Cameroun, l’improbable « dialogue national » de Paul Biya

Le « grand dialogue national » va durer du 30 septembre jusqu’au 4 octobre 2019, loin hélas de tout processus de réconciliation nationale. 

 L’Union européenne ne cesse de demander l’ouverture d’un dialogue politique, la révision de la loi de 2014 concernant la lutte contre le terrorisme et la libération des prisonniers politiques dont évidemment celle de Maurice Kamto, arrêté depuis le 28 janvier 2019. On se souvient que l’éminent juriste s’était auto-proclamé vainqueur de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 et que son parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, organisait des « marches blanches ».

La Résolution du Parlement européen, du 18 avril 2019, condamnant les atteintes aux droit de l’homme et les arrestations politiques, a fortement déplu au palais Etoudi. Mais cette i-initiative a inquiété les caciques du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, le parti présidentiel. Face aux risques de diminution de l’aide au développement, l’inaction présidentielle devenait contre productive.

Les mises en garde américaines

Les Etats-Unis d’Amérique, par la voix de leur ambassadeur Peter Barlerin, ne manquent aucune occasion pour stigmatiser les exactions, de part et d’autre, dans les deux régions anglophones et de prôner un dialogue national. Le « Monsieur Afrique » de Donald Trump, Tibor Nagy, ne se prive pas de critiquer le régime de Paul Biya, comme il le faisait déjà entre 1991 et 1993 lorsqu’il était en poste à Yaoundé. Lors de son entretien avec Paul Biya, le 18 avril 2019, Tibor Nagy avait demandé le respect des droits de l’homme, la libération de Maurice Kamto et de ses partisans et la liberté d’expression pour les anglophones.

Déjà très présents dans les ONG internationales, peu favorables au régime du président Biya, les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent plus se satisfaire du statu quo.

Le Cameroun inquiète l’Elysée

Après la situation au Sahel, c’est l’avenir du Cameroun qui, en Afrique, préoccupe le plus l’Élysée. En l’absence d’évolution positive, le dispositif français a connu un récent changement. Les déboires du Groupe Bolloré, notamment dans les transports maritimes et ferroviaires, ont pu précipiter le départ de l’ambassadeur Gilles Thibault, provoqué par ses imprudences ses interventions inaudibles.

Son successeur a immédiatement pris fonction, le 29 juillet 2019, ce qui est rare en période estivale, surtout avant la Conférence annuelle des ambassadeurs, à Paris fin août. Il y avait urgence. Christophe Guilhou connaît déjà le personnel politique et les principaux responsables de la société civile. Durant ses importantes fonctions à l’Organisation internationale de la francophonie, où il était directeur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme (2013-2015), il s’était familiarisé avec la question camerounaise et noué des relations professionnelles avec de nombreux intellectuels camerounais dont Maurice Kamto.

L’ambassadeur Guilhou est probablement un meilleur interprète pour faire passer, ici et là, un message de fermeté de la France pour la reconstruction de l’unité nationale. Ses récentes visites dans les régions du Littoral et du Sud-Ouest ne sont pas passées inaperçues, notamment ses tête-à-tête avec des leaders religieux, politiques et syndicalistes de tous bords.

Le président Macron a probablement dit à son homologue camerounais tout le bien d’un « grand débat national » comme il avait lui-même pu l’expérimenter dans la crise des « Gilets jaunes ». Le « conseil » était assurément assorti d’une impatience toute macronienne.

Le dialogue, une idée neuve

Le Palais des Congrès de Yaoundé sera fin prêt pour recevoir les responsables politiques, les chefs religieux, les leaders de la société civile, les chefs des forces de sécurité et des groupes armés qui auront été invités par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, afin de rechercher « les voies et moyens de répondre aux aspirations profondes des populations ».

Évidemment, il  s’agit essentiellement de résoudre la crise nationale dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qui a déjà fait des centaines de victimes et des dizaines de milliers de déplacés et réfugiés.
Devant les pressions extérieures,  Paul Biya (86 ans et 37 ans de pouvoir), s’est donc résolu à aller vers un dialogue national qu’il a qualifié de « grand ». Le terme « inclusif » aurait, sans doute, été plus explicite et davantage prometteur. 

Paul Biya n’a jamais été partisan du dialogue et de la conciliation qu’il considère comme des signes de faiblesse. Sa formation à l’IHEOM de Paris, son apprentissage auprès d’Ahmadou Ahidjo et sa longévité à la tête d’un État aussi difficile à gouverner l’inclinent à utiliser toutes les déclinaisons de la puissance publique.

Paul Biya, un homme à poigne

Le « Sphinx » a toujours été inflexible envers ses opposants, sans égards pour ses anciens collaborateurs et sans état d’âme dans la répression des groupes armés. L’éradication sanglante des maquis Bamileke et Bassa de l’UPC  sous son mentor Ahmadou Ahidjo, l’écrasement de la révolte pro-Ahidjo, en 1984, des partisans Foulbé du nord et la politique de la terre brûlée dans la lutte contre Boko Haram dans l’Extreme-Nord font partie du logiciel de la gouvernance de Paul Biya.

Les empêchements à un « grand dialogue national » paraissent difficilement surmontables par les parties en présence. De surcroît, la haine et le ressentiment rendent opaques les éventuelles sorties de crise. On peut se poser quelques questions :
– le choix de situer le lieu du dialogue national à Yaoundé est-il judicieux ? Un lieu plus neutre, par exemple à l’étranger, aurait davantage atténué les éventuelles crispations.
le Premier ministre est-il le mieux placé pour mener ce dialogue national ? Une personnalité étrangère de bons offices voire une organisation internationale de médiation ne seraient-elles pas plus consensuelles ?
un dialogue national sans les principaux leaders des revendications ne peut être qualifié de « grand ». Peut-on dialoguer avec des pensionnaires de la prison de Kondengui ? Maurice Kamto est renvoyé, le 8 octobre 2019, avec des dizaines de ses partisans, devant un tribunal militaire. Julius AyukTabe, un des leaders des séparatistes ambazoniens a été condamné, avec neuf de ses adjoints, le 20 août 2019, à la prison à vie et à une colossale amende.
– l’exigence du dépôt préalable des armes par les séparatistes peut s’apparenter à une capitulation, s’il n’y a pas une force neutre de type onusien ou de l’Union africaine pour garantir un gel des affrontements et un bon départ des négociations.
– les délégations venant des régions administratives doivent être représentatives et non monocolores comme l’opposition semble le constater. La forme de l’État, le régime politique, le bilinguisme et l’État de droit auront-ils la place qui leur revient dans un tel dialogue national ?
Le dialogue national est réclamé de toutes parts, mais les préparatifs et les premiers échos de son organisation laissent à penser qu’il pourrait bien être, une nouvelle fois, un coup d’épée dans l’eau.

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