Côte d’Ivoire, le régime Ouattara aux abois

Pulchérie Gbalet, figure de la contestation démocratique en Cote d’Ivoire, dort en prison , dans la sinistre Maca d’Abidjan. Un signe parmi d’autres du désarroi du pouvoir ivoirien face à une contestation grandissante d’un possible nouveau mandat de l’actuel Président Ouattara.

Une chronique de Michel Galy

Enlevée par des hommes encagoulés samedi matin dans le quartier populaire de Yopougon, elle a été amenée de force dans l’ex Hôtel Sebroko(siège d’une milice ultra violente, qui va jusqu’à torturer les opposants, sous les ordres du frère de Ouattara, officiellement l’  « Unité de lutte contre le grand banditisme » -ULGB, une section de la police) , puis à la préfecture de police, où elle a été entendue deux jours durant par le procureur adjoint ; enfin amenée au palais de justice du Plateau, où elle a été mise sous mandat de dépôt et incarcérée.

Cette arrestation arbitraire a suscité une vive émotion dans le pays, avec un écho international important : Voice of America, la radio d’État allemande Deustche Welle (dans leurs éditions internet en français), et même l’hebdomadaire Jeune Afrique (pourtant peu critique envers le régime d’Abidjan), s’en sont alarmés.

Le feu aux poudres

C’est aussi que la situation est tendue , en Cote d’Ivoire :en l’absence de Laurent Gbagbo- acquitté en première instance par la CPI et libéré de toute contrainte, mais à qui l’administration Ouattara refuse passeport et retour dans son pays natal, seul Henri Konan Bédié, leader du PDCI et lui aussi ancien président avait décidé de se présenter aux élections présidentielles d’octobre prochain.

La candidature surprise d’Alassanne Ouattara pour un troisième mandat , à l’encontre de la Constitution de 2016, a mis le feu aux poudres. Dans toute l’Afrique notamment francophone, élections et constitutions sont souvent adoptées en l’absence de l’opposition , avec des trucages massifs et un abstentionnisme record. C’est le cas de la Cote d’ivoire, où isolé par la coalition entre le PDCI et le FPI, M. Ouattara( compte tenu des « déçus du Ouattarisme » et de la défection de son ancien chef de guerre, Guillaume Soro), ne peut compter environ que sur un cinquième des suffrages , environ 20% d’après notre analyse des précédents scrutins.
Malgré les 83% des voix officiellement attribuées à la présidentielle de 2015, la légitimité est ailleurs, comme l’a montré la chute de Compaoré au Burkina en 2014, et même celle d’Ibrahim Boubacar Keita cette semaine au Mali – ce qui terrifie justement le pouvoir ivoirien, tétanisé par une possible contagion d’un tardif « printemps ouest africain ».

Dans ce contexte, Pulchérie Gbalet et son organisation ACI (Alternative citoyenne ivoirienne) ont pris leurs responsabilités en appelant à des « marches éclatées » contre le 3ème mandat non constitutionnel exigé par le despote d’Abidjan. Dans Abidjan et dans les villes de l’intérieur, les populations sont sorties , édifiant des barrages, affichant leur détermination à refuser la candidature Ouattara, voire demandant le départ de l’actuel chef de l’Etat.

L’absence relative de ce dernier, réfugié depuis des mois à Assinie, station balnéaire proche d’Abidjan par crainte du coronavirus, le décès du premier ministre et dauphin Gon Coulibaly, le départ en Allemagne du président du Sénat Ahoussou Jeannot, les maladies ou absences de ministres et de dignitaires évoquent une fin de règne ou un vide du pouvoir. Le silence obstiné de Paris , opposé aux « mandats de trop » dans le pré carré francophone, se combine avec un intérêt soudain pour des outsiders comme le financier Thiam et des discussions avec l’opposition, laissant augurer un lâchage du régime.

Douze morts lors d’une manifestation


C’est pourquoi le régime Outtara, aux abois , mise sur la répression la plus violente( 12 morts et 200 blessés la semaine précédente, à Daoukro, fief de M. Bédié) et le refus de toute négociation, notamment sur la composition d’une « Commission électorale indépendante » jusqu’ici à sa botte et d’un fichier électoral honteusement truqués par l’adjonction de centaines de milliers de sahéliens migrants, véritable « bétail électoral » du régime.

Toutes choses que dénonce Pulchérie Gbalet et la société civile, réclamant à cor et à cris le respect de la Constitution et des élections transparentes. Ce pourquoi elle est aujourd’hui en prison, bien que la mobilisation enfle en sa faveur, et que l’usage des réseaux sociaux en fasse une icône déjà pan africaine de la lutte contre le despotisme.

Rien ne prédisposait cette frêle sociologue, qui continue à mener des études de terrain pour le BNED (bureau d’étude gouvernemental) à subie ces dures épreuves.
Sauf justement une détermination et une incorruptibilité rares parmi les élites subsahariennes, y compris dans des syndicats et des « sociétés civiles » trop souvent instrumentalisés.
Mieux , en l’absence de mots d’ordre clairs des partis de Laurent Gbagbo et de Henri Konan Bédié, le jour où Pulchérie Gbalet a lancé les jeunes militants à l’assaut du pouvoir, elle a joué le rôle éphémère de fer de lance de la contestation , et même de leader national contre la tyrannie du régime Ouattara.