La CAN 2024 Abidjan: le marché noir de la billetterie 

Senegal's players celebrates scoring their team's third goal during the Africa Cup of Nations (CAN) 2024 group C football match between Senegal and Gambia at Stade Charles Konan Banny in Yamoussoukro on January 15, 2024. (Photo by Issouf SANOGO / AFP)

Le chef de l’Etat ivoirien a ouvert, le samedi 13 janvier dernier, la cérémonie inaugurale de la Coupe d’Afrique des Nations de football 2024 à Abidjan, dans un stade de 60.000 places à moitié vide alors que le comité national d’organisation, le Cocan, avait annoncé un cérémonial à guichets fermés.

Bati Abouè

Ce fut une grande déception pour les Ivoiriens et un coup dur pour Alassane Ouattara. Le président ivoirien a en effet jeté son dévolu sur cette CAN au moment où, à l’approche de la prochaine présidentielle prévue en 2025, sa candidature à un quatrième mandat alimente déjà la polémique et risque à nouveau de mettre le feu aux poudres dans son pays. En attendant, c’est la billetterie au noir qui a coûté un triomphe inaugural à M. Ouattara qui est resté debout dans son véhicule décapotable pour s’offrir un inédit tour d’honneur devant les 36.858 supporters venus soutenir les Eléphants et heureusement bien servis par le ballet haut en couleurs exécuté lors de la cérémonie d’ouverture.

Une CAN « inoubliable »? Pas vraiment

Si la faiblesse de l’affluence fait un si grand bruit, c’est parce que le pari du gouvernement a été, depuis le début, de faire une Can inoubliable. La Côte d’Ivoire a en effet mobilisé des moyens financiers considérables, 500 milliards de Fcfa selon des chiffres fournis par Jeune Afrique, et le président Ouattara n’a pas hésité à renvoyer son ministre des sports, Paulin Danho, lorsqu’il s’est retrouvé empêtré dans le scandale de la pelouse du stade d’Ebimpé qui prenait l’eau de toutes parts. La Côte d’Ivoire a même accéléré l’ouverture de nombreuses infrastructures routières récemment construites pour faciliter le transport des supporters et le séjour des différentes délégations qui accompagnent les pays qualifiés. Au terme de ce sacrifice, le pays s’attendait à une meilleure entame de Can que ce qu’il lui a été donné de vivre.

Cette déconvenue d’apparente d’autant plus clairement à celle du président que dans toutes les villes qui reçoivent cette compétition, les panneaux affichant le sourire satisfait d’Alassane Ouattara pavoisent encore les rues. Malheureusement, le comité local d’organisation, le Cocan, n’a jamais caché son intention de rentabiliser au mieux cette compétition. Et pour ce faire, il aurait vendu 52% de la billetterie aux entreprises privées.

200000 francs CFA (300 euros) la carte VIP

Le coût d’une carte VIP coûte en moyenne 200.000 Fcfa, soit un peu plus de 305 euros et le Cocan interdit également les maillots colifichets. Le coût d’une tenue aux couleurs des Eléphants est de 60.000 Fcfa, 92 euros, dans un pays où le smig vient d’être porté à 75.000 Fcfa, 115 euros. Or, nombre de ces hauts cadres auraient attendu que le match d’ouverture commence avant de rallier le stade d’Ebimpé. Mais ces explications ne convainquent pas beaucoup de monde à Abidjan, surtout que le Cocan s’est abstenu de faire le moindre commentaire sur le sujet.

En revanche, la présence de revendeurs avec des dizaines de tickets aux abords du stade laisse penser que le Cocan a encouragé la spéculation sur les billets contrairement à sa promesse de ne pas vendre un ticket de plus à tout demandeur. Les autres matchs ont d’ailleurs confirmé cette tendance puisque l’opposition entre le Nigéria et la Guinée Equatoriale (1-1), Mozambique-Egypte (2-2) et la confrontation Ghana-Cap vert (1-2) se sont déroulés devant des gradins vides, mettant sérieusement en doute l’élan populaire annoncé autour de cette Can à travers laquelle le président ivoirien espérait jauger sa popularité à la veille d’un nouveau scrutin important pour son avenir présidentiel.

 

 

 

 

Article précédentLe gouvernement gabonais sans voix sur le sort des Bongo
Article suivantLa chute sans fin du golden boy nigérian Dozy Mbobuosi
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)