La situation dans l’extrême-est de la République centrafricaine, particulièrement dramatique, échappe largement aux radars médiatiques internationaux, tant ce conflit interethnique est difficile à décrypter.
Voici la chronique d’Aza Boukhris sur la réalité des combats dans l’extrême-est de la Centrafrique
Les communiqués officiels de l’ONU, de sa Représentation à Bangui et du gouvernement centrafricain font état de combats violents entre factions du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC). En revanche, les nombreux témoignages de journalistes et de notables relatent des combats entre le FPRC et le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ) et de ses alliés, qui sont le Parti pour le rassemblement de la nation centrafricaine (PRNC) et le Rassemblement patriotique pour le renouveau de la Centrafrique (RPRC).
On peut s’étonner de la mansuétude des autorités nationales et internationales envers le MLJC et ses alliés.
Le FPRC devenu indésirable
Alors que le FPRC du leader historique Nourredine Adam et du chef militaire Abdoulaye Hissène ont joué un rôle important dans les pourparlers de Khartoum, on peut se demander aujourd’hui, si ce mouvement n’ est pas devenu un obstacle à l’application de l’Accord de paix et de réconciliation du 6 février 2019 (APR-RCA).
Manifestement à Birao, Ndélé, Bria, la Minusca multiplie les actions contre le FPRC et semble ménager étrangement les combattants du MLCJ, du PRNC et du RPRC.
En ce qui concerne la présidence et le gouvernement de Bangui, on n’a aucune peine à concevoir que le président Touadera veut sa revanche contre les deux chefs de guerre du FPRC qui ont été le fer de lance de l’ex-Seleka. Nourredine Adam et Abdoulaye Hissène sont aussi sous sanctions pour leur passé qui aurait dû les amener à la Cour pénale internationale de La Haye.
Les combats fratricides dans la Vakaga opposent clairement, d’une part, le FPRC, héritier de la CPJP de feu Charles Massi, composée très majoritairement de Rounga avec leur fief de Ndélé et, d’autre part, la coalition menée par le MLCJ, composée en grande majorité par des Kara et Goula, originaires de la région de Birao.
La montée en puissance du MLCJ
Le MLCJ, créé par le fantasque Abakar Sabone, était une des branches de l’ Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) qui constitua le catalyseur de l’ex-Seleka, sous la férule de Michel Djotodia Am-Nondroko. Le MLCJ reprit vite son autonomie et, vu sa faible implantation, ne joua pas un grand rôle dans la crise de 2012-2013, contrairement au FPRC.
La Centrafrique est le pays des situations invraisemblables. Ainsi, par exemple, l’actuel responsable politique du MLCJ, Gilbert Toumou Deya, proche des Kara, est aussi le ministre-conseiller chargé des relations avec les groupes armés. On devine ses relations avec le FPRC et ses rapports orientés au gouvernement et à la Minusca. Signataire de l’Accord de paix et de réconciliation du 6 février 2019, le chef du MLCJ est en guerre à Birao, ministre à Bangui et interface avec les garants de l’Accord pour rétablir la paix et la réconciliation nationale….
La rapide montée en puissance du MLCJ est venue peu après l’Accord du 6 février 2019. Manifestement renforcé par des mercenaires soudanais et tchadiens, vétérans des crises centrafricaines et du Darfour, et par des moyens militaires venant des deux Soudan, le MLCJ n’a rien eu à craindre du président Touadera et de son gouvernement. De même, les mercenaires russes, bien implantés dans la région, ont semblé bienveillants à leur égard. Quant à la Minusca, éloignée de plus de 1000 km de ses quartiers banguissois, elle essaie de protéger les civils et porte surtout son attention sur le FPRC.
Les Goula mieux représentés à Bangui
L’ ancien putschiste Michel Djotodia Am-Nondroko, Goula de Gordil, s’est récemment rapproché du Président Touadera, alors que François Bozizé maintient une opposition frontale. L’ancien consul de Centrafrique à Nyala ( Soudan), ayant vécu 14 ans en Russie, est russophone. On peut imaginer qu’il est plutôt apprécié des conseillers russes du Palais de la Renaissance.
Dans le conflit actuel, Michel Djotodia Am-Nondroko ne doit pas être indifférent au combat du MLCJ et de ses alliés. Son influence peut aussi être relayée par son neveu, Herbert Gontran Djono-Ahaba, ministre de l’énergie et ressources hydrauliques, fondateur du RPRC, dirigé par le « général » goula Zakaria Damane, ainsi que par son frère cadet Arnaud Djoubaye Abazene, ministre des transports. Le PRNC est dirigé par Nour Gregaza avec Issa Issaka Aubin, ancien responsable de la sécurité de Michel Djotodia Am-Nondroko.
Le FPRC obtient certes trois ministères – Eaux et forêts, Travaux publics, PME- mais de moindre importance et totalement marginalisés.
La résurgence des conflits ancestraux
Comme dans de nombreux Etats africains, l’effondrement de l’Etat-Nation, en difficile construction depuis les indépendances, a fait ressurgir des conflits immémoriaux. On le constate notamment aujourd’hui au Mali, au Cameroun, en Guinée, en RDC, au Burkina Faso et bien évidemment en Centrafrique.
Le nord-est de la République centrafricaine, aux confins du Darfour, du Bahr-el-Ghazal et du Tchad, a toujours été une zone troublée par des affrontements entre les Rouga, les Goula, les Kara, les Arabes tchadiens, les Sara, les Haoussas, les Djandjawids….les alliances entre ces groupes armés opportunistes se font et se défont au gré des événements et des perspectives de pillages. Aujourd’hui, les Goula avec les Kara combattent les Rounga et Sara.
Demain, ils pourraient de nouveau se coaliser, comme en 2012 avec la Seleka…