Projeté en compétition au dernier Festival international des programmes audiovisuels documentaire (FIPADOC) de Biarritz en janvier, President, le film de la réalisatrice danoise Camilla Nielsson sur la parodie démocratique de 2018 au Zimbabwe, laisse un goût amer sur l’aptitude de certains pays d’Afrique à géré leur printemps démocratique
Une chronique d’Olivier Toscer
2017 au Zimbabwe. Un coup d’Etat militaire détrône le vieux dictateur Robert Mugabe au pouvoir depuis 37 ans à Harare. Emmerson Mnangagwa, son fidèle numéro deux prend sa place en attendant la mise en place d‘élections libres prévues l’année suivante. Elles vont opposer le nouvel homme fort du pays – tout sauf un démocrate sincère – au jeune leader de l’opposition, Nelson Chamisa, ancien activiste étudiant pro-démocratie longtemps persécuté par le régime de Mugabe.
Le film commence là, en immersion avec le candidat Chamisa et ses équipes. On suit un candidat dont le programme est aussi simple que clair: en finir avec le régime autoritaire et corrompu du Zanu-PF, l’omnipotent parti au pouvoir depuis l’indépendance. Tout est résumé dans le slogan de campagne : « Hands up for the new Zimbabwe.
La promesse du film semble, elle aussi, des plus familières. Le récit en immersion d’une campagne politique est un classique du genre, maintes fois renouvelé depuis Primary le film de référence sur John Kennedy dans les primaires démocrates américaines de 1960 à The War Room sur Bill Clinton en 1993 en passant par Une partie de campagne de Raymond Depardon sur l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 ou plus récemment Emmanuel Macron, les coulisses de la victoire, par exemple.
Sauf qu’ici, l’arche narrative n’est pas le récit d’un triomphe électoral ou la naissance d’un homme d’Etat sous l’œil des caméras. Elle est plus dramatique : des élections libres et transparentes peuvent-elles vraiment avoir lieues dans un petit pays d’Afrique aussi peu rompu aux joutes démocratiques ?
Une commission électorale bidon
Bien sûr, Mnangagwa, président par intérim le jure la main sur le cœur. Et un groupe d’observateurs étrangers est officiellement le bienvenu dans les bureaux de vote. D’ailleurs, dans sa grande sincérité auto-proclamée, le potentat local a même mis sur pied une commission électorale censée être indépendante, baptisée le ZEC, pour contrôler toutes les opérations du scrutin à venir. Et pourtant, dès son installation, une angoisse commence à poindre. Elle va monter durant tout le film, collant le spectateur de plus en plus mal à l’aise à son siège.
La première décision du ZEC est en effet de refuser toute discussion avec les candidats sur la physionomie et l’impression des bulletins de vote. Et dénier aux candidats le moindre droit de regard sur la constitution des listes électorales. Le drame est en train de se nouer.
Les représentants de la communauté internationale ferment encore les yeux. Après tout, le jour du scrutin ne s’est-il pas déroulé sans violence et avec la présence de représentants de l’opposition dans chaque bureau de vote ? Peut-être mais les résultats eux tardent à être proclamés. Les observateurs internationaux commencent seulement alors à froncer les sourcils. Après trois jours sans résultats, inévitablement, des émeutes éclatent. Elles sont réprimées par l’armée, qui tire à balles réelles. Huit morts. Un bilan qui donne à la police un nouveau prétexte pour perquisitionner le siège du parti de Chamisa, qui lui-même, encore dans sa voiture, y échappe par miracle.
Un film catastrophe
En déroulant simplement et factuellement le fil des événements, le film documente précisément la stratégie de la tension choisie par un pouvoir en déroute pour tenter tordre le processus démocratique. D’un remarquable sang-froid, l’opposant Chamisa garde la tête froide, appelle au calme, fait tenir des conférences de presse par ses partisans, en restant dans l’ombre pour éviter une arrestation. Et annonce finalement son intention de contester les résultats électoraux, qui donnent, contre toute vraisemblance, la victoire officielle du Zanu-PF. On suit alors l’enquête prouvant un bourrage des urnes massifs : des résultats identiques à l’unité près d’un bureau de vote à l’autre, des observateurs de l’opposition passés à tabac lors du dépouillement, des additions de suffrages qui donnent un résultat de soustraction, ect. Et pourtant, la Cour suprême rejettera d’un revers de main les démonstrations de Chamisa et proclamera, sous le regard d’une escorte lourdement armée, vainqueur, l’apprenti dictateur Emmerson Mnangagwa, un caricature de potentat africain, au regard de crocodile et à la parole lapidaire.
Avec ce qui ressemble finalement à un film-catastrophe, la réalisatrice danoise Camilla Nielsson réussi parfaitement à documenter le pire de la mascarade politique. Un jeu de dupe si fréquent dans les contrées où toutes les institutions publiques, sans exception, s’avèrent défaillantes et la communauté internationale qui détourne les yeux, absente. Une leçon de cinéma en forme de conte anti-démocratique.
Un film de Camilla Niels