Projeté en compétition au dernier Festival international des programmes audiovisuels documentaire (FIPADOC) de Biarritz en janvier, « Aya » est un documentaire singulier par sa forme et pertinent dans son propos. Il raconte une jeunesse africaine confrontée au désastre environnemental
Un article d’Olivier Toscer
Aya grandit avec sa mère sur la presqu’île de Lahou en Côte d’Ivoire. Joyeuse et insouciante, l’adolescente aime cueillir des noix de coco dans les arbres, taquiner son petit frère, provoquer sa mère et dormir sur le sable. Le père de famille est mort récemment, mais la petite famille semble s’en être accommodé sans trop de traumatisme, vivant de peu mais en symbiose avec la nature.
Sauf que ce petit paradis terrestre est sur le point de disparaître. Le réchauffement climatique et la montée des eaux menacent implacablement les habitations du village et notamment la maison d’Aya. « Avant, la mer était notre ami, lui dit un vieux sage. Maintenant, elle nous menace sans que l’on puisse riposter ». Déjà le cimetière est sur le point d’être submergé. A la nuit tombée, les hommes du village, à la lueur des torches, transpirent à exhumer les corps, placer les restes des défunts dans des boites en plastique faisant office de cercueils de fortune qui seront ré-enterrés plus loin. Du plastique que l’on est obligé de mettre en terre : grinçante ironie qui en dit long sur notre désarroi face aux défis environnementaux.
Et Aya dans tout cela ? L’ado avec ses bouderies impromptues, ses mauvaises habitudes de ne jamais rentrer à l’heure à la maison et son refus de voir la vie telle qu’elle est plutôt que comme elle devrait être, refuse une réalité qui lui échappe et dans laquelle elle n’a aucune responsabilité. Le nœud dramatique du film est là : la mer peut bien monter, Aya ne quittera pas son île. Et quand sa mère se voit contrainte de faire démonter sa maison menacée par les eaux pour la faire remonter plus loin, l’ado s’entête. Pour ne pas avoir à se dédire, elle préfèrera rejoindre la capitale Abidjian où sa cousine vit déjà. Adieu boubou coloré, sardines grillées mangées sur la plage, insouciance des flirts dans la forêt; bonjour, les gaz d’échappement, les jeans slim, la perruque rose fluo, les premières cigarettes et la drague agressive dans les boîtes de nuit les plus sordides. Bref, Robinson Crusoë laisse la place à Dirty Dancing.
Au-delà du récit d’un double arrachement, celui d’une jeune fille à l’état de nature vers celui d’un artifice urbain délétère et celui de l’enfance vers l’âge adulte, le film dresse, depuis la côte ouest africaine, le constat désespéré d’un monde que les hommes ont irrémédiablement saccagé, même sous des latitudes a priori pourtant épargnées par le productivisme effréné et la surexploitation des ressources naturelles. Même les oubliés du progrès, ceux qui ne tiennent pas l’estrade dans les COP21 ou autres colloques internationaux, sont percutés par les conséquences du réchauffement climatique. La grande force de la mise en scène est de nous river au pas insouciant d’Aya, l’héroïne, à son entêtement joyeux, à son reste d’enfance terriblement vivant et solaire, pour parcourir avec elle un territoire en train de disparaître.
Mais pour raconter cette histoire, déjà projetée, dans une indifférence polie, l’année dernière au festival de Cannes, le réalisateur belge Simon Coulibaly Girard a choisi de faire voler en éclat les conventions du genre documentaire.
Il faut, en effet, à l’issue du film lire le générique de fin. C’est seulement à ce moment que l’on apprend que ce documentaire est « joué », par des comédiens, certes non-professionnels ; qu’Aya s’appelle en réalité Marie-Josée Kokora et endosse le rôle-titre dans cette fiction mise au service d’une réalité plus vraie que nature : la presqu’ile de Lahou existe vraiment, elle est effectivement menacée l’océan qui monte, les villages reculent les uns après les autres du front de mer, la Côte d’Ivoire paie un lourd tribut face au réchauffement climatique. Et le film de Coulibaly Girard réussi, sans peine, à nous en convaincre. C’est toujours précieux.
Olivier Toscer
Un film de Simon Coulibaly Gillard, Avec Marie-Josée Kokora, Patricia Egnabayou et Junior Asse, Belgique, France – 2021 – 90 min