Algérie, Abdou Semmar: un journaliste insubmersible

A la tète du nouveau site d'enquêtes Algérie Part, le journaliste algérien d'investigation Abdou Semmar dérange. Tant mieux!

Dans ce pays des journalistes courageux, l’audace se paie parfois par une rafale de mitraillette.  Durant la décennie noire, qui a vu l’armée algérienne combattre des islamistes violents, les groupuscules du GIA ont assassiné des dizaines de journalistes. Le climat est désormais moins trouble. Mais les tensions restent exacerbées par la succession d’un président Bouteflika totalement diminué. Un terrorisme résiduel demeure menaçant.

C’est dire que le journalisme algérien est un métier à haut risque pour ceux qui l’exercent sans tutelle ni autocensure. Abdou Semmar fait partie de cette avant-garde qui donne aux médias algériens leurs lettres de noblesse et lui assure une audience remarquable en ces temps de crise de la presse.

Chercher, vérifier, interroger

Ses cibles? Les copains et les coquins qui au sein des élites pillent la rente pétrolière toute honte bue. Les Premiers ministres, les conseillers à la Présidence, les secrétaires généraux du FLN, les patrons des grands groupes industriels et combien d’autres ont eu droit à leurs rafales de révélations sur les deux sites qu’il a créés et animés, Algérie Focus puis ce printemps, « Algérie Part » (en référence à Media Part).

Abdou Semmar en fait trop, entend-on parfois? Et oui, c’est la loi du genre. Pour livrer les batailles contre les puissants bien au chaud dans leurs palais et leurs sièges sociaux, il faut avoir une âme de justicier. « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, disait Albert Londres, il est de porter la plume dans la plaie ». Sauf qu’avec notre ami Abdou un rire salutaire, une marque d’auto dérision, une blague le ramènent toujours les pieds sur terre.

Comme d’autres avant lui au « Quotidien d’Oran » ou à « El Wattan »‘- et avec quel panache face à la mort qui rode, Abdou Semmar cible les affaires sensibles. A risque. Où on prend des coups! Et où on en donne! Mais il le fait avec méthode, moine soldat de la plume. Chercher, vérifier, interroger, déchirer le niveau des apparences. Atteindre la réalité râpeuse qui mord et qui résiste, présenter des faits bruts, rien que des faits.

Les étrangleurs ottomans

C’es peu de dire qu’Abdou Semmar, protégé par son fan club de fidèles lecteurs qui l’accueillent dans le monde entier, vit dangereusement. Le premier site qu’il a lancé, « Algérie Focus », se sera fait en quelques années une place à part  par ses révélations fracassantes. Jusqu’au jour, cet hiver, où quelques puissances financières occulte rachètent subrepticement 90% du capital pour près de 600000 euros (!) pour obliger l’impertinent journaliste à plier l’échine. A la façon des étrangleurs ottomans qui, munis de lacets de soie, pénétraient la nuit chez leur victime pour l’étrangler silencieusement. Que d’argent dilapidé!

Ce qu’ignorent ces ennemis de la liberté de la presse, c’est que la toile permet aux plus entreprenants de réagir dans l’instant en créant de nouveaux sites. Ni imprimerie, ni papier, ni distribution, ces boulets de la presse papier. Un clic et la planète est à portée de voix.

C’est ainsi qu’Abdou Semmar vient de lancer Algérie Part, plus mordant et plus incisif qu’Agérie Focus. Apparemment les internautes algériens ont placé ce dernier né parmi leurs favoris. Tant mieux!

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)