Algérie, le retour en force des hommes de l’ex DRS

La recomposition du pouvoir algérien, actée par une cohabitation apaisée entre le président Tebboune et le chef d’état major par intérim, le général Saïd Chengriha, se traduit par le retour en force des réseaux l’ex DRS, du nom que possédaient jusqu’en 2015 les puissants services de renseignement du général Toufik

Le président algérien Tebboune, choisi par les proches de l’ancien patron des armées, Gaïd Salah en décembre, a rallié désormais le nouveau chef d’état major, Said Chengriha, qui a choisi de neutraliser la plupart des collaborateurs proches de son prédécesseur.

Pendant la courte année de mars à décembre 2019 où feu le général Gaïd Salah tenta à la tète de l’armée d’imposer une autorité chancelante, une chasse judiciaire fut organisée contre les réseaux de l’ex DRS (services secrets) désignés alors comme le mal absolu. C’est que Gaïd Salah avait eu, durant oute sa carrière, le sentiment d’être tenu à l’écart, voire méprisé, par les hommes du général Toufik, patron incontesté des services de renseignement jusqu’à sa mise à la retraite en 2015.

Le bon général Gaïd, aujourd’hui décédé, avait une revanche à prendre. Sous sa férule obsessionnelle, des dizaines de gradés, soupçonnés de complicité avec l’ex DRS, étaient poussés vers la sortie et pour beaucoup poursuivis et emprisonnés. Or cette chasse aux sorcières est terminée. La page est en partie tournée. Jusqu’à une possible libération du général Toufik, condamné à quinze ans de prison et aujourd’hui détenu? Certains jugent ce scénario possible.

La paix des braves

Désireux de restaurer l’unité de l’institution militaire déchirée par ces luttes de clan, le nouveau chef d’état major, Saïd Chengriha, tout en adoubant le président Tebboune, pourtant coupable d’avoir été choisi par son prédécesseur, a décidé de conclure un armistice avec l’ex DRS. Il y allait de la cohésion de l’institution militaire; il y allait aussi de la sécurité de l’Algérie, que ce soit sur le plan extérieur ou intérieur.

Dans un contexte où les monarchies pétrolières, émiratis et séoudiens, montrent clairement des tentations impérialistes dans la sous région (Libye, Sahel), où le frère ennemi marocain vit dans une insolente tranquillité et où les forces terroristes continuent de prospérer à la frontière sud de l’Algérie, ll y avait le feu au lac. De surcroit, face à un Hirak dont les manifestations ne faiblissaient pas, du moins avant l’arrivée de la pandémie, le pouvoir militaire cherchait les moyens d’affaiblir la mobilisation populaire.

Or face à ces défis, les protégés de Gaïd Salah, nommés aux manettes des services de renseignement, provenaient tous de formations militaires classiques. Choisis essentiellement pour leur allégeance au nouveau maitre de l’Algérie, les généraux ainsi promus à la tète du contre espionnage ou du renseignement militaire firent rapidement la démonstration de leur incompétence. D’où la volonté du nouveau chef d’état major, successeur de Gaïd Salah, de chercher l’expertise là où elle était. A savoir chez les anciens cadres de l’ex DRS, qui constituèrent jusqu’en 2015, date de l’éviction du général Toufik, une assurance vie du régime autocratique qui sévit depuis l’indépendance.

L’heure des purges

Outre la nomination de nouveaux patrons du contre espionnage et du renseignement militaire, la purge au profit des réseaux du général Toufik est assez générale. Ainsi un ancien colonel du DRS, Mohamed Chafik Mesbah, est nommé le 20 avril directeur général de l’agence de coopération pour la solidarité et le développement. Selon une source crédible, il a été recommandé par le général Mohamed Bouzit, un homme de l’appareil sécuritaire qui vient, lui aussi, d’être nommé à la tète de la DGSE algérienne (services extérieurs). 

Le 28 Avril, un autre élément de l’ancien DRS, le général Belkacem Laribi, est nommé directeur général de la sécurité et de la protection présidentielles (DGSPP). Il remplace le Colonel Nacer Habchi imposé par Gaid Saah sous recommandation de son bras droit, le général Lachkhem, le puissant patron des transmissions aujourd’hui mis à l’écart. Il s’agit, pour le général Laribi d’un retour à un lieu bien connu pour lui. Car, Il a longtemps opéré au sein de cette structure depuis la présidence de Zeroual, à l’époque où elle dépendait directement du DRS du général Toufik jusqu’au 2015 où elle a été rattachée à la garde républicaine.

Dans la foulée, la présidence a ordonné à la justice militaire (DCSA) dirigée par le général Bessis de régler les affaires des officiers en attente de jugement depuis plus de neuf mois déjà.  Ainsi, une trentaine d’officiers, dont l’ancien et éphémère directeur de la DCSA le Colonel Nabil Boubekeur, alias Bob, viennent d’être libérés.

Il est aussi question de la libération du Général Djebbar Mhenna, lui aussi ancien directeur de la DCSA, incarcéré depuis le 21 octobre 2019 et toujours sans jugement.

Une triple crise

Le processus de déboulonnement de l’appareil sécuritaire, mis en place par Gaid et ses proches collaborateurs, pourrait se poursuivre dans un futur proche. Une bonne nouvelle? Peut-être… Certes, les hommes de l’ex DRS ne possèdent pas un logiciel plus démocratique que les proches de Gaïd Salah, mais ils montrent plus de savoir faire. Ces professionnels du renseignement savent fractionner, quand ils le peuvent, les oppositions, voire les attirer dans leurs filets, plutôt que de jouer l’affrontement.

Or le pouvoir algérien, largement discrédité par la fin de règne humiliante de Bouteflika et les errements de Gaïd Salah, doit jouer finement la partie face à une triple crise. La crise est économique, avec la baisse considérable des prix des hydrocarbure et l’assèchement progressif des réserves de devises. La crise est aussi sociale, aiguisée par la pandémie, qui voit la paupérisation des secteurs qui vivent de l’économie parallèle. La crise enfin est politique enfin avec le retour en force probable, demain, des manifestations populaires, comme cela se produit au Liban ces derniers jours.

Que l’institution militaire algérienne, colonne vertébrale de l’Etat, aie retrouvé ses marques n’est pas forcément la plus mauvaise des nouvelles. Seul un pouvoir fort a une capacité à imaginer une sortie de crise qui soit un compromis avec les revendications populaires.