Boko Haram, révélateur de la crise nigériane

Incapables de stopper l’avancée des terroristes de Boko Haram en Afrique de l’Ouest où ils menacent désormais le Tchad, les autorités nigérianes ont récemment annoncé le report des élections présidentielles pour fin mars prochain. Extrêmement chaotique, l’organisation de ce scrutin et la compétition entre les candidats en lice mettent en exergue les causes profondes de l’essor de ce groupe radical.

goodluck-jonathanAlors que les terroristes de Boko Haram ont mené la nuit dernière leur première offensive au Tchad, poursuivant leur expansion dans l’ensemble de la sous-région, les autorités nigérianes tentent tant bien que mal de maintenir la tenue d’élections présidentielles. Prévues initialement pour février, ces dernières ont déjà fait l’objet d’un report au 28 mars 2015. Une course à la présidence caractérisée par d’énormes difficultés d’organisation souvent liées à une corruption endémique. Autant de symptomes de dysfonctionnements politiques profonds qui ont en partie contribué au développement de Boko Haram.

Disparités régionales

Déjà, dans un rapport très riche d’informations publié en avril 2014, les services de renseignement canadiens s’inquiétaient de l’issue de ce scrutin à haut risque opposant le président sortant Goodluck Jonhatan à Muhammadu Buhari.  « Les élections présidentielles de 2015 pourraient déstabiliser le pays et remettre en question l’unité du Nigéria. (…) Les élections régionales de 2013 dans l’état d’Anambra, qui n’est pas touché par l’insurrection djihadiste, ont été généralement considérées comme une répétition générale des élections de 2015. Or, elles ont été un cauchemar logistique, des accusations vraisemblables de fraude ayant été portées, rappelant le pire des élections de 2007. Si elles sont le présage des élections de 2015, il est peu probable que les résultats soient acceptables pour de nombreux Nigérians, surtout les perdants. »

A ces forts risques de fraude se surimpose l’éternelle rupture géopolitique entre le Sud dont est originaire Goodluck Jonhathan et où se situent les ressources pétrolières et gazières du pays, et les régions du Nord défavorisées dont une grande partie soutient Muhammadu Buhari. « Dans l’éventualité d’une victoire de Jonathan, il est presque certain que le nord aurait davantage encore l’impression de ne pas occuper la place qui lui revient. Dans ce scénario, Boko Haram s’avérerait probablement être le point de ralliement de ceux qui voient le nord comme marginalisé au sein de la fédération gouvernée par le gouvernement « sudiste » et « chrétien » d’Abuja. Cela se manifesterait probablement par des appuis actifs et passifs plus forts pour Boko Haram ainsi que par une pléthore de justiciers indépendants qui descendraient dans les rues pour atteindre divers objectifs. »

La victoire du candidat de l’opposition Buhari ne garantit cependant en aucun cas l’arrêt des violences de la secte désormais lourdement armée et bénéficiant d’appuis extérieurs discrets mais efficaces. Comme le rappelle le rapport canadien, « Boko Haram risque d’être aussi hostile à un parti d’opposition qu’il l’est au gouvernement de Jonathan, ce qui témoigne de la colère du peuple contre ceux qui administrent le Nigéria, quelle que soit leur affiliation politique. Aux yeux de Boko Haram, Jonathan et son opposition politique sont tous les deux laïcs et n’appuieraient ni l’un ni l’autre l’imposition stricte de la charia. Ils sont tous les deux les créatures de l’establishment nigérian qui est égocentrique et dans une large mesure coupé des simples citoyens, surtout dans le nord. »

Complicités

Néanmoins, la victoire de l’opposition serait probablement bien accueillie par un grand nombre de gens dans le Nord qui, jusqu’ici, étaient prêts à soutenir directement ou tacitement le djihadisme radical parce qu’ils sont insatisfaits du bilan de Jonathan. À ce titre note le rapport canadien, « une victoire de l’opposition serait susceptible de fragiliser non pas tant la base de soutien populaire de Boko Haram que ses compagnons de voyage et ceux qui, parmi les élites du nord dont l’identité est dissimulée, approuvent—s’ils n’appuient pas—sa campagne contre le gouvernement d’Abuja. »

A contrario, une victoire de Goodluck Jonhattan pourrait réveiller des tensions sur d’autres fronts dans le pays notamment la région du delta du Niger. « La dernière insurrection dans cette région a pris fin à la suite de l’adoption d’un programme d’amnistie prévoyant le versement de pots-de-vin aux dirigeants des milices. Bon nombre de ces dirigeants font maintenant partie de la garde rapprochée de Jonathan et bénéficient de contrats très lucratifs, soi-disant pour garantir la sécurité de l’infrastructure pétrolière. Plusieurs d’entre eux ont menacé de mettre le feu au delta si Jonathan ne reste pas en poste comme président. »