Les autorités françaises n’ont toujours pas coupé les llens avec leurs alliés touareg. Sans pour autant imposer au nouveau pouvoir malien un compromis avec les rebelles du Nord du Mali. De quoi se rendre de plus en plus impopulaire aussi bien à Bamako qu’à Kidal
En septembre dernier, François Hollande affirmait sans ciller: « Nous avons gagné la guerre ». La France, pour autant, a-t-elle gagné la paix au Mali? Le triomphalisme du pouvoir français doit être sérieusement nuancé. Certes, le spectre d’une partition du pays qu’avaient imposé les noyaux combattants d’AQMI et du MUJAO en occupant les deux tiers du pays s’est éloigné. Mais ni la sécurité, ni l’intégrité du territoire malien n’est assurée aujourd’hui. « Si les troupes françaises quittent Bamako, note un observateur local, le pays peut à nouveau s’embraser ».
Une certitude, l’armée française est confrontée à un terrorisme dit « de basse intensité », pour reprendre ce charmant euphémisme des militaires. Qu’on en juge : attaques au lance-roquettes, attentats suicide, assassinat de journalistes, routes minées. Mi décembre, un attentat coute la vie à deux soldats de l’ONU gardant une banque à Kidal, à la veille du second tour des législatives. Malgré les bulletins de victoire à répétition, la présence jihadiste avait obligé l’armée française à intervenir massivement en octobre dernier et à conserver, malgré les engagements de départ, quelque 3000 soldats sur place. En ce début d’année, le « Groupe des Mourabitounes de l’Azawad », fondé par les anciens du MUJAO qui fut l’allié d’AQMI dans la conquête du Nord Mali, a promis de s’en prendre aux intérêts de la France au Nord Mali.
Nos amis les touareg
Plus gravement sans doute pour la sécurité du pays, la question touareg n’a pas connu, pour l’instant, de débit de solution. Les événements qui ont secoué le Mali en 2012, du putsch militaire à la partition du pays, ne se résument pas à une guérilla de quelques centaines de djihadistes, venus d’Algérie et de Mauritanie, contre le pouvoir central malien. « C’est une vraie révolution comme celles qui ont eu lieu en Libye, en Egypte et en Tunisie », a pu se féliciter publiquement Fathi Khalifa, le président du Congrès mondial Amazigh qui défend les droits des peuples berbères, entre autres au Nord du Mali.
Or la France aujourd’hui est prise sous les feux d’une double critique contradictoire. Du coté des élites politiques maliennes et jusqu’au président IBK, les Français sont accusés de soutenir en sous main leurs protégés du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA). Et à l’inverse, sous les tentes des touaregs, cela râle de plus en plus contre l’incapacité des mêmes Français à imposer au pouvoir de Bamako un compromis avec les communautés du Nord. La France joue un jeu acrobatique. Les militaires ont besoin de l’alliance avec les communautés touaregs et arabes pour combattre les djihadistes. Dans le même temps, la diplomatie française, allié d’un pouvoir à Bamako structurellement hostile aux populations du Nord, ne veut rien faire qui puisse favoriser trop ouvertement les touaregs.
La France sortira-elle de l’ambiguité ? Pour l’instant, son projet politique n’ apparaît guère dans un pays miné par les inégalités, la corruption et surtout l’irrédentisme des populations les plus marginalisées au Nord du pays.
Des pourparlers sans lendemains
Après la proclamation de l’indépendance du Nord du Mali en janvier 2012, le mouvement indépendantiste touareg a joué un rôle trouble. Dans un premier temps, les cadres du MNLA avaient pactisé avec Aqmi et ses affiliés pour proclamer ensemble l’indépendance de « l’Azawad ». Hélas les groupes djihadistes ont vite dominé la rébellion, puis écarté les alliés de la première heure. Du coup, le MNLA fera même connaître son soutien à l’opération Serval et facilitera la recherche des planques des groupes armés. Ce revirement ne fait pas l’unanimité, puisqu’une partie des militants rejoint le mouvement « Ansar Eddine », créé par le sinueux Iyad ag Ghali, protégé par le Algériens mais resté fidèle à l’alliance avec Aqmi.
Dans la foulée de l’opération Serval, l’espoir d’une réconciliation nationale est apparue de façon fugâce. Signés en juin 2013 entre l’Etat malien et les groupes rebelles « repentis » les accords préliminaires de Ouagadougou ont permis l’organisation d’élections. Mais le scrutin, réalisé sous le contrôle des militaires français, n’a pas été préparé avec suffisamment de soin. Résultat : un taux de participation dérisoire (5% à Kidal), l’impossibilité de voter pour des dizaines de milliers de réfugiés, une absence de légitimité du nouveau président élu, IBK, parmi les populations du Nord. Le retour à la paix, conditionné par une réconciliation entre les Maliens eux-mêmes, est précaire.
A Bamako, le ministère de la Réconciliation et du développement du Nord se débat pour parvenir à des solutions. Une petite équipe devra encadrer et structurer les pourparlers. Au menu : la réconciliation, le programme de développement accéléré du Nord , l’organisation d’assises nationales…Son nouveau bureau – une quinzaine de personnes- devra mener des investigations sur les origines de la rébellion depuis… 1963, date de la première rébellion touarègue. Une autre structure, la Commission Dialogue et Réconciliation, coquille vide de 33 membres créée lors du gouvernement de transition, est dissoute.
Les modalités d’une autonomie, le désarmement du MNLA et la réinsertion éventuelle des combattants du Nord au sein de l’armée malienne auront été les principaux enjeux de cette négociation illusoire. C’est qu’il y a loin des bonnes intentions affichées aux dissensions profondes entre les communautés. A Bamako, le MNLA est en effet tenu pour responsable de la partition du pays. L’armée malienne est encore sous le coup du traumatisme qu’avait provoqué le massacre d’Aghelok, où plus de cent militaires maliens ont été tués par des rebelles. L’humiliation avait été totale lorsque les soldats furent mis hors d’état de nuire par les groupes armés et qu’ils durent fuir vers le sud du pays ou gagnant le Niger voisin. A l’inverse, les exactions commises par l’armée malienne dans le sillage des Français, constatées par Amnesty International, ont provoqué à Kidal un ressentiment général et aiguisé les haines.
Pieuses intentions
La position ambiguë de la France a-t-elle contribué à pourrir localement la situation ? C’est l’impression qui paradoxalement prévaut chez les frères ennemis du Nord et du Sud, à Bamako comme à Kidal. Si cela va si mal encore au Mali, c’est que la France n’a pas voulu choisir son camp.
En dépit de la signature, le 18 juin, des accords préliminaires de Ouagadougou, le retour du gouverneur dans la ville de Kidal et l’entrée de 200 militaires maliens ont été retardés. Toute délégation est accueillie par des pierres, jetées par les partisans d’un Azawad indépendant. Des soldats de la Minusma ont péri dans des attentats, en pleine ville. Le cantonnement des anciens rebelles du MNLA, préalable à toute négociation, ne s’est pas effectué. Ces accords devaient amener à un accord de paix définitif, soixante jours après l’investiture du nouveau président. Ni les délais, ni les promesses n’ont pu être tenus.
En conséquence, le retour des réfugiés et déplacés est loin d’être effectif. Entre 250 et 300 000 Maliens vivent encore dans le sud du pays.
« La France ne comprend rien »
Le MNLA, qui pensait pouvoir s’appuyer sur la France, doute désormais de ses intentions : « L’armée française, à travers l’opération Serval, est en train de réinstaller le Mali à Kidal, explique Ilad ag Mohamed, un haut cadre du MNLA basé à Ouagadougou. On ne doit pas nous mettre encore dans la gueule du Mali, sinon le conflit va rebondir ». Et d’ajouter : « Nous n’avons rien à voir avec ce gouvernement de Bamako».
La confusion est à son comble. Plusieurs mesures de confiance contenues dans les accords de Ouagadougou n’ont pas été mises en œuvre. » Ainsi l’article 9 prévoyait que le gouvernement malien fasse un « geste de bonne volonté ». Parmi les doléances, le MNLA fait également valoir la question de la libération des prisonniers « politiques » : une liste de 127 personnes a été soumise au gouvernement malien. Une trentaine d’entre eux seulement ont été libérés. Mais d’autres ont été arrêtés. Au MNLA, beaucoup en veulent aux Français d’arrêter des jeunes gens au Nord Mali, en recherchant les responsables des assassinats des deux journalistes de RFI, et de les livrer à l’armée malienne. « Un camp existe désormais près du quartier général de la gendarmerie de Bamako, déplore un élu touareg, et des dizaines de jeunes prisonniers y sont maltraités par l’armée malienne ».
Base arrière
Les touaregs trouvent un certain réconfort auprès des pays voisins de la Mauritanie, trop heureux de pouvoir consolider leurs positions au Nord Mali. Ainsi depuis le début de la crise dans le Nord-Mali, le MNLA a renforcé considérablement sa présence en Mauritanie. Forts de liens tribaux traditionnels, de nombreux touaregs maliens chassés de leur pays ont trouvé refuge chez le pays frère. La Mauritanie accueille près de 100.000 réfugiés éparpillés principalement entre le camp de M’Béra à la frontière sud-est avec le Mali et Nouakchott.
Le MNLA dispose d’une délégation doté d’un bureau exécutif qui a pignon sur rue dans la capitale et d’où le jeune porte parole Attaye Ag Mohamed donne des interviews aux journalistes, accueille les nouveaux partisans, informe les diplomates. Une autre mouvement en faveur de l’indépendance de l’Azawad, le Haut Conseil de l’Unité de l’Azawad possède également une représentation à Nouakchott. Des personnalités charismatiques du MNLA installées à Nouakchott comme Nina Wallet Intalou, ancienne conseillère territoriale de Kidal et proche du chef militaire Mohamed ag Najim, plaident pour l’indépendance de l’Azawad dans les médias et lors de meetings autorisés. Le porte-parole de la Coordination des Cadres de l’Azawad, Ansari Habaye Ag Mohamed, principal instigateur d’une lettre ouverte rejetant toute alliance avec Ansar Dine en mai 2012, est également présent en terre mauritanienne.
En plus de leurs appuis au sein de la diaspora historique, il bénéficient d’une audience renforcée auprès des touaregs maliens récemment débarqués dans la capitale après avoir fuit leur pays, et qui se trouvent le plus souvent en déshérence économique. Les réseaux touareg sont nombreux en Mauritanie et s’organisent en associations dont l’une des plus connues, « Arvra » – qui se défend d’appartenir au MNLA mais entretient une proximité avec certains de ses membres – tente de porter assistance à ceux qui ont trouvé refuge dans la capitale mauritanienne.
Toutes ces dernières années, Nouakchott s’était impliqué dans les problèmes territoriaux maliens. A plusieurs reprises, l’armée mauritanienne a mené des incursions militaires au Mali au nom de la lutte contre le terrorisme. En août 2013, Aziz avait accueilli une réunion des principaux groupes de rebelles touareg armés du nord mali, le MNLA, le HCUA et le MAA (Mouvement arabe de l’Azawab) dans le but d’établir un « projet politique unique et un plan d’action unique pour les Azawadis ». La présence des mouvements rebelles touareg en Mauritanie se situe dans la droite ligne d’une politique quelque peu intrusive qui fait grincer des dents à Bamako.