Etre chrétien au Mali sous la menace djihadiste

Discriminés, parfois forcés à se déplacer, les chrétiens du Mali (7% de la population du pays) souffrent de la menace terroriste et prônent l’unité avec les musulmans contre les radicaux

Mali-egliseLe coup d’état du 22 mars 2012 et la prise du nord du Mali par des groupes armés djihadistes ont profondément traumatisé l’ensemble de la société malienne. En son sein, les chrétiens (7% de la population du Mali) furent particulièrement affectés. Ceux vivant dans le nord du pays ont fuit en masse, principalement vers la capitale, Bamako. Au sud, plane un sentiment diffus d’insécurité. Néanmoins, les personnes rencontrées sur place  témoignent de l’estime mutuelle que maliens chrétiens et musulmans se portent, et de la solidarité dont ils ont fait preuve.

Menaces

Le Pasteur Mohamed est un pasteur baptiste de l’Eglise des assemblées de Dieu, qui exerçait son ministère à Tombouctou, à environ 1000 km au nord de Bamako. Il évoque les souvenirs de sa fuite de Tombouctou, tombée aux mains des terroristes le 1er avril 2012: « Ce fût le départ de toute l’Eglise. Nous nous sommes tous rassemblés, et nous avons pris le départ en pinasse, d’abord jusqu’à Mopti, puis jusqu’à Bamako. (…) Des amis musulmans nous ont avertis du danger et nous ont protégés jusqu’à ce que nous soyons montés dans les pinasses. » L’Abbé Timothée Diallo, curé de la cathédrale de Bamako, et chargé de communication de l’Archevêché, affirme quant à lui que les chrétiens du nord ont tous fui avec l’aide  des musulmans. Il ajoute: « A Gao, les religieux avertis par des musulmans ont fui in extrémis en voiture. ». A postériori, le Pasteur Mohamed dit avoir été choqué mais pas surpris par la chute de sa ville: « Il y a depuis longtemps des cellules dormantes à Tombouctou. Bien avant que la ville soit prise, nous recevions déjà des menaces et des courriers qui annonçaient l’extermination des chrétiens. »

Fin janvier 2013, quand Tombouctou est libérée, le pasteur se trouve en Suisse pour raisons professionnelles. «J’ai immédiatement appelé pour organiser le retour de ma femme et de mes enfants, qui étaient à Bamako. Je les ai rejoints à Tombouctou plus tard. Quand je suis revenu, il y a eu beaucoup de larmes de joie et d’émotion de la part de mes amis musulmans qui étaient restés. Ils ont senti un vide. Ils ont senti l’absence de l’Eglise.».

Le pasteur menait des actions saluées par beaucoup, organisant notamment des distributions de produits de première nécessité à l’attention des plus démunis. Il venait en aide à tous. Pourtant, cela n’est pas du goût de tout le monde, et des individus proches des combattants djihadistes l’accusèrent de faire du prosélytisme. Avec le départ des chrétiens, nombre d’écoles, centres de santé et associations d’aide ont fermé, au grand dam des habitants de Tombouctou.

Le retour du Pasteur Mohamed chez lui fera long feu. Il a dû revenir à Bamako en janvier de cette année. « Le contexte sécuritaire s’est dégradé de nouveau. On ne peut plus emprunter les axes de voyage à cause des vols, du racket, des intimidations et des voitures brûlées. Il y a encore des meurtres et des décapitations. La vie est impossible. » Il a été personnellement et ouvertement menacé à plusieurs reprises. Son assistant lui est resté sur place. «Il est moins connu. Il incarne moins le danger.» justifie-t-il.

L’Eglise catholique quant à elle, est peu présente dans les régions du nord. Selon le père Timothée Diallo, seul un père blanc d’Afrique vivant à Badiangara, au pays Dogon (région jusqu’ici épargnée par les terroristes), continue d’aller de temps en temps, célébrer la messe à Tombouctou et à Gao. L’Eglise de Gao, profanée par les combattants djihadistes, a été réhabilitée. Le culte a repris sporadiquement. Le Père Diallo explique qu’il n’y a dans ces zones quasiment plus de catholiques. « Les chrétiens qui restent sont surtout des protestants, des fonctionnaires, et des gens travaillant pour des ONG.».

Bamako sous tension

Si à Bamako leur sécurité n’est pas immédiatement menacée, le quotidien des chrétiens n’est pas rose pour autant. Surtout pour les déplacés du nord. L’Eglise et quelques ONG leur sont venues en aide comme en témoigne l’Abbé Thimotée Diallo: « Les déplacés catholiques et  musulmans ont pour la plus part de la famille à Bamako.

L’Archevêché a hébergé les protestants pendant deux ans, dans un de ses centres de formation.». L’Eglise catholique a également réparti entre tous les déplacés l’aide d’urgence de Caritas. Mais pour le pasteur Mohamed, ce n’est pas suffisant « Ni l’Etat ni les ONG chrétienne ne s’occupent des déplacés. (…) En arrivant à Bamako, nous avions tout perdu. Nous n’avons plus rien. Les gens nous considèrent comme des mendiants. Nous sommes dégradés. Cela nous déshonore. Nous essayons de nous en sortir mais ce n’est pas facile. Nous n’avons pas de soutien. Personne ne sait que nous existons là. En tant qu’Eglise, personne ne parle de nous, ne s’intéresse à nous. Il faut partager équitablement tout ce qui est reçu par les églises.». Quid de la solidarité entre communautés religieuses? « Nous avons de bonnes relations avec l’Eglise catholique. Nous sommes tous unis en Christ.(…) Chrétiens et musulmans, nous sommes tous sur le même bateau, il y a de nombreux musulmans déplacés ou menacés aussi. Hormis quelques individus, nous ne faisons pas de ségrégation. »

Les chrétiens sont-ils l’objet de discriminations ou d’intimidations à Bamako? Le Père Timothée évoque deux incidents qui ont eu lieu récemment dans des églises de la paroisse Ste Monique. Dans l’une d’elle, de jeunes hommes sont venu menacer un paroissien de le brûler vif s’il se rendait le dimanche suivant à la messe. Le jour dit, l’Archevèque et la police étaient présents. Il n’y a pas eu de suite. Dans l’autre église, une femme est venue pendant la messe du dimanche et a tenté de s’emparer de la Bible posée sur l’autel pour la remplacer par le Coran. Les paroissiens sont intervenus pour l’en empêcher, et la police est venue. L’Abbé précise: « Ce sont des faits isolés. Dans le quotidien, il n’y a pas de problème avec les musulmans. Dans presque toutes les familles coexistent chrétiens et musulmans. Le dimanche, la police est devant la Cathédrale. Il y a des fouilles à l’entrée. Bien sûr nous sommes sur le qui-vive. Nous craignons les groupes armés. Les musulmans eux aussi on peurs. Il y a aussi des fouilles à l’entrée de certaines mosquées, car le lieu est menacé. Les musulmans sont menacés aussi. »

Le ressenti de Tex* est très différent. Ce malien protestant vit dans une petite ville du centre du pays et travaille régulièrement à Bamako. Il y a 15 ans qu’il s’est installé là où vit. Il n’y a pas, historiquement, de présence chrétienne dans cette ville. Aujourd’hui, ils sont une dizaine de chrétiens. « Dès mon arrivée les relations ont été excellentes. Mes nouveaux voisins ne connaissaient pas bien la religion chrétienne. J’étais l’objet d’une curiosité bienveillante. Ils se sont rendu compte que j’étais bon, que j’étais droit, et que je me tenais en dehors des histoires de religion. Ils ont de l’estime et du respect pour ma personne et ma religion. Certains de mes meilleurs amis sont des maîtres coraniques estimés et de grands marabouts. Ils me respectent vraiment dans ma foi chrétienne. L’un d’entre eux m’a dit qu’il aimerait que plus de musulmans soient comme moi…» Il trouve sa vie de chrétien plus compliquée à Bamako. « J’ai quotidiennement des échanges tendus. J’ai par exemple un collègue qui est fervent, et qui me pose constamment des questions déstabilisantes sur ma foi, qui me critique et qui me teste. »

Le Pasteur Mohamed se sent discriminé à Bamako. Il raconte: « Nous n’avons pas le droit de prier Dieu dans les bâtiments loués. Certains propriétaires nous font signer des baux qui stipulent l’interdiction de faire du local un lieu de prière. Je suis pasteur évangélique. Il est normal que je pratique ma foi! » Il lâche dans un soupir:  « J’aimerais qu’il y ait la paix pour prendre le chemin du retour vers le grand désert. »

Nouveaux convertis

Malgré les tensions, fait remarquable, il y a à Bamako et dans le sud du Mali beaucoup de conversions au christianisme. Le Père Diallo évoque 69 baptisés adultes l’année passée, pour la seule Cathédrale de Bamako. Y a-t-il une corrélation avec les événements de 2012? Pour Timothée Diallo ça ne fait pas de doute. Il explique qu’il y avait déjà une tendance avant, mais que le phénomène a pris de l’ampleur après la prise du nord par les groupes armés. « Les gens qui se convertissent se posent beaucoup de questions sur l’Islam. Il y a aussi ceux qui veulent se convertir mais qui ont peur.»

Elle a 30 ans, et a reçu le baptême à Pâques à la Cathédrale de Bamako. Sa mère est catholique et son père musulman. Rita est son nom de baptême. Son nom de naissance, est celui d’une parente musulmane  très pieuse.

Le père de Rita a toujours laissé ses enfants libres de leur foi. Petite fille, elle allait à la messe avec sa mère. Plus tard, elle a vécu 7 ans  dans la famille de son homonyme, la parente dont elle a hérité le nom. La foi de Rita, qui emprunte à l’islam et au christiannisme, leur pose problème. Ils l’intimident, lui disent qu’elle brûlera dans les flammes de l’enfer. Rita devient une musulmane très pieuse. Mais après son départ de cette famille, les questions l’assaillent de nouveau. L’Islam ne lui apporte pas de réponse qui la satisfasse. « Quand je pratiquais l’Islam, je priais jour et nuit, j’allais plusieurs fois par jour à la mosquée, je commençait le jeûne plusieurs semaines avant le mois de ramadan. Mais je priais dans une langue que je ne comprenais pas. C’est ce que les arabes ont trouvé de mieux pour qu’on ne comprenne rien à cette histoire. Quand tu commences à te poser des questions tu ne peux plus continuer comme ça. Dieu était éloigné. Maintenant quand je prie, je suis avec un ami. » Elle ajoute: «J’étais violente, imbuvable, comme aveuglée par la haine.». Et puis souvent, la Vierge Marie apparaît à Rita en rêve, et lui demande de prier Jésus. Alors, Rita partcipe aux journées d’évangélisation charismatique, et se rend sur le conseil de sa mère dans la communauté des béatitudes. C’est là qu’elle demande le baptême et fait sa cathéchaise. Une de ses soeurs a été baptisée avec elle, une autre le sera l’année prochaine.

Quelle fût la réaction de son entourage? « Mon père a accepté mon choix. C’est tout ce qui m’importe. Les autres je m’en fiche. La famille de mon homonyme, je ne sais pas s’ils sont au courant. Je ne leur en ai pas parlé. Certains me disent: « Qu’est ce qui t’a pris de changer? A 30 ans tu es toujours célibataire! Un chrétien t’a demandé en mariage? » Je leur réponds que quand il seront touchés par Jésus ils comprendront. Mes collègues eux, disent que j’ai changé depuis mon baptême, que je rayonne. D’autres personnes croyaient que j’étais déjà chrétienne. Ils étaient étonnés de savoir que je venais d’être baptisée, car ils trouvaient que j’avais toujours ressemblée à une chrétienne. » A quoi ressemble une chrétienne selon eux? « On dit de moi que je m’entends avec tout le monde. Que je ne m’énerve pas. Que j’ai un don pour consoler les gens. Quand je donne un conseil à une personne et qu’elle l’applique, elle se sent immédiatement en paix. Des amis viennent me voir de très loin pour se confier, car ils savent que quand ils me quittent, ils sont en paix. Ils me demandent de prier pour eux. » Tex confirme: « Au Mali, les chrétiens ont la réputation d’être des gens de paix, des gens biens, des gens droits. C’est pour ça qu’on nous aime. C’est aussi là dessus qu’on nous attaque.»

C’est dans l’air du temps. Le Mali est confronté au défi de faire coexister pacifiquement ses différentes communautés. Il semble néanmoins, s’agissant des communautés chrétienne et musulmane, que les acteurs religieux et laïcs soient conscients du challenge, et s’attèlent à le relever. Pour le Pasteur Mohamed, parlant du peuple malien: «Nous avons un ennemi commun qui en veut à nos vies, et nous oblige à vivre l’unité avec nos frères.».