Robert Beugré Mambé, nouveau Premier ministre ivoirien, chausse les crampons

Le gouverneur d’Abidjan qui a été nommé Premier ministre ivoirien, remplace à ce poste Patrick Achi, transfuge, comme lui, du PDCI-RDA, le parti historique créé par Félix Houphouët-Boigny. Une grenade dans le camp de l’opposition qui devra rester unie pour la Présidentielle de 2025 malgré les tentatives de débauchage du pouvoir.

Norbert NAVARRO

Les yeux fixés sur l’élection présidentielle de 2025, Alassane Ouattara met ainsi à l’honneur la région des Lagunes, principal bassin électoral de Côte d’Ivoire. La nomination de son nouveau Premier ministre ne s’est traduite par aucune « prise de guerre » supplémentaire puisée au sein du PDCI-RDA, en pleine recomposition après la mort de son chef, le président Henri Konan Bédié. Désormais chef du gouvernement ivoirien, l’ex-président de la Commission électorale indépendante (CEI) est aussi à l’aise dans les coulisses de la démocratie élective que sur les pelouses des stades. Des savoir-faire qui lui seront bien utiles, en récoltant tantôt des lauriers, tantôt des plumes.

À pareil niveau de responsabilités, Robert Beugré Mambé cumulera les fonctions de Premier ministre et de ministre des… Sports, en lieu et place du ministre sortant Paulin Danho, éjecté d’un gouvernement dont la composition apparaît par ailleurs quasiment inchangée. En fait de sport, le nouveau locataire de la Primature, à sa manière, est un connaisseur. Ancien ministre en charge des Jeux de la francophonie, en 2017, cet « homme de sang froid » que dépeint un connaisseur de la vie politique ivoirienne, devrait savoir mener à bien l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN), l’an prochain en Côte d’Ivoire.  Le foot, justement, Robert Beugré Mambé a connu, et un certain jour, il lui en a cuit.

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Une partie serrée

Dimanche 20 juin 2010, Johannesburg, Afrique du Sud. C’est une partie serrée qui se joue ce soir-là pour la Côte d’Ivoire. Une partie de football. Au Mondial, les Eléphants de Didier Drogba affrontent le Brésil. Le capitaine de l’équipe nationale de Côte d’Ivoire aura beau marquer le premier but africain en Coupe du monde contre le Brésil, le match va mal se terminer pour les Ivoiriens, battus 3 – 1 par la Seleção.

Pour Robert Beugré Mambé, la soirée va virer au cauchemar. Cueilli à contre-pied, le futur Premier ministre ivoirien n’a rien vu venir. Si en octobre 2010, les électeurs ont rendez-vous dans l’isoloir pour le premier tour de l’élection présidentielle, en cette trêve du Mondial, ils ont la tête ailleurs. Face au Brésil, c’est l’Union sacrée. Chez lui, devant son écran ultra-géant, Robert Beugré Mambé a chaussé ses crampons. En seconde mi-temps, là-bas, à Johannesburg, la tension monte sur la pelouse du Soccer City Stadium (aujourd’hui FNB Stadium). L’arbitre français du match a dû sortir le carton rouge contre le Ballon d’Or brésilien Kaka. Pour une affaire de fraude électorale, Laurent Gbagbo, à Abidjan, va de nouveau sortir le sien contre l’ex-président de la CEI. En ce 20 juin, c’est l’enfer du dimanche pour Robert Beugré Mambé.

Loin d’être nouvelle, ladite affaire, quatre mois plus tôt, lui avait coûté son poste. Après avoir accusé la CEI de fraude massive à l’enrôlement, en janvier 2010, Laurent Gbagbo avait exigé et obtenue la tête de son président un mois plus tard. Exit Beugré Mambé, remplacé en février par le ministre des Affaires étrangères, Youssouf Bakayoko. En ce dimanche 20 juin, à l’heure où les passionnés du sport-roi n’ont d’yeux que pour les contre-attaques de l’équipe nationale face au Brésil, le porte-parole du chef de l’Etat, Gervais Coulibaly, va porter à la télévision de nouvelles accusations contre l’ex-patron de la CEI, affirmant qu’un petit demi-million d’étrangers auraient été frauduleusement inscrits sur la liste électorale dont la Commission Beugré Mambé avait la charge.

Au domicile abidjanais de ce dernier, les soutiens d’Alassane Ouattara et d’Henri Konan Bédié (alors alliés au sein du RHDP) se relaient pour lui éviter une arrestation présentée comme imminente. De micros  en caméras, inlassablement, Robert Beugré Mambé protestera de sa bonne foi et jurera ne s’être prêté à aucune manœuvre frauduleuse. En quelques jours, la fièvre des élections va remplacer celle du foot. Cinq mois plus tard, la Côte d’Ivoire va plonger dans le cauchemar de la crise post-électorale.

L’ex-chef de l’Etat, qui accusait les membres de son gouvernement d’alors, de participer aux délibérations du Conseil des ministres le jour, de comploter contre lui la nuit, a-t-il abusivement accusé l’ex-président de la CEI ? Bon gré mal gré, Robert Beugré Mambé a-t-il cautionné une fraude massive à l’enrôlement organisée à son insu ? Lui s’en est toujours défendu. Après la chute de Laurent Gbagbo et l’installation d’Alassane Ouattara au pouvoir, le 11 avril 2011, cette affaire a tôt été enterrée, qui avait gâchée la fête du foot en Côte d’Ivoire dix mois plus tôt.

Treize ans plus tard, l’intéressé succède donc à Patrick Achi, à qui le landernau politique ivoirien prête de vastes ambitions dont le président de la République aurait pris ombrage. Chef ébrié, du nom de ce peuple des lagunes de la région d’Abidjan, un temps passé par l’école des Ponts et chaussées, à Paris, diplôme d’études approfondies du centre français des hautes études de la construction en poche, Robert Beugré Mambé devra faire oublier le retentissant fiasco de la pelouse inondée du stade Alassane Ouattara d’Ebimpé, en réalisant un sans-faute lors de la CAN 2024. Après quoi, cap sur les échéances électorales de 2025.

Et là-encore, la partie promet d’être serrée. Car lors des élections locales du 2 septembre dernier, le PDCI-RDA a l’a emporté dans « toutes les communes importantes de l’agglomération d’Abidjan », souligne un cadre proche du parti historique ivoirien. Pour 2025, le gouverneur de la région des Lagunes peut apparaître « comme une pièce maîtresse pour tenter de limiter l’influence du PDCI dans une région qui représente le tiers de l’électorat national », dit-il encore à Mondafrique. charge pour le Premier ministre, de réussir la CAN (sans que l’on comprenne en quoi son prédécesseur, Patrick Achi, était disqualifié pour atteindre ce sportif objectif)… 

Les trois points, justement.

Nul ne l’ignore à Abidjan, Robert Beugré Mambé a aussi été formé sous le maillet. Selon l’un des chefs de la franc-maçonnerie contacté à Abidjan par Mondafrique, pas sûr qu’il puisse indéfectiblement compter sur la bienveillance de ses frères de lumière, l’affaire de la fraude à l’enrôlement, en 2010, ayant laissé des traces. Reste l’Alliance forgée entre le PDCI-RDA et le PPA-CI de Laurent Gbagbo, et qui, en 2025, pourrait être au RHDP d’Alassane Ouattara ce que le Brésil fut à la Côte d’Ivoire, en 2010. Dans une élection à deux tours telle que la présidentielle, « cette alliance le gêne, donc il y a toutes ces manœuvres pour que ça ne marche pas », nous confie ce-même cadre proche du PDCI-RDA.

En nommant Robert Beugré Mambé à la Primature, Alassane Ouattara a lancé la balle. La voici à présent dans le camp du PDCI et du PPA-CI. Reste à savoir si, comme à Johannesburg, l’arbitre, dans deux ans, sera français. Ou pas.