Pulchérie Gbalet ne croit guère au dialogue politique du pouvoir ivoirien

Pulchérie Edith Gbalet, présidente d’Alternative citoyenne ivoirienne (ACI), craint un éventuel échec du dialogue politique engagé aujourd’hui, si on ne revoit pas son mode opératoire. La présidente de l’Alternative citoyenne ivoirienne insiste sur la nécessité d’impliquer la Société civile qu’elle invite à ne plus être être à la solde des formations politiques.

Mondafrique. L’Alternative citoyenne ivoirienne (ACI) que vous présidez est une structure qui compte en Côte d’Ivoire et pourtant, vous êtes absente au dialogue politique qui a repris. Pourquoi ? N’êtes-vous pas la bienvenue à cette rencontre importante ?

C’est le Gouvernement qui organise le dialogue politique qui est mieux placé pour expliquer notre absence. Ce n’est pas normal que nous soyons absents à ce rendez-vous. Les précédents dialogues politique étaient thématiques. A partir du moment où celui-ci n’est pas thématique, il devrait être inclusif, de sorte que toutes les sensibilités viennent dire quels sont les thèmes importants qui pourraient être abordés pour le retour de la stabilité dans ce pays. Donc, si nous ne sommes pas invités, c’est le Gouvernement qui a les réponses mais nous pouvons déjà noter que ce n’est pas normal par rapport à tout ce que nous faisons en matière de démocratie et de réconciliation.

Mondafrique. Est-ce que vous avez manifesté l’intérêt de participer à cette rencontre ?

Nous suivons l’actualité nationale. Quand on a su que les invitations avaient été envoyées, par nos réseaux, nous avons écrit, avant que le dialogue ne commence, au Premier ministre avec ampliation au ministère de l’Intérieur qui fait les listes, pour demander notre participation. On n’a pas eu de suite. Quand on a demandé d’envoyer les thèmes, nous avons encore écrit au Premier ministre avec ampliation au ministère de l’Intérieur et de la sécurité et aux chancelleries.

Mondafrique. Des organisations de la Société civile sont présentes à ce dialogue. EMondafrique.st-ce qu’elles ne pourraient pas parler en votre nom ?

Tout est une question de vision, de priorité et d’intérêt. Ces organisations qui sont là-bas ne nous représentent pas. La preuve, elles y sont allées sans nous contacter pour qu’on puisse leur faire des propositions sur les thèmes. S’il y avait des organisations qui avaient fait cette démarche, on aurait pu dire qu’on a quand même des porte-parole là-bas. Ces organisations sont allées d’elles-mêmes et ce ne sont pas des organisations qui ont l’habitude de travailler avec nous. Nous ne savons pas ce qu’elles feront là-bas comme propositions. C’est pourquoi nous insistons pour faire nos propositions. Au sein de la Société civile, il y a plusieurs types d’organisations qui n’ont pas forcément les mêmes priorités.

Mondafrique Est-ce que la place de la Société civile est importante pour ce type de dialogue ?

Absolument ! Les problèmes en Côte d’Ivoire ne se limitent pas aux aspects politiques. C’est vrai que tout est politique, d’une certaine manière, mais ce qui intéresse nos politiques, c’est surtout les questions électorales. Cela se voit au résumé qu’ils ont fait de tous les thèmes qui ont été présentés. Quand vous prenez le document officiel qui a été servi aux participants, la semaine passée, il y a 81 points qui ont été proposés dont ils ont retenu 17. Les 17 ont été répartis en 5 points qui, en réalité, se résument en 3 points, puisque sur les 5 points, 3 sont liés aux questions électorales. Il y en a un qui est lié à l’apaisement du climat sociopolitique et l’autre à la réconciliation. Il n’y a pas eu de thème en lien avec des questions sociales. Cela voudrait dire que les organisations de la Société civile qui sont là-bas n’ont pas suffisamment de poids pour imposer les questions sociales. Il n’y a pas que les questions politiques. On a, par exemple, les litiges fonciers qui sont des questions générales en Côte d’Ivoire. On a toutes les questions sources de conflits qui n’ont pas de rapport direct avec la politique. Les organisations de la Société civile présentes au dialogue auraient dû relever cela.

Mondafrique. A votre avis, est-ce que la Société civile joue véritablement son rôle ? Est-ce qu’elle compte dans les débats qui touchent l’intérêt de la nation ?

En Côte d’Ivoire, à mon avis, la Société civile ne joue pas son rôle. Elle est utilisée comme un faire-valoir. Comme elle ne connaît pas son rôle, elle ne peut pas le jouer. Vous voyez les coalitions politiques qui se créent et il y a des organisations qui y vont. A partir du moment où vous, en tant que Société civile, censées être impartiales, allez dans une coalition politique, vous prenez automatiquement position pour un bord. Vous ne pouvez plus prétendre être de la Société civile si vous êtes dans une coalition politique. Deuxièmement, les acteurs de la Société civile doivent savoir qu’ils jouent un rôle d’arbitre dans tout le jeu social et politique.

Si nous sommes des contrôleurs de l’action publique, on devrait savoir qu’il est de notre devoir d’identifier et faire des propositions pour solutionner tous les dysfonctionnements qui existent à tous les niveaux de la Société. Malheureusement, certaines personnes prennent la Société civile comme un business. Il en y a qui ne vivent que de ça. Le développement se fait dans un environnement de paix. Il faut travailler pour consolider et pérenniser les acquis du développement. (…) Il faut que la Société civile se décomplexe par rapport à la politique. Il se pose un problème de formation, tant au niveau des acteurs politiques qu’au niveau de la Société civile. Certains vous diront qu’ils sont militants de la Gauche sans connaitre les valeurs qui la caractérisent. On devrait savoir que la Société civile défend certaines valeurs : la justice sociale, la démocratie. Ce sont toutes ces valeurs qui fondent la démocratie. Nous avons le droit et le devoir de nous prononcer sur tout ce qui influence nos vies. Donc, les choix des politiques doivent être critiqués.

Mondafrique Est ce que vous ne risquez pas, en militant aux côtés des politiques, d’être suspectée de partialité?

C’est justement pour cela qu’on dit qu’il faut décomplexer la Société civile. Nous venons avec un nouvel esprit. Quand je dis « nous », je veux parler de « Aube Nouvelle », « OIDH », etc. Il faut apporter le regard de la Société dans le débat politique de façon claire et ouverte avec des arguments et aussi des propositions. Il ne faut pas critiquer pour critiquer. Nous venons combler un vide. Aujourd’hui, avec les organisations comme les nôtres, les politiques se rendent compte qu’ils ne sont pas tout permis. Il y a des pays où les politiques font périodiquement un point aux populations. On ne s’adresse aux populations qu’en période électorale. Donc, nous ne sortons pas de notre rôle.

Mondafrique Ces derniers temps, on vous voit beaucoup aux côtés de Mme Simone Gbagbo, est-ce pour faire chemin ensemble ?

Il y a des moments où il y a des thématiques qui intéressent tout le monde parce que très importantes pour la vie de la nation. Le dialogue politique, dans le contexte de crise où nous sommes, est très important. Il intéresse à la fois les politiques et la Société civile. Quand il y a une importante thématique d’actualité, il est tout à fait normal que la Société civile soit associée à des partis ou hommes politiques qui partagent la même vision qu’elle. On ne peut pas dire qu’on est en train de faire chemin ensemble. Nous travaillons sur les questions du dialogue politique et de son dysfonctionnement. Ce dialogue qui n’est pas inclusif pour avoir exclu des organisations importantes. Nous sommes donc Ensemble par rapport à des objectifs bien précis.

Mondafrique Comment voyez-vous les chances de réussite de ce dialogue ?

Les chances de réussite de ce dialogue sont très minces. Tout le monde sait aujourd’hui que la Côte d’Ivoire a besoin de réconciliation. Le projet de réconciliation reste incompris. Tout le monde en parle. Mais c’est quoi la réconciliation ? A quoi renvoie-t-elle ? Ce n’est pas évident que tout le monde le sache. A travers la façon dont le Gouvernement organise ce dialogue politique, nous en arrivons à la conclusion que le Gouvernement, lui-même, ne sait pas réellement ce que c’est que la réconciliation et ce qu’elle devrait impliquer. Ce dialogue-là devrait être le lieu de jeter les bases de la vraie réconciliation, en le rendant inclusif. C’est-à-dire inviter tous ceux qui comptent dans ce pays pour apporter leurs contributions. Non seulement ce dialogue n’est pas inclusif mais malheureusement, le mode opératoire est inquiétant. D’après ce qu’on a appris dans les coulisses, après avoir discuté sur la synthèse des thèmes, au cours de cette semaine, on devrait s’accorder sur les thèmes de référence. Mais on nous apprend, hélas, que la semaine prochaine, ce sera la clôture. On espère qu’on nous a mal informés. Si cela est vérifié, c’est qu’il n’y aura pas eu de dialogue. C’était donc quoi toute cette organisation, si on avait affaire à une mascarade. Si le dialogue n’a pas eu lieu, sur quelle base on va formuler les résolutions. Les germes de l’échec sont déjà là. Ce dialogue politique est une voie sans issue.

Mondafrique. Selon vous, quelles devraient être les propositions fortes ?

Ce que la Société civile voudrait pour la réconciliation ne suffit pas. C’est ce que toutes les parties veulent pour la réconciliation qu’on doit concilier pour trouver la stratégie consensuelle. Tant qu’il n’y a pas d’inclusivité, tout sera voué à l’échec. Chacun de nous a une part de responsabilité dans ce qu’il faut faire pour que les choses avancent. Nous devons décider ensemble de ce qu’il faut faire, aussi bien le Gouvernement que l’opposition (malgré sa division).

Interview réalisée p