Alors qu’elle n’a pas encore amorti définitivement l’onde de choc du retrait des trois pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) doit affronter une nouvelle tempête politique. Le président bissau-guinéen, qui fut son président en exercice de 2022 à 2004, refuse de quitter le pouvoir et défie même l’organisation sous-régionale qui ne peut pas ne pas réagir pour sauver ce qui lui reste encore de crédibilité. Mais, la réaction de la CEDEAO pourrait aussi précipiter son implosion.
L’Editorial de Seidik Abba, Rédacteur en chef de Mondafrique

Dans les capitales de l’AES, de Bamako à Ouagadougou en passant par Niamey, le rire est un rien moqueur: Umaro Sissoko Embalo qui faisait entre 2022 et 2024, au nom de la CEDEAO, la leçon aux régimes putschistes du Sahel se trouve désormais dans un bras de fer avec l’organisation sous-régionale.
Coup d’Etat civil
Contre toute logique, le président Embalo refuse de quitter le pouvoir alors que son mandat s’est achevé le 27 février 2025, date de son investiture en 2020, pour l’opposition qui a décidé de regrouper dans une structure fédérative autour du Parti pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap Vert (PAIGC).
Même la Cour Suprême bissau-guinéenne n’est pas du même avis que le président Umaro Sissoco Embalo. La plus haute juridiction du pays, qui n’est pas pourtant réputée pour sa rébellion contre le pouvoir exécutif, a en effet estimé que l’actuel mandat de M. Embalo prenait fin le 4 septembre 2025.
Faisant fi de l’avis de la Cour suprême, le président a annoncé la présidentielle pour le 30 novembre 2025. Après la levée des boucliers suscitée par cette sortie hasardeuse, il a décidé d’avancer le scrutin d’une semaine, soit le 23 nombre 2025.
Le plus grave dans cette affaire, c’est qu’Embalo ne dit pas pourquoi il choisit le mois de novembre, ni pourquoi il a avancé le scrutin d’une semaine et non de deux ou trois. Le président bissau-guinéen a même ajouté à la confusion en déclarant lundi 3 mars 2025 à l’hebdomadaire Jeune-Afrique qu’il comptait être candidat à sa succession lors de la prochaine présidentielle, revenant ainsi sur la parole qu’il a donnée en septembre 2024 de ne pas briguer de second mandat.
Les privilèges et les honneurs du pouvoir ont eu raison de la parole donnée. Une faute sociale et politique : en Afrique « le grand chef » ne ment pas. Mais Embalo a menti sans gêne, ni vergogne. Il s’est dédit honteusement, affaiblissant encore le poids de la parole politique dans une sous-région où les hommes politiques sont considérés comme des menteurs.
Un multirécidiviste
Abonné aux frasques et à la légèreté, Umaro Sissoco Emballo avait déjà réalisé le coup de force de dissoudre l’Assemblée nationale en 2023 parce que son camp politique venait de perdre les législatives. Il avait ensuite fixé les nouvelles élections à novembre 2024 avant de les reporter sine die. La CEDEAO, si prompte à sanctionner le Mali et le Niger, avait alors fait profil bas.
Cette fois, elle ne pourrait pas s’en tirer à si bon compte. Le président Embalo a choisi de la défier très ouvertement. Non content d’avoir violé les dispositions du Protocole additionnel de Dakar sur la bonne gouvernance et les élections, le président bissau-guinéen a chassé manu militari la délégation de la CEDEAO venue à Bissau pour jouer les bons offices et aider à trouver une date consensuelle pour la présidentielle. « La CEDEAO ne va pas faire la loi ici », a tempêté le président Embalo, sur le ton du défi à l’organisation sous-régionale qui se retrouve ainsi face à un sacré dilemme.
Soit, elle ne réagit pas au coup d’Etat civil du président Embalo et donne raison aux partisans des juntes sahéliennes qui lui ont toujours reproché son indignation sélective ; soit elle réagit et prend le risque d’ajouter un nouveau contentieux à celui qui l’oppose aux pays de l’AES et qui n’est pas encore soldé, malgré l’officialisation de leur retrait de la CEDEAO le 29 janvier 2025.
Quelle que soit l’option qu’elle aura retenue, il faut craindre que le mal soit déjà fait pour la CEDEAO. Le simple fait que son président en exercice entre 2022 et 2024 en viennent à l’affronter amplifiera sans aucun doute sa perte de crédibilité dans les opinions publiques, notamment celles des Etats sahéliens qui ne lui ont toujours pas pardonné sa posture d’affrontement et non de compréhension et d’accompagnement aux militaires auteurs des coups d’Etat au Burkina Faso, au Mali et au Niger. La CEDEAO aura bien de la peine à justifier en quoi le coup d’Etat civil de Umaro Sissoco Embalo est moins grave que celui d’Assimi Goïta au Mali ; celui de Ibrahim Traoré au Burkina Faso ou du général Abourahamane Tiani au Niger.