L’entretien avec Ali Belhadj, ex leader du FIS, sur l’armée algérienne

Après avoir dénoncé le rôle politique que s’est attribué le patron de l’armée algérienne dans une récente intervention à la télévision, l’ancien leader du Front Islamique du Salut, Ali Beladj, qui domina la scène politique algérienne dans les années 1990, a été convoqué successivement par la police puis devant le tribunal de Hussein-Dey.

La mise en garde des autorités à l’égard de l’ex numéro deux du Front Islamique du Salut, Ali Belhadj, vient rappeler la ligne rouge que personne aujourd’hui ne doit franchir. L’arbitrage politique ultime appartient dans l’Algérie des généraux à l’institution militaire et à elle seule.

Or la semaine dernière, le général Chengriha, le patron de l’armée, expliquait à la télévision où il apparaît presque quotidiennement qu’il n’était pas question que son pays revienne aux années 1992-98, lorsqu’une quasi guerre civile opposait les militaires et les maquis islamistes du FIS.

Les harangues martiales du général Chengriha ont provoqué l’indignation d’un Ali Belhadj, ex numéro deux du FIS.  » Il n’appartient pas aux militaires, a déclaré en substance le prédicateur, de faire de la politique alors queles politiques algériens, eux, sont soit en prison, soit réduits au silence ». Des propos qui font écho au slogan rassembleur du Hirak – « Non à l’État militaire, oui à l’État civil ».

Mondafrique a interrogé ce prédicateur encore très populaire au sein de la mouvance islamiste sur les conditions de son interpellation.

Mondafrique. Cheikh Ali Belhadj, Salam. Vous venez d’être convoqué par la police de Bab Ezzouar suivie d’une convocation par le tribunal de Hussein Dey suite à votre réponse aux propos tenus par le chef d’Etat major Saïd Chengriha dans le siège de la garde républicaine. Pouvez-vous nous éclairer sur le déroulement de cet événement ?

En effet, j’ai reçu une convocation de la police mais aussi de la part de la police judiciaire qui m’a convoqué au tribunal de Hussein Dey. Des questions m’ont été posées sur des déclarations que j’ai faites sur les réseaux sociaux et c’est connu et quelques médias peu nombreux qui permettent une diversité d’opinion. En effet, puisque les questions se focalisent sur mes réponses au président de la république que je qualifie du président désigné dépourvu de toute légitimité populaire. Et qu’il est désigné par l’institution militaire notamment par l’ancien chef d’Etat major. Mais aussi, des questions m’ont été posées sur ma réplique sur le discours du chef d’État major, la veille de l’Eid, au siège de la garde républicaine où il a évoqué la période des années 90 où il a ouvert les blessures. Moi, je sais que l’activation de la justice en Algérie n’est pas une initiative qui proviendrait des hommes de justice mais on active la justice avec assentiment et en un clin d’œil.

C’est à ce titre que j’ai refusé de répondre à toutes les questions qui m’ont été posées comme j’ai refusé de signer tout procès-verbal issu de cet interrogatoire dirigé par la police judiciaire. C’est ce que je viens de relater de manière succincte.

Mondafrique Est-ce la réponse que vous avez apportée au discours du chef d’État major que vous avez qualifié de militaire qui active en politique plus que les politiciens qui sont soit absents, ou marginalisés ? Où y-a-t-il d’autres raisons notamment l’approche de l’élection présidentielle qui se déroulerait l’année prochaine, une manière pour les militaires assoient leur totale contrôle sur l’espace politique afin de faire passer le second mandat du président Tebboun où faire le choix d’un autre candidat que le haut commandement mettra sur orbite au moment opportun ?

Il est honteux qu’une opinion politique, ou une opinion opposante, soit poursuivie par une justice non indépendante. Cette justice qui fonctionne sous les injonctions et directives dans une opacité qui double son discrédit. Nous devons militer pour que les générations futures ne vivent pas dans le même contexte que nous vivons actuellement. C’est une question de principe que nous ne devons pas négliger. La politique est aux politiciens. Les militaires, comme les généraux, n’ont pas le droit de faire de la politique en uniforme et en fonction. S’ils veulent faire de la politique, ceci est une aspiration légitime à toute personne, à condition que la pratique de la politique ne se fasse pas derrière les tribunes des casernes ou à partir de la fonction militaire. Si chacun de nous respecte sa mission et ses prérogatives, et qu’il ne la dépasse pas, à ce moment les choses vont dans l’intérêt du pays et du peuple.

Si les politiciens sont désignés par les militaires et agissent à leurs noms, cela est la pire catastrophe orchestrée contre le pays et son peuple.  Et sans aucun doute, comme vous le savez, nous militons politiquement en usant des droits légitimes et pacifiques pour faire émerger un espace politique regroupant toutes les classes politiques de l’extrême droite à l’extrême gauche. Et c’est au peuple algérien à qui il revient le droit de choisir entre toutes les alternatives politiques exposées devant lui à travers des rendez-vous électoraux que tout le monde connaît son déroulement.

Mondafrique. En dépit des années de prison et de persécution que vous vivez de manière quotidienne, et cela malgré les dérives flagrantes des droits individuels et institutionnels du pays, quel est votre moral dans cette épreuve qui perdure ?

En tout état de cause, la politique ne se résume pas aux bavardages et elle n’est pas faite de simples discours. La politique est un ensemble de convictions intellectuelles et morales méritantes et persistance sur la ligne authentique. C’est cela la vraie conception de la politique. Lorsque j’ai refusé de répondre aux questions de la police judiciaire et devant le procureur de la république au tribunal de Hussein Dey comme j’ai refusé de signer le procès-verbal du juge d’instruction, non pas pour humilier ou lancer un défi à cette instance, mais connaissant que ces gens là ne sont que des instruments entre les mains du haut commandement militaire et je précise bien haut commandement pas l’armée. Ce haut commandement s’est emparé des institutions de l’Etat et la gère selon son bon vouloir. Ce haut commandement règle également ses comptes avec ses adversaires en usant des institutions qui l’a mise sous sa coupe. La preuve en est, nous savons que le général Nezzar a déclaré que c’est lui-même qui a ordonné l’arrestation du cheikh Abbassi Madani et moi-même. Autrement, de quel droit un ministre de la défense s’immisce dans les prérogatives du ministre de la justice ?  Cela s’est passé en 1991, ensuite durant le Hirak on a vu le général Gaid Salah, lorsqu’il a rencontré le ministre de la Justice Belkacem Zoghmati, en lui disant qu’ il faut aller jusqu’au bout. C’est flagrant qu’un chef d’état-major ordonne au ministre de la justice d’agir. Cela veut dire que celui qui fait bouger la justice n’est autre que le haut commandement de l’armée. Oui, le ministre de la justice est allé jusqu’au bout dans la répression.

On a vu le général Toufik, et Tartag, Said Bouteflika et Louiza Hanoune arrêtés et transférés au tribunal militaire, comme on a vu le général Nezzar poursuivi et condamné à 20 ans de prison avec son fils et l’un des hommes d’affaires proche de lui. Quand la justice a bougé ? Alors que je suis depuis 21 ans sous la surveillance permanente des services de sécurité sans condamnation judiciaire. Ils (les services de sécurité) ont été sommés de me poursuivre et me priver de mes droits les plus légitimes.

Aujourd’hui, quand je me suis déplacé au tribunal, j’ai dit que je préfère avoir les doigts coupés que de signer et cautionner la privation de mes droits et de ma liberté contre ma volonté. Je ne peux pas admettre un jugement injuste, sachant que la décision n’est pas issue du juge d’instruction ou un tribunal ordinaire de Hussein Dey mais d’en haut. La preuve, la justice a été activée suite aux déclarations du chef d’état-major au siège de la garde républicaine que l’armée n’accepterait pas le retour aux années 90.

J’ai dit au juge d’instruction que si on était dans un état de droit et que tous les citoyens sont égaux devant la justice, il aurait été juste que le chef d’état-major soit convoqué pour s’expliquer pourquoi il a évoqué les douloureuses années 90 alors que l’article 46 dans le cadre de la loi de la réconciliation pénalise toute personne qui fera recours aux années 90. La justice a été activée, ce qui m’a poussé à ne pas répondre ni signer car ces gens-là (tribunal) subissent des pressions et qu’on leur dicte des instructions. Mon refus n’est pas envers les juges mais contre ceux qui se cachent derrière ces institutions fragilisées et faibles qu’ils l’ont fabriquées avec leurs mains. Et qu’ils maîtrisent et gouvernent à travers elle en l’instrumentalisant contre leurs opposants et ceux qui ne s’accordent pas avec leur choix à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Comment pourrais-je entrer dans un jeu dont je connais bien les mains qui font bouger la scène à travers des fils tissés derrière un manège ? Il s’agit d’une pièce de théâtre de mauvaise production comme on dit. Certains sont des marionnettes, ni plus ni moins, et je ne suis pas disposé à entrer dans ce jeu. C’est à ce titre que j’ai refusé d’entrer dans cette mise en scène. Si on a une justice instrumentalisée par le haut commandement militaire, et je ne dis pas l’armée, il est injustifié d’entrer dans un dialogue avec une justice « tu as dit » ou « tu n’as pas dit » tout en sachant que ton adversaire se cache derrière cette institution de justice faible qu’ils (haut commandement militaire) instrumentalise pour la défense de leur intérêt seulement pas celui du citoyen ou du pays.

En quoi je menace l’unité nationale, c’est faux. Et ces jeunes qui sont en prison pour leurs opinions, menacent-ils l’unité nationale ? Est-ce que le pays est si fragile pour que celui qui écrit sur Facebook, ou rédige un mot critiquant le chef de l’armée, représente un danger pour l’unité nationale ?

Il n’est pas de notre ressort de répondre au chef d’état-major lorsqu’il parle sur des questions typiquement militaires avec ses officiers. Cela relèverait des questions militaires. Mais, lorsqu’il parle des projets concernant l’État, ou de l’école ou de l’éducation ou évalue la politique du président de la république, il s’agit d’un dépassement dans l’exercice de la fonction.  Se taire sur de tels excès est un crime politique. Celui qui se tait sur ces dépassements ne sait pas comment pratiquer une politique, car dans la politique, il y a une morale et des principes.

En France, on ne voit pas le chef d’état-major intervenir dans la scène politique comme on ne voit pas la justice intervenir contre les opposants politiques. Il en est de même pour la confrontation entre Biden et Trump. Chacun s’est exprimé y compris de manière satirique sur l’autre sans que le chef des armées ni la justice n’interviennent dans le débat. 

LE SONORE DE L’ENTRETIEN EN ARABE AVEC ALI BELHADJ

2 Commentaires

  1. Nos militaires ont besoin de maintenir le pays sous tension, religieuse et culturelle, pour assoir par la terreur leur pouvoir sur la société civile. Cela dure depuis l’indépendance. Et ce n’est pas fini

  2. Le régime est pris à son piège. En amplifiant l’arabisation, la société s’islamisera de plus en plus au point de ne plus reconnaitre ce pays laïc moderne d’après-guerre. Durant les années 70 boumediene avait pour modèle l’Égypte de Nasser. Pour des raisons de dimension, c’est Kadafi qui réussira à effacer sa propre culture pour la standardisation arabe.

    L’arabisation balbutiante des années 70 trouvera son carburant après l’arrivée de la révolution iranienne, ce qui rendait service au régime. Ainsi, les islamistes qui ont toujours cohabité au sein du baath-FLN, seront la deuxième jambe idéologique du régime. La décennie noire est issue du système, dans la mesure où l’arabisme cédait la place, au niveau régional, à l’islamisation comme modèle sociétale.

    La démocratie est haram.

    Le baath FLN tentera de scinder en deux ses leviers idéologiques, d’un coté le baath FLN arabisme, de l’autre, il comptait sur la partie islamiste. En effet, quand la confrérie islamiste organisait ses conférences, comme campagne marketing en vue de l’officialisation politique du FIS. Le Front des Forces socialistes, libéral socialiste, était encore interdit. Du jour au lendemain, les islamistes sont légalisés et le FLN comptait les opposer aux laïcs dans une alliance Baath FLN-FIS. Sauf que la primauté de l’islamisme au niveau de la sphère arabislamiste était pro-islamistes, ces derniers refuseront le partage du pouvoir, ce qui donnera l’arrêt du processus électoral et débouchera sur décennie noire.
    La guerre civile fera 300 000 morts. Le régime et les islamistes se mettent d’accord sur leur plateforme, qui repose sur l’islamisation de la société comme compromis de fond. Ce qui n’a jamais dérangé le régime. L’islamisme standard accélère la métamorphose culturelle. Le paradoxe, est né depuis cette idée de nation arabe standardisée par Michel Aflak, qui voudrait que tout peuple parlant arabe serait arabe, ce qui donnera l’idée à benbella d’implanter cette nouvelle anthropologie d’importation. L’erreur à la base a été celle de subordonner l’identité à islamité, mêlant oumma souvent interprétée comme synonyme de nation, les deux visions compliquées par le fait que la nation n’a jamais existé au Moyen-Orient. Du coup, pour faire l’économie des processus historiques, on superpose les deux notions.

    Un peuple, c’est son identité. Or la dictature issue du coup d’État de 62 n’ayant pas de culture propre tentera la substitution des valeurs ancestrales par un ensemble de pratiques islamiques. La liquidation physique des opposants qui faisaient de l’ombre à boumediene et benbella, fera le vide autour de ce semblant d’institutions.
    La Kabylie, exsangue par la guerre et l’oppression de 196 qui fit 400 morts suite au refus d’abdiquer au coup d’État, reprendra sa lutte dans les années 80. Désormais, la région, dont la culture laïque démocratique remonte à des millénaires, refuse l’uniformisme au rabais, et donc le choix entre unité dans les totalitarismes et démocratie est inévitable. Depuis, les deux systèmes de valeurs incompatibles sont en parallèle.

    Sauf un État dont les valeurs sont issues du propre terroir est à même produire des institutions fonctionnelles, mais aussi et surtout un État fort, solide. Les tensions mondiales actuelles plaident pour la vérité. Notre culture pacifique sait faire la part des choses, la culture Kabyle humaniste refuse le conflit comme levier de puissance. Cette idée de société produit la volonté d’être amical avec les autres peuples, ce qui est en soi une valeur ajoutée pour la paix dans le monde. Ce n’est pas un repli sur soi que de revendiquer la propre culture et langue dans la constitution. Je ne peux me sentir en paix tant que les tensions ailleurs font souffrir d’autres peuples. Que ce soit le conflit en Ukraine ou au Moyen-Orient, je me sens partie prenante pour la paix. Voilà pourquoi le fait de ne pas être arabisé ou islamique ne m’a pas empêché de défendre la paix entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, tout comme je suis pour bâtir un pont solide entre l’Iran et Israël.

Les commentaires sont fermés.