Égypte, la ville du Caire se consume lentement

« L’Égypte est comme un grand cendrier », s’amuse un homme en jetant sa cigarette par terre devant l’aéroport du Caire. Mal éteinte, la clope embrase lentement dégageant une fumée grise et épaisse. Carnet de route au Caire, cette capitale égyptienne légendaire qui vit sous la férule du maréchal Sissi. Entre crise, répression et nostalgie

Un reportage de Louise Sinitrakis

A l’image d’une cigarette Cléopatra, le Caire se consume dans un nuage de poussière. La capitale semble au bord de l’asphyxie. Etouffés la liberté d’expression, les droits de l’homme ou toute autre forme de contestation. Sous la présidence d’Abdel Fatteh Al-Sissi, au pouvoir depuis 2014, le Caire vit en apnée.

Tombé en 2011, Hosni Moubarak, à la tête de l’Égypte depuis 30 ans, a été chassé du pays par la révolution de la place Tahrir. « A l’époque de la révolution, les chauffeurs de taxi avaient l’habitude de me demander quel était le meilleur système entre les politiques française et allemande. Chaque Égyptien souhaitait participer d’une façon ou d’une autre à la construction de son pays. Ils étaient à la recherche du meilleur modèle », se souvient un jeune Allemand. Finalement, c’est la roue de secours des Frères musulmans, Mohammed Morsi, qui deviendra le seul maître à bord. Propulsé candidat en remplacement de Khairat Al-Chater, l’apparatchik de la confrérie est trop pressé. La promulgation d’un simple décret qui lui attribue des pouvoirs judiciaires extraordinaires jette dans la rue des milliers de révolutionnaires. Les militaires répondent par un coup d’Etat qui place alors le maréchal Abdel Fattah-Al Sissi à la tête du pays.

Désormais, les cris de joie de la place Tahrir sont loin. « Si j’arrivais à obtenir un visa, je partirai le lendemain en Europe. Il n’y a plus rien ici », confie Ahmed*, chauffeur de taxi cairote d’une vingtaine d’années. Le jeune homme roule à toute allure laissant les paysages s’évanouir derrière lui. Entourant l’aéroport, le quartier d’Héliopolis, ville du soleil, fait grise mine. Quartier emblématique du Caire, il abrite la classe moyenne égyptienne confinée dans des bâtiments grisâtres. Pour rejoindre le centre-ville, une quarantaine de minutes sont nécessaires. Avec ses 19 millions d’habitants, la ville est un bourbier pour les automobilistes. «  Welcome to Egypt », lance Ahmed avec un regard amusé.

Le matin, un couvercle de pollution se dépose sur la ville du Caire et ses habitants.

Les expats, les nouveaux raïs d’Égypte

« C’est le quartier de tous les expats, bienvenue à Zamalek », s’exclame avec fierté Léa, une jeune Française qui travaille au Caire depuis trois mois. Le quartier de Zamalek qui couvre l’île de Gezira est une bulle de tranquillité à l’abri du brouhaha assourdissant du centre. Les restaurants huppés bordent le Nil sur plusieurs kilomètres. Four Seasons, Fairmont ou encore l’hôtel Mariott : ces établissements prestigieux toisent le fleuve du haut de leur tour vertigineuse.

« Au cours de la révolution, le quartier de Zamalek était le seul à être protégé des attaques et des manifestations », explique Chérif, un Égyptien francophone de 32 ans. Ici, les immeubles cossus – pour l’Égypte – côtoient les ambassades et les consulats. Les Français expatriés travaillent pour beaucoup dans le secteur de la diplomatie ou dans le BTP et les hydrocarbures. « Mais pourquoi venir en Égypte chercher un travail ? C’est absurde ! », s’exclame une jeune étudiante de 23 ans. Pas si absurde à en croire le salaire des expatriés. « Jamais je n’aurais pu décrocher un poste similaire en France », confie une jeune Française propulsée manager avant d’avouer : « Les Égyptiens sont de bons exécutants mais on ne leur en demande pas plus. Ici, ce sont les Occidentaux que l’on privilégie pour diriger. »

Pour la plupart, le Caire marque seulement une étape dans leur parcours professionnel. Le week-end, les expats traversent le canal de Suez avec leur chauffeur privé pour se rendre à Ras Sudr, petite station balnéaire au nord du Sinaï. La capitale du kitesurf attire l’élite égyptienne en mal de sensation forte. Le cours s’élève à 75 euros, soit le salaire de certains employés.

Perdue dans le Sinaï, la discrète cité balnéaire de Ras Sudr attire les amateurs de kitesurf.

L’œil du sphinx tourné vers la Mecque

En Égypte, pays composé à 90% de musulmans sunnites, l’islam est placé au premier plan de la société. Dans les rues, les taxis ou même sur les routes, l’appel à la prière est suivi et respecté. Sur la route du canal de Suez connu pour son trafic saturé, il n’est pas rare de voir des Égyptiens agenouillés près de leur voiture à l’arrêt en train de prier. Le vendredi, les rues du Caire sont désertes et les échoppes sont fermées. « Ce n’était pas comme cela il y a 30 ans », s’exclame une touriste.

Le pays croule sous le poids des traditions et du patriarcat. Par exemple, une femme et un homme ne peuvent réserver une chambre d’hôtel s’ils ne sont pas mariés. « Une fois, j’étais à l’hôtel et une amie devait monter chez moi récupérer ses chaussures. Le réceptionniste a voulu nous coller une amende car elle n’avait pas le droit d’entrer dans ma chambre», se confie un client d’un hôtel de luxe. Dans les immeubles cairotes, les gardiens, appelés Bawab en Égypte, gardent un œil sur les habitants et leur respect des bonnes mœurs.

« La religion est devenue un outil politique », admet un traducteur égyptien. Véritable référence dans l’islam sunnite, l’université d’Al-Azhar semble avoir la mainmise sur les mœurs du pays. « Je n’allais jamais en cours, les filles et les garçons étaient séparés et le fonctionnement de l’école était trop strict », raconte un ancien élève. Cependant, la marge de manœuvre de l’institution reste étroite puisque le cheikh al-Tayeb est nommé par le président de la République.

La consommation d’alcool n’est pas épargnée. Installée à la terrasse d’un restaurant, une Française commande un Long Island au bar. « Désolée mademoiselle, c’est le Nouvel An, nous ne vendons pas d’alcool ce soir », explique presque confus l’un des serveurs. Bars, restaurants et hôtels doivent se plier à cette règle. Pris au dépourvu, certains expatriés font jouer leurs contacts afin de se procurer quelques bouteilles au marché noir. En Égypte, rares sont les établissements qui proposent des boissons alcoolisées sur leur menu. Encore faut-il se satisfaire d’une bière nationale comme la Stella et la Sankara. El Horreya est l’un des rares bars à ne pas avoir mis la clé sous la porte. Premier établissement à avoir obtenu une licence pour servir de l’alcool, il reste l’un des hauts lieux de la vie nocturne cairote. À l’extérieur, de grossiers morceaux de carton sont placardés sur les fenêtres décaties. L’objectif ? Cacher aux passants la vie de débauche qui se joue à l’intérieur. Un comble alors que la bière était déjà très consommée dans l’Égypte ancienne.

« Tant pis, je ne pourrai pas aller prier avant 40 jours », s’amuse un Égyptien en sirotant sa Stella.

Une révolution ? Quelle révolution ?

Place Tahrir, un drapeau de l’Égypte flotte en plein cagnard au centre d’un terre-plein fleuri. Ce rond-point, devenue un lieu historique en 2011, est surveillé par une poignée de gardiens qui quadrillent le lieu comme par habitude. « Le drapeau et les fleurs ont été rajoutés après la révolution, » informe un guide touristique égyptien.

« En 2011, j’étais ici et l’un de mes amis s’est pris une balle, maintenant il est handicapé et ne peut plus marcher », déclare-t-il avant de lâcher : « Je regrette cette révolution ». L’homme d’une trentaine d’années s’avance vers la bibliothèque de l’Americain University of Cairo. En 2011, les révolutionnaires ont jeté sur ce mur leurs espoirs et désillusions. Une série de graffitis se succèdent à l’instar d’une véritable fresque historique. « Vous voyez, chaque pan de la révolution est illustré. Ici, par exemple, il y a des veuves en noires qui pleurent leurs enfants. Beaucoup d’Égyptiens sont morts », me dit-il tristement. Puis son regard change et il se tourne vers le trottoir d’en face. « Lui, les autorités l’ont repeint en jaune afin d’effacer les traces des dessins. Selon moi, ils n’auraient pas dû. C’est un épisode qui fait désormais partie de l’histoire. »

Le soulèvement historique de 2011, vendu comme une révolution par les médias étrangers, a laissé un goût amer aux Égyptiens. « Pour moi la situation politique égyptienne peut être comparée à La Ferme des animaux de George Orwell », estime un professeur d’arabe cairote. Pourquoi un tel rapprochement ? « Il s’agit d’une ferme dans laquelle les animaux se révoltent, prennent le pouvoir et chassent les hommes. Mais ensuite un nouveau pouvoir autoritaire se met en place. » Le jeune homme a 25 ans. Il a postulé aux Etats-Unis, le rêve de beaucoup d’Égyptiens. « Sous l’ère de Moubarak c’était bien mieux, certes il était corrompu et prenait l’argent du peuple, mais là c’est encore pire. Par exemple, si je voulais critiquer le président Al-Sissi haut et fort, je me ferais arrêter sur-le-champ. »

Dans les rues cairotes, le nom du chef de l’Etat se prononce à voix basse. « Il faut dire président A et président B, c’est plus sûr si vous souhaitez parler de politique », chuchote un professeur anglais non loin de la place Tahrir. Si Al-Sissi ne bénéficie plus de la ferveur populaire, il tente de se rattraper sur la scène internationale. Dernière idée en tête ? Le rapprochement orchestré par le Caire du Hamas et du Fatah, les deux frères ennemis de la Palestine qui fait la une des journaux fin septembre.

« Comment avez-vous entendu parlé de la révolution de 2011 ? », demande un cairote étonné.

Combien de livres pour un euro ?

En novembre 2016, le gouvernement égyptien laisse flotter sa monnaie sous la pression du Fonds monétaire international (FMI). Le cours de la livre égyptienne s’effondre. Aujourd’hui, un euro équivaut à 21 livres égyptiennes. Une dévaluation monétaire doublée d’une forte inflation qui plonge le pays dans une situation économique difficile.

Dans les rues, les commerçants tentent de gratter quelques euros aux touristes. Du côté du carburant, les prix du pétrole s’envolent depuis le mois de juillet 2017, date à laquelle le gouvernement décide d’augmenter les prix afin de réduire le déficit. « Avant, on payait une livre le litre d’essence désormais le tarif est monté à cinq livres », s’emporte un chauffeur de taxi.

Le chômage sévit poussant les Égyptiens à conserver un travail sous-payé. Une Française, manager d’un hôtel prestigieux au Caire raconte : « Mes employés sont payés 50 euros par mois. C’est très peu. C’est dernier temps certains ont commencé à voler les pourboires. L’atmosphère est pesante dans l’équipe. »

La préoccupation numéro un des Égyptiens ? La situation économique du pays. « Avec Moubarak, le pays était fort et crédible sur la scène internationale, maintenant le pays peine à se relever », estime un guide touristique égyptien aux yeux perçants. Il continue : « L’Égypte est un pays riche, mais tout le monde le vole. »

Le 27 septembre, les journaux égyptiens rapportent la satisfaction du FMI à la suite des réformes réalisées par le pays. « Parmi ces réformes, il y a aussi la baisse des subventions de l’Etat. C’est donc au peuple égyptien de se serrer la ceinture », analyse un spécialiste.

iAlexandrie : le naufrage d’une ville

Trois heures de train séparent Alexandrie du Caire. Dans le wagon 1er classe, climatisé à l’extrême, aucun touriste à bord. La deuxième ville du pays n’attire plus. Peut-être a-t-elle trop déçu. Plus austère, plus pauvre et plus sale, Alexandrie collectionne les mauvais points. « Alexandrie est décevante pour tous les Occidentaux qui s’y rendent », lâche d’un ton résigné un habitant. Alexandrie la cosmopolite ? Peut-être avant. Aujourd’hui, peu d’Alexandrins parlent français ou anglais dans cette ville de 4,5 millions d’habitants composée en majorité de ruraux déracinés.

A la gare de Ramleh, les déchets inondent le sol, l’odeur est pestilentielle et les mouches dansent autour des carcasses de poubelles. Quelques mètres plus loin, les marchands ambulants tentent de brader leurs bibelots, pour la plupart usagés. La sirène de la Méditerranée semble avoir été oubliée par le pouvoir trop concentré sur leur vitrine cairote. « Alexandrie est triste mais aussi plus conservatrice », confie un Égyptien. Même la bibliothèque, fleuron architectural de la ville, n’attire pas les foules.

La nostalgie est partout. Au centre de la place Saad Zaghloul, les prestigieux hôtels attendent le client, presque ennuyés. Certaines bâtisses majestueuses sont à l’abandon et pourrissent au soleil comme de vieilles charognes. Alexandrie n’est plus cette cité flamboyante qui auparavant éclairait l’Égypte.

La corniche est le point de rendez-vous des Alexandrins, notamment lors de la pause déjeuner.

Les soldats de plomb égyptien

Dans ce régime militarisé, les uniformes en treillis tiennent le haut du pavé. Les militaires sont souvent des jeunes adultes maladroits tout juste sortis de l’école. La plupart sont mal armés et disposent de peu de matériel. Des militaires égyptiens sous pression prêts à dégainer à la moindre étincelle. « Une nuit, je marchais sur la plage avec ma copine et des militaires ont commencé à courir vers nous pensant que nous étions des terroristes. C’est fou ! », témoigne un travailleur allemand qui vit au Caire depuis huit ans.

En Égypte, le service militaire est obligatoire. Un devoir qui concerne les jeunes hommes entre 18 et 30 ans pour une durée comprise entre un à trois ans. «  Si t’as de l’argent tu peux rester dans les banlieues cossus du Caire, sinon on t’envoie dans le désert, c’est beaucoup plus dur », témoigne un jeune Cairote issu d’un milieu modeste. « Je viens de redoubler mon année à la fac. Ca m’arrange car une fois mon diplôme d’ingénieur en poche, je devrais commencer mon service militaire », confirme un étudiant qui entame sa sixième année d’étude supérieur.

De leurs côtés, les policiers sont reconnaissables à leur uniforme blanc immaculé. « Je déteste les policiers, quand tu es une fille, ils cherchent toujours à obtenir ton numéro, sinon ils t’embarquent au poste de police », témoigne une étudiante en droit et d’ajouter : « Quand tu es journaliste ici, il y a des indics partout. Tu es surveillée tout le temps. » Une affirmation confirmée par une journaliste française : « Là-bas c’est l’espionnite aiguë », avait-elle prévenu.

De plus, la corruption nourrit les autorités. 50 livres égyptienne – soit 2,5 euros – suffisent à les faire taire lorsqu’ils frappent à la porte pour tapage nocturne. D’ailleurs, ils ne se déplacent que très rarement. La police touristique a, elle, quasi disparu de la circulation.

Le quartier copte, situé dans le Vieux Caire, reste le secteur le plus surveillé. À l’entrée de chaque monument, un policier monte la garde, plus ou moins sérieusement. Parfois, des portails de sécurité obsolètes sont postés à l’entrée des lieux de culte. En 2017, quatre attaques terroristes ont été perpétrées en six mois contre la minorité copte qui représente environ 10 % des 90 millions d’Égyptiens. À quelques pas de la célèbre église suspendue, des avis de recherche à l’effigie d’hommes barbus sont placardés sur les portes des églises.

Un policier posté devant un lieu de culte dans le Vieux Caire, le quartier copte, un dimanche matin.

C’est pas grave, t’es une femme

Un homme et sa femme s’engouffrent dans un taxi. La femme paye la course. «  Tu devrais laisser ton mari payer, ce n’est pas à la femme de régler », rétorque le chauffeur. « De toute façon vous ne laissez rien faire aux femmes en Égypte », répond du tac au tac la jeune femme.

« Tsss..Tsss », voilà comment les Cairotes hèlent les femmes qui passent sous leurs yeux. Parfois, un « khalass » – qui signifie « ça suffit » en arabe s’impose pour éviter une situation génante. « Quand il y a du monde, certains en profitent pour se coller à toi. C’est désagréable », témoigne une jeune femme. Dans le centre-ville, il n’est pas rare d’être la seule femme entourée d’une horde d’Égyptiens. Les terrasses des cafés sont pris d’assaut par les hommes. Dans le métro, deux wagons sont consacrés aux femmes. « Par contre, à partir de 21 h, l’un des wagons devient mixte, c’est incompréhensible ! C’est le soir qu’il y a le plus de harcélement sexuel, non ?  » S’étonne un Français de 25 ans.

Selon une étude de l’ONU, publiée en 2013, plus de 99% des femmes ont été victimes de harcèlement en Égypte. Durant la révolution de 2011, les femmes étaient en première ligne des manifestations faisant d’elles des cibles de choix en termes d’agression. En 2008, Noha Elostaz, âgée de 28 ans, devient la première femme à faire condamner son agresseur pour harcélement sexuel. Petit à petit, le débat s’ouvre en Égypte mais les mentalités peinent à changer.

Sur le quai du métro, à la station Mar Girgis, située dans le quartier copte, une femme attend de monter dans son wagon.

Le tourisme sort de son tombeau

Souk Khan el-Khalili, 15 h. Un vendeur au souk embrasse un billet de 100 livres. « C’est le premier billet de la journée ! », s’exclame le jeune vendeur de tissus. Niché à l’est du Caire, le quartier islamique est pourtant le passage obligé pour les touristes à la recherche d’authenticité.

Aujourd’hui, seulement une poignée de touristes viennent se perdre dans les dédales de ces souks égyptiens. « Avant, il y avait plus de touristes ; maintenant, certaines boutiques ont préféré fermer par manque de clients, » raconte un vendeur de taoula (backgammon). Même la majesté des pyramides de Gizeh ne suffit plus à attirer les Européens en manque de sensations fortes. «  Nous avons quelques Chinois et Saoudiens mais c’est tout », explique un guide sur son pur-sang arabe.

Autour du sphinx au nez cassé, une poignée de touristes déguisés en bédouins s’arrêtent pour prendre quelques clichés. La photo dans la boite, ils remontent sur leurs chevaux ou chameaux balafrés loués pour quelques heures. Autour du site abritant l’une de sept merveilles du monde, des enfants en haillons quémandent quelques guinées aux touristes naïfs. Les bureaux de la police touristique sont vides. « Quand j’y étais aller dans les années 80, on faisait la queue pour atteindre le site des Pyramides », constate une voyageuse de 60 ans. Le contraste est saisissant.

Fin septembre, le gouvernement s’est donné 18 mois pour retrouver son record de 2010. Si les revenus du tourisme ont augmenté de 170% ces sept derniers mois, ils sont encore trois fois inférieurs à ce qu’ils étaient en 2011.

« Pour voir le sphynx, c’est 100 livres de plus », négocie les guides touristiques autour du site.

Garbage City : les éboueurs du Caire

« Je vous arrête ici ? » Le chauffeur de taxi n’a sans doute pas l’habitude de déposer des visiteurs dans le quartier de Manshiet Nasser, voisin méconnu de la célèbre citadelle construite par Saladin. Aux pieds de la montagne de Mokattam, l’odeur est prenante et la chaleur étouffante.

Des tonnes de déchets s’entassent devant les modestes demeures. À l’entrée du quartier, quelques camions viennent décharger les tonnes de poubelles recrachées par la capitale. Le jeudi, comme les autres jours de la semaine, les zabbalines, appelés aussi chiffonniers, s’attèlent au recyclage des déchets. À majorité copte, les 60 000 habitant s’organisent en micro-entreprise pour traiter une partie des détritus. Pour la plupart, il s’agit de leur unique source de revenue. Un système de recyclage archaïque mais efficace pour une ville comme le Caire.

Sœur Emmanuelle leur a consacrés une partie de sa vie lors de son séjour en Égypte entamé dans les années 70. Elle contribue à l’amélioration de leur quotidien en remplaçant les cabanes de tôle par de petites maisons de pierre. Aussi, la petite soeur des chiffonniers se bat pour l’arrivée d’eau et d’électricité dans le bidonville. C’est un succès et Sœur Emmanuelle deviendra une célébrité locale.

Mounia a vécu ici toute sa vie. C’est dans ce quartier, à quelque pas du célèbre graffiti d’El Seed déployé sur 50 immeubles, que la jeune femme de 23 ans vit avec sa fille et son mari. Mounia est guide touristique. Que fait-elle visiter ici ? Derrière le quartier vétuste, se cachent plusieurs monastères comme celui de Saint-Simon, véritable joyau architectural. Appelé aussi Simon le Tanneur, il aurait réussi à soulever la montagne de Mokattam.

La ville des éboueurs abrite une partie de la communauté copte de la capitale.

Le Caire, nouvelle marionnette de Riyad ?

L’Arabie saoudite et l’Égypte, une affaire qui roule. En juin dernier, Al-Sissi cède presque en souriant les îles Tiran et Sanafir au royaume saoudien. Situé à l’entrée du golfe Aqaba dans la mer Rouge, cette rétrocession entraîne une levée de bouclier de la part de l’opposition égyptienne.

La relation entre le royaume et l’Égypte est au beau fixe. L’Arabie saoudite arrose financièrement l’Égypte quand cette dernière combat les Frères musulmans pour le grand patron. « Quand l’Égypte a acheté ses rafales à la France, c’est l’Arabie saoudite qui a allongé le fric », pense un employé d’une compagnie pétrolière.

Les Saoudiens relèvent aussi l’économie égyptienne dans le secteur du tourisme. « Ils viennent ici pour se défouler, affirme en souriant un professeur d’anglais bien renseigné avant d’ajouter, « pour eux, c’est notamment l’occasion de rencontrer des femmes et de jouir de ce qui leur est interdit dans leur pays ».

Cet été, la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar a révélé les relations privilégiées entretenues par les deux puissances sunnites. Une amitié cimentée par une haine indéfectible envers les Frères musulmans, organisation islamique fondée en 1928, proche du Qatar. En effet, l’Arabie saoudite voit d’un mauvais œil la concurrence d’un autre courant sunnite susceptible de faire de l’ombre à l’influence wahhabite.

La presse progouvernementale n’hésite pas à condamner le régime qatari à l’instar du quotidien Al Bawaba lancé en 2000. Dans la ligne de mire du journal : les Frères musulmans et leur protecteur Doha. « Le Qatar doit stopper ses liens avec le terrorisme », estime un journaliste du quotidien.

*Les prénoms ont été modifiés.