Aida Dagne: « Le président malien IBK creuse notre tombe. »

« La situation actuelle du Mali est marquée par de sérieuses difficultés sociales, économiques et sécuritaires. Cette situation appelle des politiques nouvelles et des solutions fortes. Elle appelle un homme d’expérience, qui a un sens élevé de l’Etat, un homme honnête et libre, pour lequel la chose publique est sacrée.».C’était en juillet 2013. Le propos émanait du président de la République malien, IBK.

Trois ans plus tard, lui qui se présentait comme un « homme d’expérience, qui a un sens élevé de l’Etat, un homme honnête et libre, pour lequel la chose publique est sacrée » est devenu un chef d’orchestre qui distille une musique douceureuse à l‘extérieur du Mali. Mais à l’intérieur du pays, ile même chef d’Etat s’est pris de passion pour le vacarme des casseroles qui, à longueur de scandales, nous abrutit les tympans et creuse un peu plus notre tombe. Nous ne reviendrons pas sur les miliards retirés de la bouche des Maliens au profit de prédateurs nationaux et internationaux. Sans doute sa vision du « Mali rayonnant, le Mali créateur de richesses et de valeurs au service de tous ses fils. » qu’il nous a promis. Depuis son élection, il y a eu certes création de richesses mais pour qui ? Quant aux valeurs…

Le Keita Ka Klan s’enrichit à grande vitesse en pillant systématiquement nos ressources ? Le Mali perd une place au palmarès peu flatteur des nations les plus pauvres du monde (FMI 2015) en devenant le 17ème pays le plus pauvre du monde avec un pouvoir d’achat moyen (Produit Intérieur Brut par habitant) du Malien de 390 100 Fcfa par an, 32 500 Fcfa par mois. Restons calmes, les Maliens qui disposent de cette somme pour « vivre » ne sont pas, pour autant, les plus pauvres. Non, les vrais pauvres sont ceux qui disposent d’un revenu annuel inférieur à 175 000 Fcfa, soit en 2014, 46,9% de la population, environ 8 millions d’individus. 14 600 Fcfa par mois ! Je vous laisse imaginer à quoi se résume la vie avec moins de 500 Fcfa par jour.

Nul besoin d’avoir fait les grandes écoles occidentales pour comprendre que quand vous détournez, pillez les richesses d’un pays, vous le privez de ressources et, par conséquent, vous augmentez mécaniquement la pauvreté, notamment quand la population continue d’augmenter. Moins de ressources à partager entre plus de personnes ne peut que générer plus de pauvreté.

Le Sud du Mali, entre pauvreté et insécurité alimentaire

Comment se répartit cette pauvreté sur le territoire national ? L’analyse des résultats de l’EMOP-2014* « montre que les régions où l’ampleur de la pauvreté est la plus élevée sont Sikasso, Mopti et Ségou avec des incidences respectives de 65,8 %, 60,4 % et 56,8 %. Ils corroborent ceux de 2013 qui classent ces trois régions parmi les plus pauvres.». Plus de sous-pauvres à Sikasso, Mopti et Ségou que dans les régions du Nord ?

Quant à l’insécurité alimentaire, elle touche 39,4% des ménages maliens*. Comment expliquer que plus de 70% des ménages de la région de Kayes connaissent l’insécurité alimentaire malgré l’exploitation des mines d’or, l’émigration et un taux de chômage de 5,5%* ? Nous sommes impatients de connaître la réponse de nos autorités et des sociétés minières. Entre nous, il est sans doute plus facile d’affamer un peu plus la famille Bathily, y compris constitutionnellement, pour assurer un hypothétique mieux-être à la famille Ag Mohamed, que de revoir le Code Minier, imposer une justice plus efficace pour être en mesure d’investir, par exemple, dans une éducation de qualité pour tous les Maliens.

Car sans éducation, difficile de sortir de la pauvreté, quasi impossible de développer le pays. Comment accepter que le taux d’alphabétisation déjà assez faible (31% en 2014), ait baissé de 2 points entre 2011 et 2014* ? Quelle rémunération correcte pour un jeune diplômé si ses connaissances et compétences ne valent rien sur le marché du travail ? Quel développement possible pour un pays dont les enfants ne sont pas armés pour comprendre et défendre ses intérêts face aux appétits des prédateurs internes et externes ?

Comment qualifier des gouvernants qui n’éprouvent ni remords, ni empathie pour leur peuple, sont incapables de ressentir de la culpabilité ou d’assumer la responsabilité de leurs actions ? « Souvent impitoyables, cyniques et superficiellement charmants, tout en ayant peu ou aucune considération pour les sentiments ou les besoins des autres ». Mais de qui parle donc Xanthe Mallett, experte en criminologie à l’Université de médecine légale de Nouvelle-Angleterre, dans un article paru le 28 Juillet 2015 dans « The Conversation » ? Des psychopathes et sociopathes, tueurs en série. Elle précise que ces troubles s’observeraient particulièrement chez les personnes au rang social élevé, exemple de réussite dans notre société. Cela devrait nous interpeler sur les modèles de réussite que nous vénérons et le type de société dans laquelle nous souhaitons vivre. Mais aussi sur notre responsabilité individuelle dans ce qui arrive à notre pays.

Impunité, violence et chaos

Nous sommes bien placés pour savoir que celui qui a eu faim, une fois au pouvoir, se découvre un appétit d’autant plus insatiable que les conséquences criminelles de cet appétit restent impunies. Nous savons avec quel carburant les mouvements sociaux sont tous éteints. Combien reçoivent certains leaders pour remballer leurs veilléités ? A combien estiment-ils le sang versé et la vie des manifestants morts pour avoir cru en leur loyauté ? Comment qualifier ceux qui finissent toujours par « s’arranger » en sacrifiant la vie de leurs frères et en monnayant leur mort immédiate ou programmée ? A qui la faute si les mouvements sociaux deviennent une rente, avec, si possible, mort d’hommes pour faire monter les enchères ? A ceux qui corrompent ou à ceux qui acceptent de vendre les leurs pour une bouchée de pain, comme au temps de la traite des nègres ? Aux deux, puisque l’un ne va pas sans l’autre.

« Je le dis, je le ferai, c’est mon engagement. Le Mali d’abord, pour l’honneur du Mali, pour le bonheur des maliens ! ». En attendant l’avènement de ce Mali, comment s’étonner si la violence de la rue répond à la violence institutionnalisée ? Les mêmes causes produisent les mêmes effets, comme on peut le constater aux Etats-Unis quand un Afro Américain tire sur des policiers blancs qui, sous prétexte qu’ils sont fonctionnaires et représentent une institution, peuvent canarder les populations noires en toute impunité. Il y a des limites à encaisser l’injustice, et même s’il semble que celles des Maliens soient extensibles à l’infini, un jour viendra où le ressentiment accumulé au fil des ans déferlera dans la rue. Ce jour-là, comme en mars 2012, nous ferons semblant de nous étonner. Nous accuserons les autres, les fanatiques et intégristes, ou les aigris comme un ancien ministre les a si gentiment qualifiés. Nous n’accuserons pas ceux qui sont à l’origine de cette violence, non, nous accuserons les désespérés qui auront réagi à cette violence par la violence. Ainsi avance un système qui se délite, refuse de se remettre en cause et se réfugie dans de plus en plus de violence, jusqu’à ce qu’une violence plus forte l’emporte, un jour ou l’autre. Question de temps. D’ici là, continuons notre fuite en avant…

 

 

 

Aïda H. Diagne

13 juillet 2016