redistribution des cartes au Tchad qui fut longtemps le bon élève de la classe sahélienne et l’alliée la plus constante des militaires français contre le djihadisme. Or le jeune président tchadien, Mahamat Idriss Déby, dit « Kaka », s’est considérablement rapproché des Émirats Arabes Unis et du Qatar, tandis que ses propres services de renseignement construisaient une relation étroite avec leurs homologues de Washington et de Tel Aviv, sans oublier la Turquie. Même au Tchad, la France d’Emmanuel Macron est marginalisée!

Un article d’Olivier Vallée


Après avoir quitté le Mali et le Burkina tout en étant contraint de recadrer leur dispositif militaire au Sahel, le haut commandement militaire français avait pris la mesure que le Tchad n’était pas en Afrique de l’Ouest. Niamey au Niger avait été choisi comme pôle de renseignement dans la guerre contre-insurrectionnelle. Ce que souhaitait notamment la Direction du Renseignement Militaire (DRM, France). Or ce dispositif a dû être aussi démantelé. Emmanuel Macron en recevant le Président tchadien a tenté de remettre au premier plan l’alliance de la France avec un des derniers pays restés sous influence française. Du moins, Emmanuel Macron veut s’accrocher à cette idée. 

Pourtant la rencontre, voici une semaine, du président français avec son homologue tchadien ne lui aura pas donné toute satisfaction. La proximité de Mahamat Idriss Déby avec le gouvernement nigérien est une réalité dure à avaler pour Paris. Or le chef d’état tchadien connait bien le Premier ministre nigérien, qui lui est apparenté. Il a rappelé à Emmanuel Macron que son pays n’est pas membre de la CEDEAO et que l’opposition de la population à la présence militaire française s’amplifiait.

N’djamena n’entend plus apparaitre comme proche des services français (DGSE),dont l’antenne tchadienne est la plus importante que l’armée française possède en Afrique, après que les camps d’entrainement du Burkina Faso aient été fermés.

Les Émirats, allié privilégié

Après cet entretien tendu entre les deux présidents, la délégation tchadienne a embrayé vers le siège de la DGSE en compagnie d’un intermédiaire originaire d’Abu-Dhabi qui connait bien les dossiers de cyber sécurité. Le Tchad en effet se rapproche davantage des Emirats Arabes Unis, et pas seulement dans le domaine de la technologie.

Mahamat Idriss Deby est à présent dans l’orbite des EAU de MBZ. En témoigne l’accord de coopération militaire signé en juin 2023 par président du Conseil Militaire de la Transition. Cet accord s’est vite traduit en aout 2023 par la remise de véhicules et d’équipements militaires au Tchad. A cette occasion,  le dispositif global du hub sécuritaire tchadien s’est construit à Ndjamena dans une grande autonomie par rapport aux militaires français Rashid Al Shamsi, l’ambassadeur des EAU a transféré les dons de son gouvernement au Lieutenant Général Daoud Yahya Brahim, ministre de la défense du Tchad, qui était accompagné du chef d’État-major et du chef des forces de réserve du Tchad, forces de réserve qui ne sont que rarement mentionnées.

Les liens des EAU avec le Tchad préexistaient au règne de Kaka. De 2015 à 2019 le commerce entre les deux pays est passé de 177 millions à 412 millions de dollars. Dès 2017 le ministre de l’économie des EAU, Sultan bin Saeed Al Mansour, déclarait que le Tchad était un site d’investissements pour les groupes et des fonds du Golfe. Tout cela s’inscrit dans le rapprochement que l’Agence Nationale de Sécurité  a entrepris avec le Mossad qui souhaitait que le Tchad reconnaisse Israel.
En attendant, Israel a fourni un matériel d’écoutes qui n’épargne pas les Français. Et le Tchad a ouvert une ambassade en Israel.
Le Qatar à la manoeuvre
La survie du Président tchadien dépends pour beaucoup désormais de la solidité de ses liens avec les monarchies du Golfe, les Émirats en tète, mais sans oublier le Qatar. Plus d’un an après l’accord de paix signé en août 2022 à Doha r entre le gouvernement de transition et la majorité des groupes politico-militaires, les autorités tchadiennes lancent enfin le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Soit un énorme chantier en termes d’identification, de collecte des armes et de réinsertion de personnes qui sont pour beaucoup des nomades ou des déracinés.
Le plus important des groupes armés tchadiens, le Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), est dirigé par Mahamat Mahdi Ali, dont l’offensive fut à l’origine du décès d’Idriss Déby Itno, non loin de la ville de Mao. Le FACT fait partie d’une myriade de groupes rebelles plus ou moins rivaux qui, suite à l’apaisement tchado-soudanais en 2010, ont déplacé leurs bases arrière du Darfour vers le sud libyen. Depuis l’accord de Doha, le FACT avait respecté un cessez le feu qu’il a dénoncé suite à l’attaque d’une de ses bases. 
Le Qatar, qui a beaucoup aidé à rapprocher les groupes combattants  avec le pouvoir tchadien, est fatigué de mettre la main à la poche. Les diplomates de Doha, mobilisés par pas mois de trois ministres en charge de l’Afrique, sont  parfois déçus de voir les Tchadiens si proches de leurs frères ennemis émiratis et du Mossad israélien.


Les éxigences tchadiennes face à Paris

Le 12 octobre dernier, « le Rassemblement des Jeunes Africains » (RAJ) avait appelé à une marche de protestation devant le Camp Kossei, non loin de la base aérienne. Le message était clair: l’arrivée des forces françaises en provenance du Niger n’était pas bienvenue. Le pouvoir tchadien qui ne souhaite pas ce type de désordre a su empêcher toute fuite sur les réseaux sociaux. C’est le chef de poste de la DGSE, sous l’insistance de Kaka, qui a négocié avec la partie nigérienne le départ vers le Tchad du contingent français isolé dans la base 101 de Niamey. Une partie serrée.

A présent le bon élève tchadien exige beaucoup de la France, encore plus de discrétion de la part de la DGSE et un financement conséquent de Paris pour les milliers de combattants des groupes armés du Nord du pays qui doivent être inclus dans une paix retrouvée. C’est une question de politique intérieure, mais surtout un enjeu capital de la fin du banditisme armé à la frontière du Niger et du Tchad. Les mercenaires tchadiens, qui, en Libye, ont perdu la bataille, se sont repliés fin 2020 dans cette zone et y sévissent depuis.


Dans le même temps, le président tchadien compte bien sur Paris pour l’aider à gérer la fin de la transition sans mettre en cause le régime installé par son dictateur de père. C’était un des éléments du dialogue entre les deux présidents français et tchadien la semaine dernière. La répression contre la contestation intérieure, ce serait donc au président Macron de le blanchir sur le plan international.
Il n’est pas sûr que ce soit là le rôle le plus enviable qui soit ainsi dévolu à la France.

La France piégée par Mahamat Idriss Deby