Gaza sous l’oeil acéré d’un écrivain hindou

L’excellente revue Books publie en ce mois de mai une recension sur le dernier livre du romancier et essayiste Pankaj Mishra, »the world after Gaza » que Mondafrique est heureux de pouvoir reprendre« Je me suis presque senti obligé d’écrire ce livre, révèle Pankaj Mishra dans son prologue, pour soulager ma perplexité devant un tel effondrement moral qui me démoralisait, et pour inviter les lecteurs en général à une quête de clarifications, qui semblent absolument urgentes dans une période aussi sombre ». 

L’auteur dont plusieurs livres sont disponibles en français, est né dans une famille de brahmanes, la plus haute caste de la société hindoue. Comme beaucoup de nationalistes hindous, ses parents se sentaient proches du nationalisme sioniste, dont l’histoire leur paraissait proche de la leur. « Des gens comme moi », écrit-il.

Sur le mur de sa chambre d’enfant trônait une photo de Moshe Dayan. Mishra est longtemps resté attaché à l’héritage intellectuel juif et à la cause d’Israël. Mais en 2008, quand il se rendit en Cisjordanie, il découvrit « la brutalité et le caractère sordide » de l’occupation israélienne. « L’orgie de tueries qui commença le 7 octobre 2023 » a accentué la révision déchirante qu’il avait vécue. Début 2024, le Barbican Center à Londres annula une conférence qu’il devait faire sur « La Shoah après Gaza ».

Un colonialisme de peuplement 

Avec d’autres, il considère qu’Israël a instrumentalisé la mémoire de la Shoah à des fins politiques, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Il se range du côté du « cercle de plus en plus large », écrit-il, de ceux pour qui « Israël pratique un cruel colonialisme de peuplement mené par un régime suprématiste juif soutenu par des politiciens occidentaux d’extrême droite et leurs compagnons de route de gauche ». Il considère que le conflit s’est « racialisé » en profondeur, écrit l’historien juif Adam Sutcliffe dans le Times Literary Supplement. Il en voit pour preuve que les Européens se sont beaucoup plus mobilisés pour l’Ukraine que pour Gaza. Sutcliffe note au passage que les exportations allemandes d’armes pour Israël ont été multipliées par dix en 2023. Un autre signe qui ne trompe pas, selon Mishra : pour les suprémacistes hindous, Israël est devenu « un exemple à suivre pour traiter avec les musulmans en utilisant le seul langage qu’ils comprennent : la force et toujours plus de force ». Autrement dit, les victimes sont devenues les bourreaux.

On s’en doute, l’analyse de Mishra fait grincer des dents. Même à gauche. Dans The Guardian, Charlie English, qui a naguère dirigé le service international du quotidien, juge qu’il pousse le bouchon trop loin. « Les victimes du Hamas peuvent-elles toutes être rangées dans la catégorie de ce que Mishra appelle “le pouvoir blanc ?” », écrit-il. 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)