Un contingent de 50000 soldats pour « pacifier » Bangui

Les militaires français qui sentent bien l’enlisement de l’intervention en Centrafrique réclament des troupes supplémentaires. Un soldat pour une vingtaine d’habitants à « pacifier » serait le minimum indispensable pour gagner le pari engagé par la France !

Au moment d’expédier les troupes françaises se battre au Mali et en Centrafrique, François Hollande a omis de prévenir ses concitoyens d’un ratio pourtant capital pour le succès de ses entreprises militaires, fondées sur la « politique de la canonnière ». Selon les experts dans l’art de la guerre, afin de pacifier la seule ville de Bangui, 50 soldats pour 1 000 habitants seraient nécessaires, soit un total de 50 000 hommes pour la capitale et 230 000 pour l’ensemble du pays ! Dans leurs rapports internes et dans les analyses élaborées par les savants portant képi, ont peut lire des énoncés comme ceux qui suivent. « En matière de présence d’une force de maintien de la paix, ayant pour vocation de contribuer, dans un environnement difficile, à la reconstruction d’un état en cendres, la règle est la suivante : une force armée ne tient pas le terrain sans disposer d’un soldat pour vingt habitants ».

Voilà, le postulat est écrit dans les petits papiers de l’École de guerre. Pour en arriver là les experts s’appuient par exemple sur le « modèle » de l’Irlande du Nord, « le conflit entre catholiques et protestants » (en réalité entre riches et pauvres, colons et colonisés). Un autre exemple prend sa source dans la Bosnie de 1995 où les forces de l’OTAN étaient censées ramener la paix. Et la Force de Stabilisation, alors de vingt militaires pour mille habitants, mettra cinq ans pour revenir à dix en 2 000. Ce même « exemple de modélisation » va surgir au Kosovo et donner la même équation de vingt pour mille.

Des arrières pensées comptables

Même un citoyen ignorant tout de la chose militaire peut imaginer qu’en lançant de tels chiffres les penseurs des conflits jettent le bouchon un peu loin. Un jet qui tombe bien puisqu’à une politique française de déflation des effectifs militaires (avec une suppression de 30 000 postes programmée à terme) les responsables d’états-majors opposent cette loi du surnombre, histoire de convaincre le Président de la République de freiner les licenciements de soldats…

Les arrières pensées comptables avaient déjà été présentes dans le lancement de l’opération Serval en janvier 2013. Au printemps dernier se réunissait en effet la commission du Livre blanc sur la défense qui, tous les cinq ans, définit les grands axes stratégiques de nos forces armées ainsi que les budgets alloués pour atteindre ces objectifs. Or l’armée de terre, saignée ces dernières années, avait eu le sentiment d’avoir été mise sur la touche en Libye où l’aviation avait joué un rôle décisif. Cette guerre du Mali survenait on ne peut mieux pour que les forces terrestres montrent au nouveau président François Hollande de quoi elles étaient capables sur le terrain et à quel point il ne fallait pas les priver, dans les années à venir de quelques facilités financières. L’efficacité de l’armée de terre dans les massifs montagneux du Nord Mali est pour beaucoup dans les arbitrages présidentiels sur la politique de défense moins calamiteux qu’on ne pouvait le craindre au sein de l’Armée. Cerise sur le gâteau, l’idée n’est plus émise de fermer des bases militaires sur le continent noir, notamment au Tchad et au Niger, alors qu’il en avait été question

La Centrafrique, nouvelle vitrine.

En dressant aujourd’hui en Centrafique des comparaisons fallacieuses entre la brousse qui entoure Bouar et les quartiers irlandais de Londonderry, nos experts militaires tentent à nouveau de faire pression sur le pouvoir, mais en se moquant un peu du monde. Pas grave, leur but est de faire céder Papa Hollande en lui présentant comme une urgence d’écraser une mouche avec un marteau-pilon.

D’autant que, si on présente à l’Élysée le ratio le plus extravagant, il existe quand même d’autres études plus « raisonnables ». Par exemple celle de John Mc Grath  dans son livre « Bottes sur le terrain : densité des troupes des contingents en opération » où cet expert relève 10,76 soldats pour mille habitants. Pour en arriver à cette déflation des commandos, Mc Grath ne travaille pas au doigt mouillé mais fait entrer dans son observation, la densité de population du pays où la troupe intervient, la qualité des soldats mobilisés pour ce faire et la durée de leurs rotations et l’utilisation des forces locales, si elles existent. Avec tous ces paramètres, puisés dans les conflits qu’il a analysés, le spécialiste US tombe à une moyenne « idéale » de 13,26, c’est-à-dire supérieure  à celle observée sur le terrain (10,76). Si l’on en revient à l’urgence actuelle, celle de Centrafrique, avec les données de Mc Grath, il faudrait donc 13 000 soldats à Bangui…

L’ONU traine des pieds

Pour l’instant les Français ont tenté d’impliquer l’ONU dans leur guerre en Centrafrique. Peine perdue, les Américains ne veulent pas passer au tiroir caisse. En Europe, seuls les Hollandais ont donné un coup de main et la Pologne, vaillante, a envoyé une centaine de valeureux combattants.

Du coup, la diplomatie française presse ses partenaires Africains d’augmenter leur envoie de troupes vers les rives du Chari. Ma force de la Misca devrait passer à 6 000 hommes. Si on ajoute à ces guerriers venus de pays frères, les soldats français, partis à 1 300 mais qui se retrouvent à 2 000 en arrivant à bon port, on atteint les 8 000 « gardiens de la paix » présents à Bangui.  Les experts notent donc un déficit de 5 000…

Mais, contre mauvaise fortune ces cerveaux ont bon cœur, il note que « des troupes françaises, en nombre, sont postées dans les pays limitrophes de la Centrafrique ». D’ailleurs l’état major français en revient à une guerre à cheval, par exemple en plaçant des Mirages à Ndjamena d’où ils peuvent aussi bien bombarder l’ex empire de Bokassa que le Nord Mali.

Les guerres  « humanitaires » ne se font plus dans l’opulence mais dans le sacrifice.